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dimanche 11 novembre 2018 La Fédération des femmes du Québec légitime-t-elle la culture de l’agression ?
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« Le consentement n’est pas le désir, n’est pas la volonté, n’est pas la liberté » - Ana-Luana Stoicea-Deram, militante féministe et présidente du Collectif pour le Respect de la Personne en France.
Lors d’une assemblée générale extraordinaire, le 28 octobre dernier, la Fédération des femmes du Québec (FFQ)a voté cette résolution : « Que la FFQ reconnaisse l’agentivité des femmes dans la prostitution/industrie du sexe incluant le consentement à leurs activités » (1). Celle qui se dit solidaire des « marginalisées » (dont les femmes racisées et les autochtones surreprésentées dans la prostitution) les laisse, en fait, en pâture aux proxénètes, aux bandes de rues et au crime organisé. La FFQ vient ainsi de donner l’absolution à « l’industrie du sexe ». L’« agentivité » est une contorsion fumeuse que la FFQ utilise pour différencier les femmes qui consentent à « travailler dans l’industrie du sexe » de celles qui sont exploitées. Elle veut ainsi insister sur le fait que les premières ne sont pas des victimes de la prostitution. C’est très mal comprendre l’ensemble des facteurs qui mènent à la prostitution. Ana-Luana Stoicea-Deram, militante féministe et présidente du Collectif pour le Respect de la Personne en France, parle ainsi du consentement : « Dire que les femmes sont consentantes, c’est faire oublier les conditions dans lesquelles elles sont amenées à consentir, c’est taire ce à quoi elles consentent, et c’est mépriser les raisons pour lesquelles elles peuvent consentir – c’est-à-dire, accepter de s’asservir. La critique du consentement est faite depuis longtemps par les féministes, qui montrent que le consentement n’est pas le désir, n’est pas la volonté, n’est pas la liberté ». (2) « Comme on n’impose pas un acte sexuel par la violence, on ne l’impose pas non plus par l’argent, forme de violence économique et sociale », soulignait Claudine Legardinier, journaliste française lors d’une entrevue à Alternative Libertaire. (3) Dans un avis paru en 2012 - « La prostitution, il est temps d’agir » - le Conseil du statut de la femme (CSF) révélait que de 80 à 95% des femmes qui sont prostituées ont été victimes d’agressions sexuelles, soit de viol, d’inceste ou de pédophilie étant jeunes. (4) La prostitution est le continuum de violences masculines dénoncées dans plusieurs pays et particulièrement depuis les dénonciations de #Moiaussi. Le biais « intersectionnel », que la FFQ emploie de façon très particulière, fait l’impasse sur les liens de toutes les violences envers les femmes. Il semble que la FFQ vient de sanctionner la culture de l’agression ! Près de 80% des personnes prostituées sont des femmes, elles seraient âgées de 13 à 25 ans et elles auraient été entraînées dès l’âge de 13 ou 14 ans dans la prostitution. Plusieurs études soulignent qu’elles sont 40 fois plus à risque de mourir à cause de leurs activités prostitutionnelles que d’autres personnes qui effectuent un travail, que leur espérance de vie est d’environ 40 ans, que plusieurs sont sous la dépendance de drogues, de l’alcool, de médicaments, qu’elles combattent nombre de maladies et sont souvent victimes du syndrome post-traumatique. Plus de 80% désireraient sortir de ce milieu. La pauvreté, les guerres, les conflits armés et les catastrophes, le racisme, l’idéologie consumérisme, la pornographie et la sexualisation précoces des jeunes filles sont les facteurs structurels contribuant à la prostitution. (5) On se serait attendu que la FFQ dénonce ces faits avérés, qu’elle reconnaisse l’ensemble des circonstances qui mènent à la prostitution et qu’elle veuille contribuer à les éliminer, plutôt que de vouloir maintenir des femmes dans cette exploitation. La FFQ dit aussi vouloir défendre les droits des femmes qu’on prostitue (leurs droits à la sécurité, la santé, l’autonomie, à la liberté d’expression et d’association et à des conditions décentes) tant dans l’exercice de leur pratique que dans les autres sphères de leur vie. Comment fera-t-elle pour protéger ces femmes alors que 90% d’entre elles sont sous l’emprise d’un proxénète ? Ou alors tout ça n’est qu’une manoeuvre pour protéger les 10% des femmes prostituées qui disent choisir ce « travail » ? Considérant que dans ces 10% des réceptionnistes, des « bookeuses », des chauffeurs qui jouent parfois le rôle de proxénètes se disent « travailleuses.eurs du sexe », peut-on envisager que la prochaine étape de la FFQ sera de contester la loi qui criminalise prostitueurs et proxénètes ? De contester le « modèle nordique » établi au Canada depuis décembre 2014 ? Dans une de ses résolutions, la FFQ mentionne qu’elle « travaille à la différenciation entre l« ’industrie du sexe », les échanges consensuels, les situations d’exploitation et la traite humaine ». Une supercherie pour faire accepter le « travail » dans cette « industrie du sexe ». Et c’est sans compter que la traite des femmes et des enfants augmente suivant la demande de la prostitution. Et que les femmes autochtones sont parmi les plus vulnérables à la traite, comme le mentionnait l’inspectrice Tina Chalk lors du passage à Terre-Neuve de l’’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées : « L’inspectrice a expliqué en quoi la pauvreté, l’isolement, les agressions subies par le passé et le racisme rendent les victimes particulièrement vulnérables à la traite de personnes. » (6) La FFQ démontre ici une totale indifférence à la traite des personnes et un manque de volonté insupportable à offrir de véritables choix à ces femmes et à toutes les femmes vulnérables à l’exploitation sexuelle. Manipulation pour obtenir des appuis L’assemblée générale extraordinaire du 28 octobre fait suite à une assemblée tenue par la FFQ au printemps dernier et qui n’avait pas permis d’adopter les propositions sur la prostitution et sur le voile islamique. Le Centre de lutte contre l’oppression des genres, comme s’il parlait au nom de la FFQ, a d’ailleurs accusé les "TERFs" (trans-exclusionary radical feminists), les "SWERFs" (Sex worker exclusionary radical feminism) et les féministes blanches de s’attarder sur d’autres propositions, ce qui a empêché le vote. (7) C’est ainsi qu’on pouvait lire cet été sur la page Facebook du Centre de lutte contre l’oppression des genres - dont Gabrielle Bouchard a été coordonnatrice - une note visant à recruter les « bonnes féministes » et à les inciter à s’inscrire comme membre pour pouvoir faire adopter leurs propositions cet automne. Cela s’appelle « paqueter » une salle, comme le soulignait Lise Ravary dans une chronique en septembre. (8) Il était également spécifié qu’un vote « contre ces propositions serait considéré par le public non seulement comme un vote contre Gabrielle [Bouchard] mais comme un rejet de toutes les femmes trans du mouvement féministe » (9), même si les propositions n’étaient pas directement reliées aux femmes trans. Des membres semblent très soucieuses d’imposer leurs priorités et surtout de s’imposer tout court. L’opinion de la FFQ sur la prostitution : minoritaire N’osant pas prendre position explicitement en faveur de la prostitution et forcée de faire des compromis face à ses membres abolitionnistes, la FFQ se retrouve avec des résolutions confuses. En mettant l’accent sur le consentement, sur une apparente capacité d’agir, sur la protection des femmes qui affirment choisir librement de se prostituer la FFQ s’accroche à des concepts qui viennent justifier ses propositions. Il faut rappeler que la FFQ est loin de représenter la majorité des femmes même si elle prétend parfois parler en leur nom. La Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (La CLES), une organisation abolitionniste dont sont membres une cinquantaine de groupes et plus de 250 individues - et dont le rôle est d’aider des femmes à quitter la prostitution - s’est dite "consternée" par les propositions faites par la FFQ en mai dernier et déclare que les amendements à ces propositions ne les rendent pas plus acceptables. Les membres de la CLES réfléchissent à la pertinence de demeurer au sein de la FFQ. (10) Le Regroupement québécois des CALACS, qui apporte son aide lui aussi à nombreuses femmes victimes de la prostitution, dit ne pas "se reconnaître" dans les propositions de la FFQ : "Nous appelons la Fédération à s’investir dans les luttes féministes qui visent à créer un monde où chacune peut réellement faire des choix, sans violences sexuelles imposées dès un jeune âge, sans pression sociale sexiste, sans menace de pauvreté, d’emprisonnement ou de déportation", déclare le Regroupement. (11) Le groupe Pour les droits des femmes du Québec, qui rassemble 500 membres, a aussi une position abolitionniste. Diane Guilbault, présidente de PDF Q, conteste aussi fortement les résolutions entérinées par la FFQ : « L’appui de la FFQ pour reconnaître la prostitution comme un travail librement choisi par certaines femmes n’est pas un appui aux femmes dans la prostitution, mais bien un appui aux clients et aux proxénètes pour agir sans contraintes. Dire que l’exploitation sexuelle d’une fille de 14 ans devient un travail lorsqu’elle a 18 ans est de la fumisterie, indigne d’un groupe qui prétend parler au nom des femmes. » Mentionnons aussi La Maison de Marthe, à Québec, crée et animée par l’anthropologue Rose Dufour. La Maison de Marthe définit la prostitution non comme « le plus vieux métier », mais « le plus vieux mensonge du monde ». Résolument abolitionniste, "la Maison de Marthe se range du côté des femmes qui en sont victimes et les survivantes", et les aide à acquérir le pouvoir d’en sortir. Elle réclame des mesures sociales pour lutter contre la prostitution au même titre qu’il en existe pour les autres violences envers les femmes. Rose Sullivan, survivante de la prostitution et co-fondatrice du CAFES ou Collectif d’aide aux femmes exploitées sexuellement, qui compte une centaine de femmes et intervient dans plusieurs régions, estime que la FFQ banalise la prostitution et les agressions qui y sont inhérentes. Pour Rose Sullivan : « La résolution sur l’agentivité nous pénalise à nouveau, nous les survivantes de cette industrie, en niant notre parole. On est nombreuses à avoir travaillé vraiment fort pour ne pas nous culpabiliser ou pour ne pas nous sentir les seules responsables de ce qu’on a vécu. Parler d’agentivité à des femmes qui ont du mal à se remettre de ce qu’elles ont vécu et ont peu de soutien pour y arriver, c’est comme leur dire qu’elles sont faibles de ne pas se remettre. Et plusieurs n’y arriveront jamais. Les résolutions de la FFQ banalisent la prostitution et minimisent les gestes de leurs agresseurs, les premiers dans l’enfance, les seconds dans cette industrie. Cette industrie a failli nous tuer et a tué plusieurs des femmes qui nous étaient proches. » Pour Manon Marie-Josée Michaud, survivante et membre du groupe Abolition de l’industrie du sexe, la prostitution n’est pas un métier comme les autres : « Quand elle prétend défendre "l’égalité pour toutes et entre toutes", et d’un autre côté, demande à ses membres d’appuyer la décriminalisation de la prostitution, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) n’est pas très honnête parce que, franchement, a-t-elle déjà vu des femmes de tous milieux sociaux prétendre vouloir exercer dans le domaine de la prostitution parce que ce serait un métier comme un autre, épanouissant, passionnant et bien payé ? L’égalité pour toutes, ce serait plutôt d’aider ces personnes à vivre dignement, à avoir un toit, un travail correctement rémunéré, à être libres et à ne subir aucune violence ! En d’autres termes, en demandant à ses membres de voter pour la décriminalisation de la prostitution, ce que défend la direction de la FFQ, c’est la perpétuation de la culture patriarcale qui donne aux hommes le droit d’exploiter les femmes et plus particulièrement les femmes précaires. » (12) Enfin, on sait que l’AFEAS - Association féminine d’éducation et d’action sociale - a elle aussi une position abolitionniste sur la prostitution. L’AFEAS, qui rassemble quelque 8 000 membres individuelles au sein de 204 associations locales, regroupées en 11 régions, ne s’est pas exprimée publiquement sur les récentes positions de la FFQ. En conclusion, la prétention selon laquelle la Fédération des femmes du Québec serait "LA voix féministe" au Québec est mensongère. Il semble plutôt que la vision de la prostitution que la FFQ veut imposer ne rallie qu’une faible minorité de féministes québécoises. 1. Page Facebook de la Fédération des femmes du Québec, 29 octobre 2018, https://www.facebook.com/FFQMMF/ – Une version abrégée de ce texte et sans les références a paru dans La Presse et Le Devoir. LIRE AUSSI SUR LE MÊME SUJET : bibliographie mise à jour périodiquement . La Fédération des femmes du Québec - Communiqué : retour sur notre dernière assemblée générale, 2 novembre 2018, site Web de la FFQ. . La Presse - La prostitution peut être un choix, admet la FFQ, 29 octobre 2018. . TVA Nouvelles, "La FFQ renonce à être le champion de la lutte contre la prostitution", le 31 octobre 2018. . Emmanuelle Latraverse, "Prostitution : la rectitude politique de la Fédération des femmes du Québec", TVA Nouvelles, le 1 novembre 2018. . Mathieu Bock-Côté, "La FFQ et les femmes du Québec", Le Journal de Québec, 1 novembre 2018. . Marie-Andrée Chouinard, "Prostitution : la FFQ divague", Le Devoir, 2 novembre 2018. . Patricia Rivest, vice-présidente à la condition féminine du Conseil central de Lanaudière-CSN, "La prostitution n’est pas un choix !", l’aut’journal, le 2 novembre 2018. . Manon Marie-Josée Michaud, Légalisation de la prostitution : Les fausses promesses, l’aut’journal, 3 octobre 2018. . Éric Lanthier, "La légalisation de la prostitution améliore-t-elle la qualité de vie des travailleuses du sexe ?", Huffington Post, le 31 octobre 2018. . Denise Bombardier, "Le lobby transgenre", Le Journal de Montréal, 3 novembre 2018. Et voici ce qui prouve que D. Bombardier a raison. . LA CLES - "Réaction aux prises de position de la FFQ sur la prostitution", Sisyphe.org, 30 octobre 2018. . Marie Drouin, survivante de la prostitution, "Toutes ensemble pour la défense des droits des femmes qui sont dans l’industrie du sexe ?" dans La Tribune, 31 octobre 2018. . Françoise Pelletier, Commentaire sur les résolutions prises par la FFQ à son assemblée générale extraorinaire, le 28 octobre 2018. . Rose Dufour, Prostitution : la trahison de la Fédération des Femmes du Québec, Le Soleil, 4 novembre 2018. . Jennie-Laure Sully, organisatrice communautaire à la CLES et descendante d’esclaves, FFQ et Kanye West : même combat, Le Soleil, 5 novembre 2018. . Pascale Navarro, La Fédération des femmes du Québec et le débat sur la prostitution : sortons de l’impasse, La Presse, 6 novembre 2018. . Joseph Facal - Prostitution et FFQ. Suis-je devenu un "ti-mononcle" ?, Le Journal de Montréal, 6 novembre 2018. . Voir dans le forum à la fin de cette page l’intervention étonnante du Centre de lutte contre l’oppression des genres, qui semble voir les intérêts des transgenres dans le fait de faire adopter les résolutions de la FFQ sur la prostitution. Mis en ligne sur Sisyphe, le 1 novembre 2018
Point de vue, dans Le Soleil « L’été dernier, le rappeur américain Kanye West avait provoqué l’incrédulité générale en affirmant que l’esclavage était un choix pour les esclaves. Face aux réactions indignées soulevées par ses propos, le rappeur s’était drapé dans le rôle de la victime incomprise en expliquant sur Twitter qu’il était attaqué parce qu’il présentait des nouvelles idées. Le 28 octobre 2018, plusieurs d’entre celles qui étaient présentes à l’Assemblée générale extraordinaire de la Fédération des femmes du Québec ont pu constater que la FFQ était en train de faire une Kanye West d’elle-même. En effet, après que plusieurs membres aient tenté d’amender l’énoncé 12 de la proposition du Conseil d’administration de la FFQ sur les femmes et l’industrie du sexe, nous avons pu entendre avec consternation des membres du CA évoquer l’esclavage pour justifier le fait que, selon elles, il ne fallait absolument pas remettre en question l’énoncé 12. L’énoncé en question se lit présentement comme suit : « Que la FFQ reconnaisse l’agentivité des femmes dans la prostitution/industrie du sexe incluant le consentement à leurs activités ». Que veut donc dire le CA de la FFQ par « agentivité » ? Celles qui refusaient d’amender l’énoncé 12 ont répété avec intransigeance qu’il s’agissait de reconnaître que chacun et chacune a la capacité d’agir et de choisir. L’agentivité existe même si une personne est enchaînée, ont-elles clamé au micro. Même les esclaves avaient de l’agentivité, ont-elles plaidé avec émotion. Celles d’entre nous qui essayaient d’amender la proposition 12 du CA avons tenté en vain d’expliquer que si l’agentivité signifie la capacité d’agir et de choisir, il faut tenir compte du fait que cette capacité ne peut être exercée pleinement par toutes les femmes de la même façon en raison des contraintes et rapports de pouvoir qui s’appliquent différemment sur les plus pauvres et moins privilégiées d’entre nous. » — ->Lire la suite... https://www.lesoleil.com/opinions/point-de-vue/ffq-et-kanye-west--meme-combat-ea9f51cb47518c698f89d0a22c5237c5 |
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