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dimanche 27 mars 2011 Lettre à mes Amies du Maghreb et à celles du Machrek
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L’égalité entre les hommes et les femmes est-elle inhérente à toute démocratie ? Rien n’est moins sûr. L’exemple le plus frappant et le plus récent de ce postulat est le référendum égyptien du samedi 19 mars 2011. Depuis le début du « printemps arabe », il s’agit d’un des gestes démocratiques les plus symboliques, geste auquel les Egyptiens ont répondu par un « oui » massif. Cette constitution soulève pourtant des contestations : jugée trop proche de celle introduite par Hosni Moubarak, certains militants pro-démocratie avaient appelé à la rejeter. Parmi eux, de nombreuses femmes pointent en outre du doigt un texte qui a été ratifié par une assemblée d’hommes, exclusivement. Ajoutés aux violences commises le 9 mars dernier place Tahrir, lors de la Journée Mondiale de la Femme, ces faits montrent bien à quel point une démocratie naissante peut se passer des droits du « sexe faible » pour exister. À ce changement en deux temps, Juliette Minces, sociologue française spécialiste de la femme dans le monde arabe, répond par une lettre, adressée à celles que l’on a pourtant cessé, ces derniers mois, de voir dans les rues du Maghreb et du Machrek. Lucille Dupré Permettez-moi, qui suis une de vos vieilles compagnes de route, de vous rappeler quelques points qui me paraissent pouvoir être utiles en ces jours mémorables que vous traversez. Vos révolutions ont soulevé partout dans le monde une très grande admiration. Le courage dont vos peuples ont fait preuve, la qualité de vos revendications et les transformations que vont connaître de ce fait vos pays, si vous restez vigilant-e-s et ne vous laissez pas confisquer votre victoire, vont très probablement modifier le cours des choses dans le monde musulman. Votre participation, vous les femmes, à ces révolutions a été évidente. Comme cela a toujours été le cas. Et je sais quel courage il vous a fallu pour trangresser l’ordre établi et vous affirmer comme des individus à part entière. Presque toutes les avancées qu’ont connues les pays dans lesquels vous vivez ont été de votre fait, le fruit de vos luttes. C’est pourquoi je n’ai guère été étonnée de vous voir participer en nombre, femmes de toutes conditions, à ces journées décisives. La raison pour laquelle je me permets de m’adresser à vous est la suivante : notre mémoire d’occidentales nous rappelle que chez nous, chaque fois que ce fut nécessaire, les femmes ont pris part aux combats de libération, aux luttes syndicales ou politiques. Et chaque fois les femmes, toujours considérées comme des forces d’appoint, ont été renvoyées "à leurs fourneaux" une fois l’objectif atteint. La même chose s’est produite en Algérie dès l’indépendance acquise, et la participation des Algériennes à la lutte armée ne les a pas protégées d’un statut d’infériorité légale qui s’est matérialisé par la suite par un infâme code de la famille. Le Parti vantait le rôle tenu par les femmes en cette période sanglante pour mieux étouffer les revendication d’égalité qu’elles formulaient. Je voudrais vous dire, en même temps que ma grande admiration, la crainte que j’éprouve à cet égard. Vous vous battez et vous savez ce que vous voulez : la démocratie, l’égalité, une redistribution des richesses équitable, de la décence dans la politique et les indispensables libertés pour devenir de véritables citoyen-nes. La démocratie chez nous n’a pas été synonyme de parité et il nous a fallu nous battre pour l’obtenir ; et encore... Elle n’est toujours pas effective, que ce soit en matière de salaire, de promotion, d’accès à des postes à responsabilité tant dans les entreprises qu’en politique. La démocratie, si l’on en juge par celle vécue dans les pays occidentaux, n’apporte pas d’elle-même l’égalité des possibilités à laquelle les femmes ont droit. Le poids des mentalités où l’influence des religions, même inconsciente, demeure rétrograde, n’est jamais favorable aux femmes. Dans vos pays, même en Tunisie qui connaît le code de la famille le plus avancé de tous les pays musulmans, il y a des forces qui veulent le remettre en question. Vous ne le savez que trop. Et vous savez aussi combien l’on peut facilement remettre en question des acquis en périodes troublées. Aussi, me semble-t-il, c’est dès aujourd’hui qu’il faudrait mettre en avant vos revendications afin qu’on ne puisse les reporter à demain, sous le prétexte si souvent employé, quand il s’agit des femmes, qu’il y a plus urgent. Ce rappel de vos droits doit l’être maintenant. Vos revendications font partie intégrante du processus démocratique. Il ne faut donc pas qu’on puisse vous considérérer comme une "force d’appoint" dont "on s’occupera plus tard, une fois les choses stabilisées". Votre voix doit se faire entendre. Ce qui me fait vous écrire, c’est cette constatation : je n’ai pas vu de femmes au sein des instances provisoires de vos révolutions. Et je me suis demandé pourquoi. Pourtant, beaucoup d’entre vous se sont battues au cours de ces noires années de dictature et de corruption. Beaucoup ont été emprisonnées ; d’autres ont dû s’exiler. Or je n’en vois aucune qui apparaisse. Je me permets aussi d’ajouter un autre point qui me paraît fondamental en ce qui concerne le droit des femmes : c’est la laïcité. Comme pour la démocratie, ce n’est pas la laïcité en soi qui apportera l’égalité entre les hommes et les femmes. Mais la séparation du religieux et du politique permet de prendre la distance nécessaire par rapport au religieux - qui infériorise toujours les femmes - afin d’établir cette égalité. Elle permet aux femmes de sortir de la contrainte que fait peser sur elles la conception que la religion transmet d’elles. Juliette Minces Bibliographie non exhaustive : Mercredi 23 mars 2011, dans le magazine Ever. * Nous remercions l’auteure et le Mis en ligne sur Sisyphe, le 24 mars 2011 Lire aussi : – "Égypte 2011 - La révolution exclut-elle les femmes ?", par Windey Brown, directrice du programme Droit international et politique d’Amnesty International.
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