Une controverse récente liée aux revendications religieuses a surgi dans les médias avec le renvoi par un arbitre d’une joueuse de soccer ontarienne, âgée de 11 ans, à cause de son hidjab. L’arbitre, de confession musulmane, justifiait le renvoi sur la base d’un règlement interdisant le port de tout objet (comme des bijoux) pouvant affecter la sécurité.
Les médias et l’opinion publique ainsi que certains leaders politiques se sont empressés de condamner l’exclusion par l’arbitre, considérant que l’argument de la sécurité était un prétexte et citant comme preuve le fait que d’autres ligues à travers le monde acceptent les joueuses portant le hidjab. L’Association internationale de football a refusé de se prononcer sur cette question.
Il ne fait aucun doute que du point de vue du droit individuel, la jeune joueuse de soccer avait parfaitement le droit de porter le hidjab sans encourir d’exclusion. Il est vrai aussi que l’argument de la sécurité paraît questionnable en l’absence de preuve. Mais le fait que d’autres ligues à travers le monde n’interdisent pas le port du hidjab ne nous paraît pas suffisant pour clore le débat.
Le sens de l’uniforme
Ce cas soulève premièrement la question de savoir quel est le sens de l’uniforme dans le sport d’équipe, coutume fort répandue à travers le monde. D’un point de vue objectif, on pourrait soutenir que l’imposition d’un uniforme n’est pas vraiment nécessaire dans le sport et qu’il suffirait de demander aux joueurs de porter un vêtement qui n’entrave pas leurs mouvements.
À l’inverse, on pourrait aussi arguer que l’uniforme imposé dans un sport d’équipe comporte une symbolique importante à respecter. En effet, la fonction de l’uniforme est de créer un sentiment d’appartenance, de cohésion et de neutralité entre tous les membres de l’équipe, ce qui est de nature à favoriser la collaboration étroite requise pour réussir dans un tournoi.
Selon cette logique, l’autorisation du port de symboles religieux distinctifs ne risque-t-elle pas de créer un climat de confusion et de susciter le ressentiment à l’endroit du privilège accordé, provoquant ainsi la division au sein du groupe à long terme ?
Cheveux impurs
Deuxièmement, même si on voulait appuyer le droit des femmes musulmanes de porter le hidjab, ce cas devrait nous amener à mettre en question le discours religieux qui incite une jeune fille prépubère à croire qu’il est impur de montrer ses cheveux en public. Ce discours, devenu dominant avec la montée de l’intégrisme, incite de jeunes filles mineures à porter le hidjab et à défier même leurs parents et tout règlement non favorable issu des institutions où elles s’insèrent.
C’est là une des stratégies favorites du mouvement intégriste, qui insiste sur le port du hidjab sous prétexte d’expression identitaire positive. Mais il insiste aussi sur l’application rigide d’autres préceptes religieux, telle la séparation des sexes dans les lieux publics, encourageant les croyants à mettre en avant des revendications religieuses en ce sens, comme on a récemment pu le constater. Ces pratiques visent à remettre en question des règles séculières au nom des libertés religieuses.
Une autre stratégie consiste à provoquer la victimisation devant tout refus de céder aux revendications religieuses, ce qui permet au mouvement intégriste de tirer profit du sentiment d’injustice et de révolte qu’il suscite chez les croyants et de rallier du même coup l’opinion publique en faveur des victimes.
Les pays occidentaux n’échappent pas à l’influence de ce discours et du mouvement qui le prône très activement, profitant de la mondialisation et des nouvelles technologies de l’information. Ce discours séduit particulièrement les jeunes non seulement par l’insistance sur l’affirmation identitaire religieuse positive mais aussi parce qu’il leur permet de défier les autorités au nom de la liberté religieuse et de gagner ainsi du prestige aux yeux de leur communauté.
La manipulation des médias, prompts à monter en épingle le moindre cas de victimisation, contribue à renforcer les tendances intégristes, pour l’instant minoritaires, au détriment des tendances plus modérées au sein des communautés musulmanes vivant ici. Elle contribue aussi à susciter un malaise et une stigmatisation croissante envers les personnes musulmanes, dont la majorité s’oppose pourtant à l’intégrisme.
Prudence
Un détail intéressant à relever dans le cas de la joueuse de soccer : le fait que l’arbitre soit lui-même de confession musulmane interdisait toute accusation de racisme qui, autrement, n’aurait pas manqué de fuser. Cela devrait nous inciter à la plus grande prudence dans ce genre de situation, où les accusations non fondées sont fréquentes, ce qui a pour effet d’étouffer toute réflexion critique.
Les accusations de racisme à l’endroit de toute opposition visent à susciter l’adhésion des défenseurs des droits de la personne et des spécialistes du multiculturalisme, en appui à ces revendications religieuses. Cette stratégie très efficace soulève néanmoins de sérieux enjeux sociaux dans le contexte québécois, caractérisé par un modèle de société séculier et pluraliste.
À notre avis, il est toujours possible d’accepter un compromis dans le domaine du sport ou dans d’autres domaines, selon le contexte. Dans le cas du sport, cette décision doit revenir aux associations sportives et non à l’État.
Il importe surtout de cesser de sacraliser les revendications religieuses ou d’en faire une question de principe et de droits individuels. Il ne s’agit pas ici de nier la liberté religieuse de quiconque mais de reconnaître que des compromis sont nécessaires, de part et d’autre, pour vivre ensemble dans le respect du droit à la différence mais non de la différence des droits. Il faut espérer que la Commission d’étude sur les accommodements liés aux revendications religieuses, annoncée par le gouvernement Charest, saura mettre en lumière les enjeux sociaux et politiques sous-jacents au lieu de s’en tenir à des solutions simplistes dictées par la rectitude politique.
– L’auteure prépare un livre sur les liens entre accommodements raisonnables et revendications religieuses.
* Publié également dans Le Devoir, 14 mars 2007
Mis en ligne sur Sisyphe, le 14 mars 2007