« Je ne suis pas laid et je m’habille bien. Je suis propre, rasé de près et je porte un soupçon d’eau de toilette - et pourtant 30 millions de femmes n’ont pas voulu de moi », écrivait George Sodini sur son blogue pendant qu’il préméditait la fusillade survenue cette semaine dans un gymnase en Pennsylvanie, au cours de laquelle il a tué trois femmes et en a blessé neuf autres avant de se suicider.
Ce tragique scénario est devenu si fréquent qu’il est presque prévisible. Un individu débordant de rage envers les femmes a facilement accès à des armes à feu. Le résultat : un carnage.
Au cours de l’automne 2006, un forcené s’est introduit dans une école rurale Amish en Pennsylvanie. Après avoir séparé les filles des garçons, il a fait feu sur les fillettes, dont cinq sont mortes.
J’avais écrit, à l’époque, qu’il y aurait eu un énorme tollé si le tueur avait séparé ses victimes potentielles en fonction de leur race ou de leur religion avant d’abattre, par exemple, seulement les Noirs, ou les Blancs, ou les Juifs. Mais quand un meurtrier s’en prend seulement à des fillettes ou à des femmes, les cris d’indignation sont beaucoup plus rares.
Selon les explications de la police, Sodini serait entré dans une salle où une trentaine de femmes suivaient un cours d’aérobie donné par une instructrice enceinte. Il a éteint les lumières puis a ouvert le feu. L’instructrice figure au nombre des blessées.
Nous sommes si habitués de vivre dans une société saturée de misogynie que le traitement barbare infligé aux femmes et aux filles ne nous surprend presque plus.
Nous nous prétendons révoltés par ces crimes odieux, mais notre indignation se dissipe rapidement. Nous vivons dans un milieu où le viol, le meurtre et l’humiliation de femmes n’est pas seulement une quasi-constante des actualités, mais aussi une des bases de l’industrie du divertissement dans notre pays.
La culture dominante est imprégnée des plus ignobles formes de misogynie. La pornographie est aujourd’hui une industrie multimilliardaire contrôlée en bonne partie par de grandes sociétés américaines.
Ce qui frappe chez les auteurs de ces tueries aux États-Unis, c’est qu’ils sont presque toujours rongés par la honte et par un sentiment d’humiliation sexuelle dont ils rejettent systématiquement la faute sur les femmes et filles. Ce sentiment d’infériorité les pousse à se procurer une ou plusieurs armes dans le dessein d’abattre des gens.
Ce qui est inusité dans le cas de Sodini, c’est qu’il ait exprimé en toutes lettres sa honte personnelle et sa haine des femmes sur son blogue. « Pourquoi faire ça à des jeunes filles ? écrivait-il. Lisez plus loin ». Dans une diatribe hargneuse échelonnée sur des mois, il dit, entre autres choses : « Apparemment, beaucoup d’adolescentes font l’amour très souvent. Une fille de 16 ans a l’habitude de le faire trois fois par jour avec son copain. Ce qui veut dire qu’en un mois, cette petite (terme vulgaire) aura baisé plus souvent que moi dans ma vie entière, et j’ai 48 ans. Une raison de plus. »
Cela m’a rappelé le tireur de l’université Virginia Tech, Seung-Hui Cho, qui a tué 32 personnes au cours du massacre auquel il s’est livré en 2007. Cho a tiré sur des hommes aussi bien que sur des femmes, mais il avait dans le passé harcelé des étudiantes de sa classe et avait l’habitude de se pencher sous la table pour prendre des photos inconvenantes de femmes. Selon un de ses anciens colocataires, Cho aurait déclaré un jour qu’il avait « vu la débauche » dans les yeux d’une jeune femme sur le campus.
Peu après les meurtres de Virginia Tech, j’avais interviewé le Dr James Gilligan, qui avait longuement étudié la violence en tant que psychiatre d’une prison du Massachusetts et professeur à Harvard et à l’université de New York. « Après avoir passé des dizaines d’années à travailler avec des meurtriers, des violeurs et toutes sortes de criminels violents, m’avait-il dit, j’ai conclu qu’il y a un facteur sous-jacent qui est toujours présent à un degré quelconque chez ces hommes : ils ont l’impression de devoir prouver leur virilité et ils pensent pouvoir regagner le respect perdu en commettant un acte violent ».
La vie aux États-Unis est effroyablement violente, mais nous devrions prendre conscience davantage du nombre sidérant de violences faites aux femmes et aux fillettes tous les jours, sans autre raison que leur genre. Elles sont attaquées parce qu’elles sont de sexe féminin.
Une jeune fille ou une femme est agressée sexuellement presque à chaque minute aux États-Unis. Le nombre d’épouses et d’amies de cœur sauvagement battues est tel qu’aucun organisme n’arriverait à les compter.
Il y a eu tellement d’agressions sexuelles contre les femmes dans l’Armée que le Département de la Défense a dû repenser complètement son approche face à ce fléau.
Notre société serait en bien meilleure santé, physiquement et mentalement, si nous voulions bien reconnaître que la misogynie est un problème grave et omniprésent, et que la perception maladive que tant d’hommes ont des femmes, combinée à l’aberrante facilité de se procurer des armes, est un mélange toxique aux conséquences des plus tragiques.
Source : , « Women at Risk », dans New York Times, 8 août 2009
Traduction pour Sisyphe : Marine Picard et Marie Savoie
Mis en ligne sur Sisyphe le 29 septembre 2009