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mardi 20 août 2013 Inégalité hommes-femmes - Combien de temps le mouvement LGBT va-t-il pouvoir se cacher derrière son petit doigt ?
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Les LGBT vont-ils s’adapter au système ou le changer ? Mixité, diversité, comment se rejoindre un jour ?
Depuis que l’homosexualité est devenue une question de société, nombre de gays se sont désintéressés des questions d’égalité réelle entre les femmes et les hommes et du féminisme. Il semble qu’ils en ont déjà fini d’interroger leur propre misogynie. Le mouvement n’a-t-il de LGBT que son sigle ? En matière de discriminations et de violences, d’égalité des droits (mariage et adoption), on peut considérer qu’il y a bien une transversalité de luttes. Mais déjà, en matière de GPA, c’est moins évident, comme à chaque fois qu’il est question de l’appropriation du corps (des vies en réalité) des femmes. Toutes les autres revendications ne se recoupent pas et les problématiques spécifiques des lesbiennes, en général, n’intéressent pas les gays. La question des inégalités femmes-hommes est centrale. Combien de gays admettent bénéficier de privilèges du fait de leur appartenance au groupe des hommes ? Comment faire prendre conscience à un gay que ne pas combattre un système revient à le conforter ? Peut-il se désolidariser du groupe des hommes dont il cherche tant à se faire accepter ? C’est pourtant bien sa seule chance objective de vivre un jour dans une société égalitaire, libre de sexisme et donc d’homophobie. Ce manque de motivation à "challenger" la domination masculine est aussi encouragé par l’attitude de beaucoup de lesbiennes qui, par identification, tentent de s’affranchir des contraintes sociales et culturelles liées à leur genre. Qu’elles en soient conscientes ou pas, dans tous les cas, penser se libérer seules, alors que d’autres femmes continuent de subir la domination masculine, est illusoire. J’en ai rencontré, notamment engagées aux côtés des gays dans la lutte contre le sida, qui niaient leur double oppression de femmes et de lesbiennes. Elles en connaissaient un rayon en matière de prévention-sexualité gay, mais se satisfaisaient du manque de réciprocité et certaines ignoraient même l’essentiel de la prévention lesbienne ! Comment faire comprendre à une lesbienne que sans solidarité avec le groupe des femmes, tant que l’égalité réelle ne sera pas achevée, que le féminisme n’aura pas changé et réinventé la société, elle n’aura jamais que l’illusion de sa propre libération ? Vivre sous domination sous domination masculine l’entravera et la menacera toujours. Les trans (transsexuel-les), quant à eux, se sont à juste titre plaints du manque d’intérêt et de solidarité des gays à leur égard, mais elles-eux non plus ne se sont pas intéressés à la déconstruction du système patriarcal ; il est rare de croiser un ou une trans féministe. Au début n’étaient visibles que les transsexuelles hommes devenus femmes (M to F). Au contraire d’être féministes, la plupart adoptaient même les codes sociaux d’une représentation féminine parfaitement sexiste. Incompréhension des lesbiennes, forcément. Puis ont émergé les transsexuels femmes devenues hommes (F to M), un peu plus conscientes du sexisme et des enjeux de l’égalité femmes-hommes, ayant été des femmes et souvent rejetées car ne se pliant pas aux stéréotypes de genre. Toutefois, une fois installées dans leur sexe de réassignation, la plupart des personnes trans se fondent dans la masse pour une nouvelle vie et participent moins aux luttes féministes et LGBT. Puis les personnes transgenres, qui questionnent le genre mais ne veulent pas nécessairement s’engager dans les opérations de réassignation de genre, sont devenues visibles, aidées par le mouvement queer qui, pensait-on, ouvrait une brèche vers plus d’imagination et de libertés. Dommage, toutes ces différentes façons d’être trans n’ont pas non plus vraiment réussi à se comprendre entre elles. Elles s’accordent sans conteste sur la nécessité d’obtention de papiers d’identité conformes à son genre, en revanche, elles se déchirent, notamment sur la question de l’accompagnement médical et psychologique du parcours de réassignation de genre. Pire encore, les revendications trans sont maintenant instrumentalisées par les politiques : assimiler opportunément les questions de genre aux archi-minoritaires droits des trans pour mieux freiner les droits des femmes et surtout ne pas avancer trop vite en matière d’égalité femmes-hommes, beaucoup de politicien-nes européen-nes sont déjà rompus à l’exercice. Les trans-activistes, en particulier dans les pays anglo-saxons, sont de plus en plus hostiles à l’égard des féministes. (Attaques conférence radfem pays anglo-saxons). Peu à peu, le mouvement LGBT, plus à l’aise avec les questions transque féministes et lesbiennes, puisqu’elles ne les remettent pas vraiment en question, ont inscrit et priorisé les revendications trans à leur agenda. Quant aux bi(s) (bisexuel-les), elles et ils considèrent n’être que la dernière roue du carrosse, ce qui n’est pas faux, mais il faut bien reconnaître qu’il est assez difficile d’articuler des revendications bi, notamment en matière d’égalité réelle femmes-hommes ou d’égalité des droits LGBT. Quand on discrimine ou agresse une personne, c’est à cause de son orientation sexuelle réelle ou supposée et c’est la relation homosexuelle de la personne bisexuelle qui pose alors problème. La question de l’acceptation de la bisexualité est une intéressante question culturelle, mais elle est difficile à traduire en termes politiques. L’interprétation en France des théories queer a aussi joué un rôle. Les théories queer permettent d’appréhender les questions de genre pour mieux déconstruire les normes et proposer des alternatives. Mais chez nous, elles ont souvent été utilisées pour diluer les luttes et masquer les véritables enjeux de pouvoir. Ainsi, quand un homme blanc queer décrète être une "lesbienne noire", parce que c’est ainsi qu’il lui plaît de se définir, c’est intéressant sur le plan théorique, mais seule la lesbienne noire subit vraiment une triple domination sociale et culturelle (femme, lesbienne et "racisée") ; ce type de posture n’a aucun effet sur la vie quotidienne de l’immense majorité des gens et encore moins ne remet en question l’oppression des femmes. C’est théoriquement excitant mais socialement inopérant, ça ne change strictement rien aux rapports sociaux de classe. Les hommes (gays ou pas) qui adorent les "slutwalks" (marches des salopes) et autres manifestations ou représentations "pro-sexe" les qualifient de "seul féminisme valable" ; ils ont raison, elles ne remettent nullement en question la domination masculine, bien au contraire, elles assignent les femmes à de nouveaux rôles tout aussi normés que les précédents mais imposés cette fois, par les performantes et omniprésentes industries du sexe. C’est un peu comme si le système patriarcal s’adaptait et engendrait de nouvelles générations d’adeptes au sein même des mouvements qui théoriquement pourraient le mettre en échec. En effet, les groupuscules radicaux qui prospèrent à la marge du mouvement LGBT se prétendent subversifs mais en réalité s’avèrent être de redoutables alliés du système patriarcal. Ayant parfaitement intégré les codes de l’oppresseur, ils répandent des thèses néolibérales "post-féministes" et vont jusqu’à confisquer violemment la parole des féministes. Complices des industries du sexe, pornographie et prostitution notamment, dont ils prétendent se réapproprier les scénarios, ils glorifient sans ciller la marchandisation et l’aliénation des êtres humains. Rien n’est plus facile que d’instrumentaliser la libération sexuelle des femmes, et "la liberté de disposer de son corps" est passée par la moulinette du libéralisme : à l’évidence, que des femmes s’affirment libérées par le porno ou la prostitution ne va rien changer à l’ordre établi, ni déstabiliser la domination masculine, bien au contraire ! L’influence de ceux que l’on appelle à tort "pro-sexe", "trans-activistes" en tête, s’est même révélée être l’une des menaces les plus virulentes à l’encontre de féministes ou de groupes féministes (Annulation conférence Rad-Fem, harcèlement de militantes, etc.). Curieusement, ce sont les associations de santé communautaires, financées pour la lutte contre le sida, qui s’en font les meilleurs relais dans le mouvement LGBT. Face à une telle adversité, nombre de lesbiennes politiques n’approchent pas ou ne font que traverser le mouvement mixte LGBT. Rares sont les militantes lesbiennes féministes qui travaillent dans le mouvement mixte, y occupent une position de "leadeuse", portent les revendications communes tout en s’affichant féministes et en dénonçant le sexisme. À quelques exceptions près, elles sont vite isolées, harcelées, discréditées voire menacées, et s’épuisent sans obtenir beaucoup de résultats. Néanmoins, je comprends bien que des lesbiennes soient convaincues que dans une société mixte, il n’y a pas d’autre alternative que la mixité, ce fut mon cas pendant de longues années. Je pensais que s’exclure dans la non-mixité n’était pas efficace pour combattre la domination masculine. Aujourd’hui, je n’affirmerais plus rien de tel. L’effort à produire pour surnager et assurer un minimum de visibilité lesbienne et féministe au sein du mouvement LGBT est démesuré. Pour que cet investissement soit viable et productif, il faudrait conjuguer deux facteurs, le premier : plus de lesbiennes féministes investies en même temps, et le deuxième : plus de gays concernés par l’abolition du patriarcat. Autant dire une belle utopie ! Dans tous les cas, je pense maintenant que la bonne stratégie consiste à leur demander de s’informer, de se former (les outils théoriques, les expériences et les expertes sont disponibles), de travailler et de faire leurs preuves, nous verrons ensuite. En conclusion, je dirai que le mouvement LGBT a probablement eu tort de se focaliser exclusivement sur l’égalité des droits, étape certes indispensable, mais impuissante à changer la société en profondeur. Ce sont les LGBT qui vont s’adapter au système et pas l’inverse ! Admettons-le, le mouvement LGBT n’a de mixte que son sigle. Il se défend bien en matière d’égalité des droits, mais fait l’économie de l’essentiel : la lutte contre la domination masculine. Il ne suffit pas de dire : le sexisme engendre l’homophobie, ou encore, le mépris du féminin est l’un des ressorts des LGBTphobies, voire même l’homophobie et la lesbophobie sont des manifestations de peur face à des alternatives qui ne sont pas prévues et sont vécues comme des menaces du système. Encore faut-il en tirer les conséquences et s’engager dans la lutte contre les systèmes d’oppression, y compris à l’intérieur du mouvement. Le mouvement LGBT, qui a fortement contribué à l’évolution des mœurs en France, aurait les moyens de devenir un véritable mouvement de libération et d’émancipation. Il peut jouer un rôle majeur dans la lutte pour l’égalité femmes/hommes, encore faudrait-il qu’il le veuille et s’en donne les moyens. Pour l’instant, il n’a même pas commencé, à l’inverse, il s’y oppose souvent. Ses choix seront déterminants pour l’avenir et il ne pourra pas longtemps continuer de se cacher derrière son petit doigt. – Publié sur le blogue Mis en ligne sur Sisyphe, le 20 août 2013 |