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mardi 29 novembre 2016


Allocation mensuelle ramenée à 399$
Pourquoi j’emmerde la loi sur l’aide de dernier recours

par Rose Sullivan, survivante de la prostitution et fondatrice du Collectif d’aide aux femmes exploitées sexuellement et survivante






Écrits d'Élaine Audet



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J’ai été élevée dans un milieu tout croche, ballottée d’un bord et de l’autre, témoin de trucs qu’un enfant ne devrait pas voir, parfois avec juste ce qu’il fallait pour me nourrir, juste le nécessaire pour évoluer, et encore…

Statistiquement, je devrais être dans une situation de merde.

C’est pas rose tous les jours, c’est même crissement noir par moment, mais je m’en sors.

J’ai été extrêmement pauvre par moment, j’ai fait mille et une conneries avant de m’assagir un peu, j’ai été sur l’aide sociale le temps de me remettre des conséquences de ces conneries.

J’ai fait des enfants avant d’être vraiment en mesure de leur donner le meilleur, j’ai été aux études avant de savoir en quoi je voulais étudier... J’ai été sur le radar longtemps, à faire de mon mieux, dans un monde que je ne comprenais pas, et à survivre de mon mieux, parce qu’il le fallait bien.

Je sais pas précisément par quel miracle je m’en suis sortie.

Il y a des tonnes de facteurs qui font que je ne vais pas pire aujourd’hui.

C’est pas juste de moi que ça vient. J’ai eu du soutien, j’ai eu de la compréhension. J’ai même eu, chanceuse que je suis, un peu d’amour et de paix.

Ça m’a aidée à me sortir d’un cercle très vicieux qui fait que quand tu grandis dans la merde, t’as tendance à vouloir vivre dedans. C’est ça que tu connais tsé, ça à beau puer, au moins c’est habituel.

Mais j’en suis sortie, pour vrai, et je commence à trouver que c’est confortable en dehors, assez pour vouloir y rester.

Ça ne me donne pas le droit de cracher sur ceux qui ne s’en sortent pas ou qui ne voient pas qu’ils y sont.

Ça ne me donne pas le droit de juger ceux et celles qui n’arrivent pas à se relever, ni même ceux et celles qui ont tout, eux, mais qui sont tombés un moment donné.

Je suis une humaine. Comme vous toutes et tous qui lisez ces lignes que j’écris, pleine de rage, de questionnement, de tristesse surtout.

Je suis triste, souvent, mais surtout ce soir.

Je suis triste car, aujourd’hui, une des lois les plus inhumaines qu’il m’ait été donné de voir naître est née.

Malgré les protestations, explications et mobilisations de personnes et de groupes qui, comme moi, ne comprennent pas.

Aujourd’hui, le manque de compassion, l’incompréhension, l’individualisme et le mépris ont gagné.

À partir d’aujourd’hui, les personnes qui ne sont pas aptes au travail mais qui n’arrivent pas à le démontrer devront survivre avec encore moins d’aide de dernier recours qu’avant. Encore moins que ce qui n’avait déjà pas d’allure. Avec 399$ par mois.

Avec ça, ces personnes devront non seulement survivre, mais aussi se sortir de la misère si elles veulent cesser de subir le jugement de trop nombreuses personnes aux propos venimeux.

Comme si on pouvait se sortir de la misère quand elle nous aspire du réveil au coucher, qu’on doit la combattre chaque minute de notre vie, que les solutions pour en sortir génèrent de nouveaux problèmes auxquels les solutions en génèrent des plus complexes encore.

C’est cruel d’accepter ça, encore plus de l’encourager. Mais aujourd’hui, j’ai entendu et lu des personnes qui se réjouissent de cette loi.

Des personnes qui, pourtant, doivent aussi se battre pour survivre.

Des personnes qui semblaient fières de survivre en travaillant dans des conditions lamentables, et qui crachaient sur ceux et celles qui survivent grâce à l’État, refusant ces conditions, ou étant incapable de les accepter, malgré une volonté réelle et féroce de le faire.

Des personnes s’en réjouissent, à défaut peut-être de se réjouir de leurs conditions de travail, et qui, en plus, sont persuadées qu’un jour, elles seront récompensées par cet État corrompu jusqu’à la moelle, parce que justement, elles travaillent, elles...

J’ai lu et entendu des personnes piétiner les assistés sociaux pour s’élever, ou pour donner une raison à leur lutte personnelle, je ne sais pas… Mais c’était triste à entendre et à lire.

Personne n’est satisfait de ses conditions d’existence parmi celles et ceux que j’ai lus et entendus, mais certain-es sont fiers et fières de continuer malgré ces insatisfactions. De batailler chaque jour pour arriver, de le faire sans aide. Ça les rend ben fiers et fières, ça. Assez pour leur donner le goût de fesser sur ceux et celles qui le sont pas.

Pathétique.

Aujourd’hui, j’ai en tête des visages de personnes clairement inaptes au travail, mais jamais reconnu comme telles, et je me dis qu’elles seraient sans doute encore plus mal prises si cette loi avait existé quand elles ont dû demander leur premier chèque d’aide social. Et elles sont tellement mal prises que je n’ose pas imaginer, au fond. Elles seraient mortes, ou encore plus malades ou mal barrées, mais certainement pas plus aptes au travail.

Cette loi ne permettra pas d’arrêter plus de fraudeurs/fraudeuses, elles/ils sont peu nombreux à le faire, en tant qu’assistés sociaux, et elles/ils vont continuer à le faire, comme les politiciens vont continuer à le faire... Cette loi va pénaliser celles et ceux qui ne fraudent pas et peinent à joindre les deux bouts, encore, celles et ceux qui sont déjà à terre, c’est elles et eux qui vont manger les coups.

Cette loi ne permettra pas de financer de meilleurs programmes pour aider celles et ceux qui sont aptes au travail car le gouvernement n’en a rien à foutre des résultats à long terme.

Cette loi n’apportera rien de bon, car les gens qui l’ont écrite n’ont aucune idée de la réalité des personnes concernées et n’en ont, je me répète, rien à foutre.

Je lis des préjugés horribles, des propos cruels et des phrases toutes faites sur les assistés sociaux depuis tout à l’heure, et rien ne collent à ce que j’observe sur le terrain.

Ni en tant que travailleuse du milieu communautaire, ni en tant que maman qui se fend en quatre pour travailler sans pour autant cracher sur celles qui ne le font pas, ni en tant qu’ancienne prestataire qui a dû presque mourir pour sortir de la pauvreté.

C’est facile de généraliser, facile de s’envoyer des fleurs parce que nous on réussit là ou d’autres échouent, facile de juger des situations trop complexes pour être résolues, mais ce n’est pas facile de les vivre, de se juger soi-même super sévèrement, et d’avoir l’impression que c’est vrai qu’on est une merde. Pourtant, c’est ce que la plupart des prestataires d’aides sociales font.

Se sentir mal, avoir l’impression d’être un poids, accumuler la culpabilité… Rien pour se sentir plus apte au travail. C’est pas simple à gérer. Surtout quand ceux que tu admires d’arriver là où tu n’arrives pas te méprisent.

Ça donne quoi tout ce mépris ? Toute cette haine ? Pourquoi l’étalez-vous ainsi ?

Pourquoi, sous prétexte que vous, vous êtes capables, êtes-vous aussi méchant-e-s et critiques envers les personnes qui n’y arrivent pas ?

Pourquoi encouragez-vous ce gouvernement qui vous attaquera aussi sous peu ?

Êtes-vous vraiment aveugles ou refusez-vous simplement de voir l’évidence ?

Vous n’êtes pas mieux que ceux que vous qualifiez de "maudits bs" aux yeux du gouvernement, vous n’êtes pas plus dans leur bateaux que ces "maudits bs", ça fait de vous des indésirables aux yeux du gouvernement, des moutons bien utiles un temps, mais à jeter par dessus bord après...

Cracher sur les plus vulnérables, ça ne fait que vous affaiblir, parce que c’est ensemble que nous vaincrons ce régime inhumain et ce gouvernement psychopathe, pas divisés en petits groupes qui se crachent dessus.

 La page Facebook de l’auteure.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 21 novembre 2016



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Rose Sullivan, survivante de la prostitution et fondatrice du Collectif d’aide aux femmes exploitées sexuellement et survivante


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