La femme arabe devrait-elle se résigner à végéter en queue de liste dans les priorités des hommes qui gouvernent ? Tous les pays arabes unanimes semblent avoir opté pour cette alternative du pire.
Il y a évidemment l’exception tunisienne mais pourra-t-elle résister, cette exception, à la contagion locale ? Il faut aussi considérer l’événement que constitue l’élection de quatre koweïtiennes au Parlement. Ce n’est pas beaucoup pour un pays où plus de la moitié des électeurs sont des femmes mais c’est un pas en avant et dans la bonne direction.
Cependant, je retiens surtout de cette élection la formidable performance réalisée par Dhikra Rachidi, la cinquième candidate qui a perdu, et pour cause. Elle n’a obtenu que 7% des suffrages mais ils feront date, car arrachés dans une région tribale des plus fermées. Dans ce genre de circonscription, la candidature d’une femme est une atteinte à l’honneur de la tribu. Quant aux quatre élues, les députés intégristes qui sont passés au travers leur promettent déjà mille et un tourments. Ceci dit, cette petite révolution féministe ne pourra que susciter des émules et des vocations dans les pays voisins, notamment en Arabie saoudite.
Certes, les dirigeants du royaume font mine de vouloir réformer la vie politique et sociale, mais les faits démentent les intentions. Ici, on relance le débat sur les châtiments corporels que méritent les femmes dépensières. Là, on restreint leur accès aux salles de culture physique, pour des raisons futiles, bien sûr. Quant à la plus contestée des réformes, elle consiste en un projet d’exclure les femmes de l’espace de la circumambulation de la Kaâba, lors du pèlerinage.
Une théologienne renommée, qu’on ne peut soupçonner de féminisme, a protesté contre cette idée qui lèse les droits des femmes. Les théologiens mâles sont d’accord, eux, pour isoler les femmes dans les étages lors de la grande prière autour de la Kaâba. Parmi eux, nous retrouvons sans surprise le nouvel ami de l’Algérie et de ses médias, le prédicateur A’idh Al-Kirani qui nous fait l’honneur de nous réapprendre l’Islam. Il est vrai que c’est une tâche facile dans un pays où on peut affirmer, sans fausse pudeur, que le wahhabisme est un courant « rénovateur ».
L’écrivaine saoudienne contestataire Wajiha Al-Howeidar sait mieux que quiconque les conditions draconiennes imposées aux femmes du royaume. Elle refuse notamment de s’estimer satisfaite parce qu’on annonce quelques timides réformes dans ce pays fermé. Alors, sommée de modérer ses critiques et de revoir ses exigences concernant la condition féminine, elle pose ses conditions.
« J’arrêterai de revendiquer des droits pour la femme saoudienne :
Lorsque je verrai des femmes saoudiennes sans qualifications occuper de hautes fonctions, telles que gouverneur, ministre, ambassadrice, Premier ministre ou députée, ou tout autre poste politique élevé. Et de devoir ces positions au simple fait de bénéficier de relations influentes grâce aux liens du clan, de la tribu et du sang.
Lorsque je verrai des tribunaux présidés par des femmes saoudiennes et qu’il sera interdit aux hommes saoudiens d’y occuper n’importe quelle fonction, ou d’être représentés autrement que par une femme exerçant la tutelle sur leur personne et sur leurs intérêts. L’homme ne sera autorisé à apparaître à l’audience que sur ordre de la juge. Il se présentera de façon anonyme, couvert de noir des pieds à la tête et ne parlera que sur injonction de sa tutrice. Son témoignage ne sera pris en considération que s’il est confirmé par un autre témoin masculin.
Lorsque l’homme saoudien ressentira la peur tout au long de sa vie. Parce que son épouse pourra le changer ou le remplacer par un autre homme, par noce passagère ou de jouissance, ou par un second mariage visant à satisfaire la libido de la femme. Que cette femme justifiera alors cet avilissement en prétendant se conformer à la « Loi de Dieu ».
Lorsque je verrai une femme saoudienne mettre fin à la vie active d’un homme qui réussit en le privant de son travail d’un simple trait de plume.
Lorsque je verrai des hommes saoudiens mûrs, majeurs et sages traînés vers les postes de police parce qu’ils étaient au volant de leur voiture. Qu’ils ne seront remis en liberté que sur promesse de leur tutrice qu’ils ne recommenceront pas.
Lorsque la femme saoudienne portera des vêtements blancs, confortables alors que l’homme saoudien sera astreint à porter une écharpe noire, des gants noirs et un vêtement noir et à marcher sous un soleil brûlant qui fait fondre le métal. Il sera suivi de près par des femmes athlétiques et sauvages qui surveilleront ses mouvements au nom de la défense de la vertu et de la lutte contre le vice. Ainsi, l’homme saura qu’il n’a que deux endroits dans la vie : la maison et le tombeau.
Lorsque les femmes auront main-mise sur tous les rayons des centres commerciaux. Même les boutiques de dessous masculins seront tenues par des femmes. Elles proposeront leurs marchandises aux hommes avec effronterie et impudence.
Lorsque la femme touchera le double de la part de l’homme sur l’héritage de son père, même si elle est riche et possède des biens immenses, en comparaison avec son frère réduit à une pauvreté extrême.
Lorsque la femme saoudienne aura le droit de répudier, de le chasser de sa maison, de le priver de ses enfants et de ramener un mari plus jeune à sa place.
Lorsqu’une religieuse saoudienne utilisera les colonnes de tous les journaux gouvernementaux pour autoriser à battre l’homme et à le gifler pour obtenir sa soumission et que la majorité des femmes la soutiendra.
Lorsque 96% des cas de violence seront imputés à des femmes contre des hommes.
Lorsque l’honneur s’incarnera dans le corps de l’homme et que celui-ci sera sujet à la violence et au meurtre si son corps est touché par une femme.
Lorsque les femmes saoudiennes se seront emparées de toutes les tribunes religieuses, qu’elles les utiliseront pour écraser l’homme et resserrer l’étau autour de lui en exigeant, au nom de la religion, qu’il soit privé de ses droits fondamentaux et de ses libertés individuelles.
Lorsque se répandra dans la société saoudienne, par le biais du système éducatif et des médias, la culture réduisant l’homme à un être inférieur, ayant peu de cervelle et encore moins de religion.
Une vision décrétant que la nation qui confie ses destinées à un homme ne doit espérer aucun bienfait. »
Ce sont là quelques-unes des conditions posées par Wajiha Al-Howeidar, avec cette précision que les torts causés à l’homme par ses suggestions sont purement virtuels alors que ceux subis par la femme sont, eux, bien réels. Alors, au lieu d’imposer à l’homme ces épreuves dégradantes pour lui, pourquoi ne pas cesser simplement de les imposer aux femmes ? C’est ce que souhaite, en tout cas, l’écrivaine. Un souhait ? Plutôt un vœu pieux, et on sait ce que deviennent les vœux pieux au pays de la piété totale ou, devrais-je dire, totalitaire.
Source : Le Soir d’Algérie, le 25 mai 2009
Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 août 2009