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mercredi 14 février 2007 L’imaginaire des femmes
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Le 28 janvier dernier, j’ai été conviée avec une vingtaine d’autres femmes cinéastes à rencontrer la réalisatrice française Coline Serreau (Trois hommes et un couffin, La Crise, La Belle Verte, etc.). L’occasion nous a permis d’échanger sur son oeuvre et de discuter des cinémas français et québécois. Inévitablement, nous avons parlé de la place des femmes et de leur imaginaire dans notre cinéma respectif. À ce sujet, l’animatrice de la rencontre nous a, fort à propos, donné quelques informations historiques sur la proportion des budgets alloués à des femmes pour réaliser leurs oeuvres au Québec. Selon ces données, en 1985-86, seulement 16 % de l’argent total de la SODEC en production était accordé à des réalisatrices. Or, 20 ans plus tard, en 2005-2006, cette proportion était encore plus basse : à 14 % (et même 11 % si l’on ne tient compte que des longs métrages de fiction). Toutes les réalisatrices présentes - toutes générations confondues - étaient sidérées. Quelle illusion, quelle déception J’ai personnellement travaillé, il y a quelques années, à conscientiser les institutions au sujet de ce déséquilibre qui me semblait à l’époque très inquiétant et j’avais l’illusion que, dans ce domaine qui compte tant d’hommes et de femmes progressistes, nous progressions à grands pas vers l’équité. Quelle déception de constater que, deux décennies plus tard, les femmes ont encore autant de difficulté à faire entendre leur voix. Dans ce troisième millénaire, les créatrices en cinéma ont, en fait, encore plus de mal à trouver des producteurs (et productrices), des diffuseurs, des distributeurs et donc du financement. Cela est encore plus ardu dans le domaine de la fiction et, tout particulièrement, lorsqu’elles proposent des sujets ou des approches qui diffèrent de la mode du jour ou de la saveur du mois. Depuis mon premier long métrage de fiction (Marie s’en va-t-en ville), réalisé à la fin des années 80, nous avons reculé ! Quand on sait que toutes les productions qui sortent, tant au Québec qu’au Canada, au petit comme au grand écran, sont financées par l’État (c’est-à-dire autant avec les impôts de femmes que ceux de leur conjoint), que les femmes représentent plus de 51 % de la population, il y a de quoi être scandalisée par cet état des choses. Dans une société qui dit combattre les iniquités salariales et favoriser l’égalité des chances, cela est pour le moins étonnant et décourageant. Quand j’avais 20 ans On nous dira que chacun des projets est évalué selon des critères de qualité, que de nombreuses femmes font partie des comités et qu’il y a moins de demandes émanant de femmes réalisatrices (sur ça aussi, il faudrait se demander pourquoi !). Mais on m’a servi les mêmes arguments, il y a 20 ans. On m’a aussi convaincue, à ce moment-là, que le temps arrangeait bien des choses... Quand on a 20 ans, on veut y croire. Je vois, au contraire que, dans bien des domaines, que ce soit en politique, dans les conseils d’administration ou dans le monde des gens de métier, les inégalités perdurent tant qu’il n’y a pas des mesures positives (ou incitatives) et l’établissement de nouvelles règles. Personnellement, je ne manque pas de projets, mais j’ai la chance de faire partie des exceptions qui confirment la règle. J’écris cette lettre comme un cri du coeur et de solidarité pour les femmes qui n’ont pas accès à la parole ou qui ont perdu cet accès. Je déplore cette situation, bien sûr, parce que je suis femme et que je suis cinéaste, mais je la déplore tout autant en ma qualité de spectatrice. Je me sens personnellement dépossédée de ne plus voir (ou pas assez) de films de cinéastes femmes de toutes les générations, dont des réalisatrices importantes comme Paule Baillargeon, Mireille Dansereau, Micheline Lanctôt et plusieurs autres. Leur regard et leur sensibilité me manquent. C’est un rétrécissement d’horizon pour tous et pour toutes que de ne pas avoir accès à une pluralité de regards, de voix et d’histoires. Puisque, de nos jours, plus personne ne doute du fait que l’intelligence, la sensibilité et l’humour des femmes méritent d’être portés à l’écran, il est devenu urgent de réfléchir aux moyens à prendre pour renverser la tendance. Nous n’avons pas les moyens de priver plus longtemps la société de l’imaginaire et du talent de la moitié de sa population. Si la rencontre avec cette réalisatrice intelligente, drôle et généreuse qu’est Coline Serreau nous a fait du bien à toutes, le constat de recul de la situation des femmes cinéastes et réalisatrices d’ici nous a révélé que l’on a (encore) une montagne à affronter ! – Paru également dans Le Devoir, le 13 février 2007. Merci à l’auteure pour la diffusion de cet article sur Sisyphe. Mis en ligne sur Sisyphe, le 13 février 2007. |