Nous souhaitons à toutes les femmes québécoises de demeurer audacieuses et animées par une volonté ardente d’agir ensemble pour défendre la cause féminine et notre liberté. Agir ensemble nous transforme en un être politique actif, capable d’ouvrir la voie à une société libre des préjugés et des cadres culturels figés.
Nous sommes deux femmes québécoises originaires du Maghreb, et comme la grande majorité des Maghrébines, nous sommes musulmanes. Cependant, nous ne nous identifions pas par rapport à notre religion, mais par notre identité féminine. Comme toute femme, notre identité s’est construite à travers un long cheminement socioculturel, ethnico-linguistique, académique et professionnel. Les femmes musulmanes n’ont d’ailleurs pas les mêmes repères culturels, qu’elles viennent de Tunisie, d’Égypte, d’Afghanistan ou d’ailleurs. Elles n’ont pas le même vécu, pas les mêmes expériences, elles sont toutes différentes.
Aujourd’hui, si nous ressentons le besoin d’exposer de telles évidences, c’est que nous assistons à une essentialisation de la femme musulmane : elle est devenue un archétype. Or, en général, on identifie les immigrantes par leur appartenance nationale, mais lorsqu’il s’agit de citoyennes originaires de pays musulmans, il apparaît - fort curieusement - que tous les repères culturels autres que la religion disparaissent.
Depuis que l’islam a pris une place dominante dans les médias québécois, la musulmane est figée dans un modèle unique, archétypal. Lorsqu’un article de journal parle de l’islam, bien souvent la photo choisie pour l’illustrer est celle d’une femme voilée ou portant le niqab. Lorsqu’il s’agit d’entendre le point de vue d’une musulmane au bulletin de nouvelles, c’est généralement une femme portant le hijab que l’on invite. Dans les manuels scolaires du cours d’éthique et culture religieuse (ECR), la femme voilée est souvent choisie pour illustrer un propos sur l’islam. Ainsi l’image de la femme voilée est pratiquement l’unique symbole représentatif de la musulmane au Québec.
Le voile dans le coran
Or si toutes les femmes voilées sont musulmanes, les musulmanes ne sont pas toutes voilées. Elles ont des rapports très diversifiés avec la foi, et pratiquent une religion à la carte fortement influencée par divers facteurs culturels, sociaux et personnels.
Par exemple, le port du niqab, du tchador ou de la burqa ne relève pas de la religion, mais bien de la tradition culturelle conservée depuis l’Âge médiéval jusqu’à nos jours dans plusieurs pays musulmans postcoloniaux.
Quant au hijab, il relève d’une interprétation de versets coraniques loin de faire l’unanimité parmi les exégètes. En tant que prescription liée aux « branches » sujettes à l’interprétation des Hommes, elle ne représente, de toute façon, pas un fondement de l’islam nécessaire à la foi.
Plus précisément, parmi les 6236 versets qui constituent le Coran, uniquement quatre versets abordent cette question, soit les versets 31 et 60 de la sourate 24 AN-NŪR (La lumière) et les versets 53 et 59 de la sourate 33 Al-Ahzab (Les coalises). Seul le verset 31 cite le terme « Khimar », conventionnellement interprété par « voile », et le verset 53 cite le terme hijab.
Le verset 31 se lit comme suit : « Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de garder leur chasteté, et de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît et qu’elles rabattent leur voile [Khimar] sur leurs poitrines [Joyoubihina]... » Les termes « Khimar » et « Joyoubihina » sont ambigus, car ces termes dans la langue arabe contemporaine ne veulent pas dire la même chose dans la langue arabe ancienne. Nous ne connaissons pas exactement la définition anthropologique de « Khimar » au 7e siècle, et donc il est fort probable qu’il ne représente pas le voile d’aujourd’hui. Quant au terme « Joyoubihina », interprété par « poitrine », il est doté de plusieurs significations dans la langue arabe contemporaine : poche, col de la chemise, entrée, etc. Bref, le verset ne parle d’aucune manière de couvrir les cheveux, mais les exégètes médiévaux ont conclu cette interprétation à cause du contexte épistémologique et socioculturel de leur époque. Aujourd’hui, une fouille archéologique linguistique et anthropologique du terme est nécessaire pour bien saisir le sens dans son contexte.
Le verset 53, le seul verset coranique où le mot « Hijab » est mentionné, se lit comme suit : « Ô vous qui croyez ! N’entrez pas dans les demeures du Prophète, à moins qu’invitation et permission ne vous soient faites à un repas, sans être là à attendre sa cuisson. Mais lorsqu’on vous appelle, alors, entrez. Puis, quand vous aurez mangé, dispersez-vous, sans chercher à vous rendre familiers pour causer. Cela faisait de la peine au Prophète, mais il se gênait de vous (congédier), alors qu’Allah ne se gêne pas de la vérité. Et si vous leur demandez (à ses femmes) quelque objet, demandez-le leur derrière un rideau [Hijab] : c’est plus pur pour vos cœurs et leurs cœurs ; vous ne devez pas faire de la peine au Messager d’Allah, ni jamais vous marier avec ses épouses après lui ; ce serait, auprès d’Allah, un énorme péché ». Les exégètes médiévaux ont interprété le mot « Hijab » comme « voile » et ils l’ont ordonné à toutes les musulmanes pour des raisons typiquement socioculturelles, tandis que le texte ne vise que les femmes de Prophète Mohammed.
Dans les sociétés musulmanes patriarcales, le statut de la femme est marginalisé et la présence d’une femme en tant que théologienne et exégète est absente. L’interprétation des versets de « Hijab », faite par des hommes, a prescrit aux femmes de se couvrir de la tête aux pieds pour protéger la cité vertueuse de vice. Cette prescription a été récupérée par l’islamisme pour des raisons idéologiques politiques.
Préserver les acquis de la Révolution tranquille
Nous partageons avec les femmes québécoises, qui ont eu à se battre pour se libérer de l’emprise de la religion sur leur vie, des aspirations communes de vivre et d’occuper pleinement notre place dans la société. Nous sommes bien placées pour comprendre leur souci de préserver les acquis de la Révolution tranquille ! Car la culture patriarcale d’avant et d’aujourd’hui confine la femme dans des rôles traditionnels de mère de famille.
Au Québec, nous avons la possibilité de nous épanouir pleinement et de participer à la société, en donnant notre plein potentiel. Nous ne voulons pas risquer de perdre ces acquis en nous pliant, de plus en plus, à des demandes d’accommodements soi-disant religieux qui veulent nous ramener à des traditions culturelles archaïques. Nous voulons contribuer à préserver la modernité du Québec.
. Mounia Aït Kabboura Devenir fan, philosophe de formation, responsable de projet de recherche à la Chaire UNESCO-UQAM (FPJD).
. Nadia El-Mabrouk Headshot, professeure à l’Université de Montréal, membre de PDF Québec et de l’Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité