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lundi 25 avril 2005 Violences intra-familiales sur enfants : le rapporteur de l’ONU en France
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Deux rapports préoccupants En novembre 2002, M. Juan Miguel Petit, rapporteur auprès de la commission des droits humains de l’ONU visite (1) la France dans un contexte pénible : depuis plusieurs mois des mères françaises fuient leur pays afin d’offrir à leurs enfants la protection que la justice ne leur a pas assurée (2). Deux rapports ont fait suite à cette visite, l’un, préliminaire (3) rendu public à la fin de l’année 2002, suivi d’un rapport complémentaire (4) en octobre 2003. Le rapporteur y dresse un triste constat : « Les personnes qui soupçonnent et dénoncent des cas d’agressions sexuelles sur enfants encourent le risque d’être accusées de mentir ou de manipuler les enfants concernés, et sont menacées de poursuites judiciaires ou de sanctions administratives pour diffamation, si leurs accusations ne conduisent pas à la condamnation de l’agresseur présumé » (5). M. Petit poursuit : « Dans un nombre croissant de cas, des parents séparés (...) choisissent d’emmener leur enfant hors de France, plutôt que de se plier à une décision de justice qui (...) exposerait la victime à de nouvelles atteintes sexuelles » (6). C’est pourtant depuis longtemps que des associations (7) dénoncent les dysfonctionnements du système judiciaire français. En 1999, Le Collectif Féministe Contre le Viol publie un rapport, Agressions Sexuelles Incestueuses dans un Contexte de Séparation des Parents : Dénis de Justice ?(8) qui fait état d’une quantité inquiétante de plaintes, non prises en considération par la justice, d’enfants victimes d’agressions (voir encadré ci-dessous).
A lire le rapport du CFCV, il semble qu’aucune preuve ne soit suffisante aux yeux des magistrats instructeurs. Le cas d’Olivier (9), 3 ans, est édifiant. A l’examen médical, cet enfant présente une béance anale et une sérologie positive au Chlamydiae Trachomatis (M.S.T.), des professionnels formulent neuf signalements de maltraitance, trois expertises psychologiques confirment le viol. Olivier ne sera pourtant jamais cru. Ce dossier n’est pas une exception : il rappelle ceux examinés par M. Petit, qui constate que les accusations d’inceste, même sérieuses et étayées de preuves, ne sont pas traitées avec précaution. Ainsi, les droits de visite et d’hébergement sont fréquemment maintenus pour le parent présumé agresseur alors que celui-ci est en examen, violant la règle selon laquelle le pénal tient le civil en l’état. M. Petit s’en étonne : « Lorsque des poursuites pénales sont engagées contre un agresseur présumé, les décisions civiles relatives à l’attribution de la garde des enfants et des droits de visite sont censées être suspendues tant que la procédure pénale est en cours. Cependant, il apparaît que cela n’est pas le cas dans la pratique » (10). Il en est allé ainsi du petit Olivier, exposé à de nouvelles agressions avant d’être placé en institution avec le risque d’être ensuite confié à son père : « Au terme de ce placement, l’enfant risque d’aller habiter chez M. si la justice pénale, comme la justice civile, se refuse à reconnaître les sévices sexuels que l’enfant a subi de son père et de ses proches ». De la théorie des " fausses allégations " au " Syndrome d’aliénation parentale" ou comment étouffer la parole des victimes L’origine de ces dénis de justice est vraisemblablement à chercher du côté de théories d’origine nord-américaine qui font la part belle au soupçon. Ainsi le belgo-canadien Hubert Van Gijseghem, professeur de psychologie, intervenant à l’Ecole Nationale de la Magistrature et expert près des tribunaux, affirme : « On assiste depuis plusieurs années à une augmentation notable d’allégations là où d’ex-époux, parents de jeunes enfants (de moins de cinq ans), sont impliqués dans des litiges relatifs à la garde ou aux droits d’accès. Diverses études suggèrent qu’environ la moitié de telles allégations ne sont pas fondées sur des faits réels ... » (12). Le principal outil des tenants de la « fausse allégation » est le " Syndrome d’aliénation parentale ". Inventée par Richard Gardner, médecin aux écrits douteux (13), cette notion conforte la représentation de la mère prête à tout pour éloigner le père, notamment le faire accuser par l’enfant d’abus sexuels. Des mères sont alors accusées d’« aliéner » leurs enfants des pères : la garde de l’enfant peut leur être retirée et transférée à l’agresseur présumé. En France, Paul Bensussan, psychiatre expert près la Cour d’Appel de Versailles, se fait le relais des thèses de Van Gijseghem : « Comme beaucoup de mes confrères, en France et à l’étranger, j’ai pu constater la multiplication des affaires d’abus sexuels "fantasmés", mettant en cause des parents, principalement des pères » (14). Des statistiques circulent à l’appui de ces théories, il se dit que la moitié des plaintes pour agressions seraient mensongères, et l’idée fait ainsi son chemin jusque dans les tribunaux et les média (15). Peu soupçonnable de manipulation, le ministère canadien de la Justice dispose pourtant de statistiques très différentes : 1,3% de fausses allégations, selon l’enquête « Allégations de violence envers les enfants lorsque les parents sont séparés », menée en 2001. Un résultat corroboré par d’autres études internationales (16). La théorie des fausses allégations, inquiétante et nocive, est d’autant plus sujette à caution qu’elle s’inscrit plus largement dans un tissu d’écrits très complaisants à l’égard de la pédophilie. Van Gijseghem, promu par Le Journal du Droit des Jeunes (17), qui organise pour lui conférences et formations à destination des professionnels de l’enfance, n’hésite pas à utiliser les travaux de Ralph Underwager et Hollida Wakefield, "pédophiles notoires" (18), ainsi que ceux de Richard Gardner, pédopsychiatre américain, expert auprès des tribunaux, inventeur du S.A.P. et auteur de ces lignes : « L’enfant attiré dans des interactions sexuelles dès l’enfance est susceptible de devenir hautement sexualisé et de rechercher activement des expériences sexuelles durant les années précédant la puberté. Un tel enfant "chargé à bloc" est susceptible de devenir plus actif au plan sexuel après la puberté et donc susceptible de transmettre rapidement ses gènes à sa progéniture. [...] L’idéal est donc, du point de vue de l’ADN, que l’enfant soit sexuellement actif très tôt, qu’il ait une enfance hautement sexualisée avant d’entamer sa puberté » (19). La parole de l’enfant est ainsi discréditée. Mais elle est au surplus bâillonnée : Hubert Van Gijseghem met en effet en garde contre la parole. Toute parole de prévention vis-à-vis des jeunes enfants lui paraît dangereuse car elle ne préserverait pas leur innocence : « La petite fille qui entend un beau matin que "même des papas" ont de vilaines intentions, se blottira-t-elle tout innocemment contre son père le soir venu ? Bref, la fonction paternelle n’est-elle pas sérieusement égratignée aux yeux des enfants désormais "informés" ? » (20). L’expert soutient aussi que la parole de dévoilement, tenue par la majorité des spécialistes pour essentielle dans la reconstruction de l’enfant agressé, est plus nocive que le maintien du silence : « La réparation passe davantage par la couverture (action de couvrir) de l’inceste que par l’exposition de la blessure » (21). Van Gijseghem met enfin en garde contre la parole dite "mensongère" et convainc même le ministère de la Justice (22) d’utiliser les procédures qu’il a créées pour évaluer les témoignages d’enfants agressés. Dans un tel contexte rien d’étonnant à ce que les médecins qui signalent des agressions sur mineurs soient poursuivis (23). Au point que le Rapporteur rappelle qu’il « est de la plus grande urgence que le Conseil de l’Ordre modifie ses pratiques afin de soutenir plutôt que de condamner les médecins qui relèvent des cas d’agressions sur mineurs » (24). Bilan En octobre 2003, le rapport complémentaire de M. Petit portait à la connaissance du public les réponses données par la France à ses demandes d’éclaircissements. Dans l’ensemble, les questions du Rapporteur ont été éludées. Concernant les dossiers d’enfants victimes dont les mères étaient parties à l’étranger, il a été rétorqué au Rapporteur que « la crédibilité des allégations faites par les mères concernant les abus sexuels commis contre leurs enfants était contestable du fait qu’elles étaient invariablement émises au cours de procédures de divorce ». M. Petit a alors opportunément fait remarquer, mais en pure perte, qu’« un examen approfondi de certaines des raisons pour lesquelles les parents divorçaient a révélé l’existence d’abus systématiques au sein de la famille, y compris des violences contre la mère. En conséquence, peut-être serait-il plus exact d’envisager la question des abus sexuels comme étant l’une des raisons, sinon la principale, du divorce » (25). Dans ce second rapport, M. Petit confirme l’existence de carences dans la prise en charge judiciaire des enfants victimes et de leur parole. Il note à ce propos qu’ « il semblerait que l’enfant ne soit pas entendu dans la quasi-totalité des cas » (26). La visite et les conclusions du rapporteur auront pourtant servi à briser le silence. Les médecins, qui, depuis la sanction qui avait frappé la pédopsychiatre Catherine Bonnet, craignaient d’effectuer des signalements, se sont mobilisés au printemps 2003 autour d’une pétition : « En avril 2003, le Rapporteur spécial a reçu un exemplaire d’une pétition adressée an août 2003 au ministre de la Santé et au ministre de la Justice par 157 médecins (...), les signataires se plaignent de ne plus pouvoir faire leur travail de dépistage des enfants faisant l’objet de sévices sexuels » (27). Cette pétition a permis l’adoption par le Parlement français, en décembre 2003, d’une loi qui désormais protège les médecins lorsqu’ils exercent leur devoir de signalement de maltraitance (28). Notes 1. M. Petit a sollicité cette visite après avoir eu connaissance de dossiers préoccupants en France (ONUG-HCDH CH-1211 Genève). Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 avril 2005 Voir aussi sur Sisyphe : Des mères se battent contre la « Justice » pour protéger leurs enfants. |