Dans son film "Circumstance (En secret)", la réalisatrice new-yorkaise d’origine iranienne Maryam Keshavarz narre l’histoire des relations perverses au sein d’une riche famille de Téhéran.
La mère chirurgienne ne veut rien voir ni savoir sur la vie de ses enfants.
Atéfeh, l’adolescente de la famille, cherche à se venger du père par tous les moyens.
Par ses comportements, elle défie le régime islamiste qui a imposé la répression après la révolution de 1979, une révolution dirigée au départ contre la dictature du Shah puis immédiatement récupérée par les islamistes. Une révolution à laquelle le père, jeune intellectuel de l’époque, avait participé.
Le fils toxicomane ayant perdu toute personnalité à cause de la drogue tente par tous les moyens de se racheter une dignité, ou peut-être beaucoup de pouvoir, que ce soit au travers de la pratique de la religion ou de celle de l’espionnage au profit du régime facho-islamiste, y compris jusque dans sa propre famille...
Atéfeh est amie avec Shirine, une amitié qui finira en une histoire d’amour.
Les parents de Shirine ont été exécutés au début de la révolution. Ils étaient professeurs d’université.
Dans ce film, la résistance des parents de Shirine au régime islamiste et leur exécution par les Ayatollahs est passée sous silence. Leur résistance, au lieu de les élever au rang d’héroïne et de héros, les abaisse au statut d’individus maudits dont le souvenir fait honte à leur fille.
Les deux adolescentes se cherchent et participent à toutes sortes de fêtes.
Et ce, dans un pays où tout mouvement, tout geste, est considéré comme un acte de résistance politique contre le régime facho-islamiste.
Ce film dénonce en effet une société malade, enfermée dans la surveillance des individus, et qui pervertit toutes les relations. Où aucun espace de vie n’est possible.
Même à l’intérieur de leur voiture, les femmes ne peuvent enlever leur voile, elles sont harcelées, violentées, insultées et arrêtées par la police des mœurs. Et les individus sont épiés même entre les murs de leurs maisons.
Mais alors que ce film est censé raconter l’histoire d’un amour interdit - l’amour entre deux femmes -, force est de constater que majoritairement il ne fait que flatter le goût et l’esthétisme masculin. En outre, ce film n’interroge pas et ne décrypte jamais les rapports de pouvoir des hommes sur les femmes. C’est pourquoi ce film n’est absolument pas féministe, bien que son sujet porte sur l’amour entre deux femmes.
En effet, les références scéniques sont emplies de clichés sexistes. Par exemple, à la discothèque, les regards et les conversations grivoises des hommes sur les deux jeunes femmes. Les jeux de couleurs et de tissus étrangement érotisés de même que la façon érotique dont le voile est porté ou des scènes de danse du ventre effectuées par des femmes nues ne peuvent qu’être érotisation de la domination.
Ces scènes reprennent complètement les codes de l’érotisme masculin et ceux de la pornographie, codes qui sexualisent et qui placent les femmes dans une position de soumission. Serait-ce pour allécher les hommes que ce film caresse leurs imaginaires et leurs fantasmes de domination et d’humiliation ?
Le frère d’Atéfeh espionne la relation entre les deux jeunes femmes. Il rêve de s’approprier l’amante de sa sœur. Finalement, lors de la dernière arrestation des deux jeunes femmes, dans leur voiture, par la police des mœurs, le frère qui a un certain pouvoir dans l’appareil policier, propose alors d’aider Shirine, l’amante de sa sœur. En échange, Shirine doit se résoudre à épouser le frère.
Puis, il y a la scène insupportable du viol de Shirine par cet homme avec qui elle a été contrainte de se marier. Le bourreau, après l’avoir violée, se met à pleurer... Et pour couronner le tout, la femme violée console alors son violeur larmoyant. Pleure-t-il pour se décharger de sa culpabilité ? Pleure-t-il pour camoufler l’atrocité du viol ?
Shirine console son violeur dans ce film, serait-ce parce que les larmes d’un homme, même violeur et manipulateur, valent toutes les larmes d’une femme, sa victime ?
Ou bien parce que Shirine a été coupée d’elle-même au point qu’elle en occulte ses propres souffrances ? Comment serait-ce possible que Shirine, après son viol, renonce à elle-même, à ses rêves et à toute résistance envers ce type en refusant de suivre son amante ?
En effet, la misogynie est tellement bien intériorisée que les femmes ne voient plus l’oppression qu’elles subissent… Qu’elles montrent… Qu’elles défendent.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 9 février 2012