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mars 2003


Le règne de l’ingéniosité
Comment aider les Africaines ?

par Julienne Zanga, écrivaine<BR>






Écrits d'Élaine Audet



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La condition des femmes africaines, de prime abord, n’a rien d’un tableau idyllique. Au contraire, elle pousse plutôt au pessimisme. Difficulté d’accéder au crédit, à la terre, pesanteurs venues de la culture ou de l’intégrisme religieux, climat social (conflits, guerre, absence de démocratie réelle) excluant une véritable stabilité sociale, condition sine qua non d’une croissance économique durable… Mais, femmes d’action et de combat, les Africaines, qu’elles soient des villes ou des campagnes, intellectuelles ou pas, femmes d’affaires ou simples revendeuses de vivres, se battent chaque jour pour se construire un avenir sinon meilleur, du moins différent. Ce que je souhaite, jeune africaine, varie en fonction de mes interlocuteurs.

Aux dirigeants africains d’être à l’écoute de leur société civile

Aucun progrès dans la condition des femmes ne peut se faire sans les principales concernées. Au lieu de chercher à calquer son développement sur ce qui se fait ailleurs sans toujours en vérifier la faisabilité ou l’utilité sur son sol, l’Afrique devrait elle-même réfléchir à cette question : quel modèle de développement pour nous ? Ainsi, les gouvernements africains ont le devoir d’œuvrer à l’établissement d’une société plus juste où les femmes ne seront plus des citoyennes de seconde zone. Il faut une réelle volonté politique pour que, le seul ministère qui leur revienne ne soit plus celui des affaires sociales. Elles sont des gestionnaires aguerries et beaucoup ont des compétences pour occuper des postes à responsabilité. Certains États l’ont d’ailleurs compris et n’hésitent plus à confier des postes clé à des femmes (Le Sénégal s’est illustré comme le premier pays d’Afrique francophone à avoir une femme Première Ministre, même si cette primeur n’a duré que quelques mois). Il faut une volonté du pouvoir public pour réformer un droit (divorce, pension alimentaire, succession…) souvent contraire aux intérêts des femmes africaines. Et pour faire entendre leur voix, elles n’hésitent plus à se constituer en associations-lobbying, à mettre en place des Organisations Non Gouvernementales. Même s’il faut reconnaître que souvent, beaucoup d’ONG sont plus ou moins inféodées au pouvoir officiel, leur utilité, ne serait-ce que parce qu’elles font naître une société civile et développent l’esprit critique ou la participation socio-politique, est incontestable. L’écrivaine malienne Aminata TRAORE, fervente pourfendeuse d’une mondialisation qui appauvrit un peu plus l’Afrique, en est un exemple. C’est sous son instigation que, pour poursuivre dans la lignée du forum social de Port Alegre au Brésil, s’est dernièrement tenu à Bamako le forum social africain.

Pour beaucoup d’Africain-es, les pouvoirs en place ne sont que des caisses de résonance des grandes puissances occidentales. En réalité, face à des institutions telles que le FMI ou la Banque Mondiale, quelle est la marge de manœuvre de ces dirigeants souvent élus dans des conditions douteuses ? Peuvent-ils réellement s’opposer à la mise en œuvre de mesures qui, loin d’atténuer la fracture sociale, la précipite ? Les Africain-es en doutent. A chaque rencontre du G8, la question de l’annulation de la dette est remise sur le tapis et comme toujours, aucune mesure d’importance ne suit. Il est presque scandaleux de voir que la quasi-totalité de la richesse créée par ces milliers d’Africaines anonymes, au prix de multiples efforts, sortira du pays sous forme de remboursement de dette. Il est choquant de voir que des secteurs primordiaux comme la santé seront sacrifiés (réductions budgétaires oblige), que ces femmes continueront d’acheter au prix fort des articles importés, car loin de contribuer à installer des manufactures sur place, la richesse nationale sert à rembourser des intérêts d’une dette qui augmente chaque année.

Aux Africaines et Africains de se remettre en cause individuellement d’abord, collectivement ensuite

En tant qu’Africaine, j’estime qu’un des facteurs de notre condition actuelle est notre mentalité. L’Afrique a tendance à se présenter comme la terre de la solidarité, mais celle-ci est essentiellement familiale ou tribale. Beaucoup de bien a été dit sur les tontines mais en règle générale, l’adhésion s’y fait surtout par affinité régionale ou tribale. Qu’est-ce qui peut déstabiliser les rapports entre personnes de races ou d’origine différentes amenées à vivre ensemble ? En Europe, on parlera de racisme, en Afrique noire, le tribalisme est une véritable gangrène sociale. D’accord, l’histoire coloniale a contribué à favoriser ce système. Les anciennes puissances ont tiré profit de ces querelles, partant du principe qui veut qu’il faut "diviser pour mieux régner". Pour avoir une mainmise totale sur un pays, on n’a pas intérêt à voir se développer un fort sentiment d’appartenance nationale. Aujourd’hui encore, beaucoup d’africains disent "appartenir d’abord à un groupe ethnique" et non à un pays. La notion de Tribu semble l’emporter sur la notion de Nation. Souvent, l’opposition sensée combattre le pouvoir n’est que le reflet des intérêts d’une région qui aspire à son tour à "occuper la tête du pays". Or, pour mener à bien des projets de développement nationaux, il est indispensable de partager la même vision de l’avenir, d’avoir un projet de société ou chaque composante de celle-ci, quelque soit son origine ethnique ou culturelle, se retrouverait. Chaque mère africaine, avant de dénigrer devant sa progéniture telle personne, parce qu’issue d’une tribu jugée "inférieure", devrait se poser la question de savoir quel impact cela aura non seulement sur ses propres enfants, mais aussi sur leurs rapports avec les autres membres de la société. Toute mère africaine, avant de dire à sa fille que sa place est non pas près des hommes mais à la cuisine, devrait réfléchir sur les conséquences de son acte sur la personnalité de son enfant. Chaque Africaine, avant de "graisser la patte" avec quelques billets de banque pour obtenir rapidement un service, devrait savoir qu’elle concourt à faire perdurer ce système de corruption endémique en Afrique. De même, au vu de ce qui se passe sur le continent sur le plan politique, on est en droit de se demander quel rôle peuvent bien jouer les mères et épouses de cette élite préoccupée par le partage sans concession du pouvoir.

Et pour aboutir à une telle prise de conscience individuelle, les intellectuelles du continent doivent jouer leur rôle. Souvent, lorsque, par leurs attitudes, les femmes contribuent à maintenir le statu quo, beaucoup n’en sont pas conscientes. Elles agissent de cette manière parce qu’il en a toujours été ainsi. On le voit, c’est essentiellement par l’instruction, parce qu’elles ont accès à d’autres réalités, que naît une prise de conscience de ces mécanismes psychologiques. C’est parce qu’elles ont accès à l’information que certaines femmes dépassent les clivages tribaux acquis depuis l’enfance. L’instruction n’étant malheureusement pas accessible à toutes, c’est aux intellectuelles de se rapprocher de la masse par un discours engagé, afin de réveiller sa conscience, afin de lui faire voir les vrais enjeux. Il ne s’agira plus de voter pour un élu parce qu’il est originaire de notre région, mais parce que son programme de société se rapproche de nos convictions
Une fois cette remise en cause individuelle effectuée, il s’agit de franchir un pas supplémentaire par une prise de conscience collective afin d’aboutir à l’émergence d’une société civile africaine forte et qui n’hésitera plus à joindre sa voix à cette autre société civile occidentale pour des combats vitaux telle que l’annulation de la dette des pays du tiers-monde.

Au monde civil occidental d’éviter le piège de l’apitoiement

Parlant par exemple des associations humanitaires, nul ne peut réfuter leur rôle, mais on est en droit de s’interroger sur leurs méthodes d’approche. Pour lever des fonds, elles ont de plus en plus recours à une publicité à double tranchant. Dans leur souci de mobiliser l’opinion occidentale, elles recourent à des images choc (spots, affiches géantes de corps décharnés, mutilés, d’enfants squelettiques, de femmes au regard vide, vêtements en lambeaux…). Pour moi, cela nourrit quelque part les vieux clichés que j’ai décriés plus haut. Qu’elles font pitié, ces pauvres femmes ! L’autre, qui vit dans un monde ne connaissant pas toutes ces affres, culpabilise, s’apitoie. Combien n’ont pas crié à un enfant : "Finis donc tes restes ! Pense à ces pauvres africains qui meurent de faim". Originaire de ce continent, je ne partage pas cette façon de voir les choses. Je refuse qu’on me prenne en pitié, qu’on s’apitoie uniquement sur moi. Conforme à ce proverbe chinois, je souhaite qu’on m’apprenne à pêcher au lieu de me donner du poisson. Je souhaite plutôt qu’on m’aide, en me considérant déjà non pas seulement comme la pauvre victime, mais aussi comme un être à part entière qui met des actions en place pour s’en sortir, un être qui veut que sa dimension positive soit aussi reconnue.

"Les braves ont besoin de courage", disait la Béninoise Angélique KIDJO*. Je terminerai par ses mots : "La féminité est importante et en tant que femme, nous devons élever les hommes dans le respect de la vie et je crois que nous, femmes noires, avons la force et le pouvoir de leur transmettre ces valeurs."

Notes

* Interview d’Angélique KIDJO dans le mensuel MISS EBENE de novembre 2002 (France)

Tous les articles du dossier Femmes d’Afrique

1. L’essor des femmes de l’Afrique subsaharienne
2. Ingénieuses femmes d’Afrique. Les tontines
3. Comment aider les Africaines ?
4. Les femmes au coeur de la création littéraire africaine

Les internautes peuvent se procurer les livres de l’auteure sur son site personnel.



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Julienne Zanga, écrivaine<BR>

Née à Yaoundé, capitale du Cameroun, en 1973, Julienne ZANGA a fait un baccalauréat en lettres avant de poursuivre des études de maîtrise en Sciences Sociales à l’Université Catholique d’Afrique Centrale (Yaoundé). En 1996, elle s’installe en France et en 1997 se lance dans l’écriture pour atténuer le mal du pays. Depuis, elle n’a plus cessé d’écrire. Les écrits de Julienne Zanga abordent autant le genre jeunesse que la nouvelle ou le roman. Elle est l’auteure de deux romans : Alima et le prince de l’océan (Dapper, 2001) et Eboni. Celui qui courait après un corps (TrialEditions, 2003). Julienne Zanga vient de recevoir le prix du roman jeunesse 2002, décerné par l’Ile Maurice. L’écrivaine caresse le désir de s’essayer plus tard à la BD (scénario). Même si ses écrits s’inspirent essentiellement de l’Afrique, son continent d’origine, elle n’hésite pas à mélanger les lieux, les temps, les races : "La diversité culturelle est une richesse", dit-elle. Julienne Zanga vit aujourd’hui en région parisienne. Elle vous invite à visiter son site personnel.



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