À propos de l’impunité des artistes criminels, réflexions autour du cas de Roman Polanski en France Intervention du 31 janvier 2019, Université des Femmes de Bruxelles.
Je voudrais partager avec vous une réflexion à partir du livre que j’ai co écrit avec la juriste Yael Mellul qui a pour titre Intouchables ? People, Justice et impunité et sous titre : Polanski, Cantat, DSK, Tron, innocents, forcément innocents ?, paru en mars 2018, aux éditions Balland.
Je vais vous présenter brièvement la démarche de notre travail puis mon analyse du cas du cinéaste Roman Polanski, violeur pédocriminel qui prospère en toute impunité.
Tron, Cantat, DSK, Polanski : Ces quatre affaires ont rythmé les deux dernières décennies médiatiques en France et, au-delà des hommes mis en cause, ont été l’occasion de mettre les violences faites aux femmes en avant. Le propos de notre ouvrage a été de rendre compte précisément du travail de la justice, en évoquant le fond des dossiers, mais aussi leurs contextes et leurs effets. Il s’agit de parler des violences dont il est question, en plus de rappeler au lecteur les détails juridiques des affaires, mais surtout d’analyser le discours médiatique qui les entoure et l’impact social ou politique qu’il a pu avoir. Nous n’avons pas choisi ces dossiers en fonction de considérations subjectives par rapport à ceux qui y sont mis en cause (que nous ne connaissons d’ailleurs pas personnellement) mais parce qu’ils sont l’occasion de présenter au lecteur un large éventail thématique des violences sur lesquelles nous travaillons : la pédocriminalité (dossier Polanski), les violences conjugales (les deux dossiers Cantat), le viol, l’agression sexuelle et la prostitution (les trois dossiers DSK) et enfin les violences sexuelles au travail (le dossier Tron).
Notre démarche a été strictement la même pour les 4 affaires. Nous avons présenté au lecteur un tableau le plus complet possible des violences mentionnées dans le dossier, en y rattachant toutes les dernières statistiques disponibles, mondiales, européennes et surtout françaises. Une fois le phénomène en question suffisamment explicité, nous avons effectué une présentation chronologique, la plus précise possible, du dossier judiciaire. La méthode employée est simple et systématique : pour les premières parties thématiques nous présentons au lecteur tous les chiffres officiels disponibles en ligne sur les sites des institutions ou organismes qui les produisent (tous les chiffres sont sourcés en notes). Pour le fond judiciaire des dossiers, il a été effectué un travail de description chronologique et d’analyse juridique à partir des archives publiques disponibles. Enfin, nous avons analysé les discours des médias et de la presse qui ont accompagné l’affaire, en montrant notamment l’évolution, ou l’absence d’évolution, de ceux-ci, et l’impact social ou politique qu’ils ont pu avoir, la façon dont des associations féministes ont pu intervenir ou s’emparer de la question, comment divers acteurs sociaux ont réagi, etc. Pour l’interprétation discursive des affaires nous avons étudié plus de 500 articles de presse les évoquant en suivant la méthode d’une étude similaire réalisée par la psycho-sociologue Patrizia Romito dans son ouvrage, devenu une référence, Un Silence de Mortes. Après avoir enquêté pendant des années sur les compte-rendus des crimes sexuels et violences faites aux femmes en Italie et dans le monde, Madame Romito a établi une classification à partir de son analyse des discours médiatiques et sociaux. Cette classification décrit le fonctionnement de la transcription journalistique de ces affaires et s’applique parfaitement à nos 4 dossiers. […]
Pour résumer le propos très rapidement je dirais que l’impunité se déploie sur trois niveaux. C’est d’abord celle de tous les agresseurs en France et c’est ce que nous avons découvert dans l’analyse statistique qui a révélé ceci : l’impunité est quasi totale et la justice ne fonctionne quasiment pas. Le deuxième niveau d’impunité c’est celle d’hommes célèbres et puissants qui ont les moyens financiers d’organiser non seulement leurs défenses mais aussi la destruction des plaignantes. Ici encore faute de temps je vous renvoie à notre ouvrage et ma co autrice qui est juriste en parle beaucoup mieux que moi. C’est du troisième niveau d’impunité dont je vais parler aujourd’hui, qui est celui du différentiel artiste – politique.
En effet, en analysant a posteriori nos 4 dossiers nous avons réalisé que les plus intouchables des intouchables ce sont les artistes, contrairement aux hommes politiques qui, si ils arrivent à échapper à une condamnation judiciaire, ne peuvent pas esquiver l’opprobre sociale.