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lundi 6 février 2012

L’excision, une « affaire de femmes » ?

par Un certain genre






Écrits d'Élaine Audet



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On parle beaucoup de l’excision, cette ablation partielle ou totale du clitoris, que subissent 300 millions de fillettes dans le monde, en grande partie dans des pays africains. On dit aussi souvent que c’est une « affaire de femmes », puisque celles-ci sont à la fois les victimes puis les organisatrices de cette pratique, et aussi les principales activistes pour son abolition.

Exciser est effectivement un « métier » exercé par des femmes, et les recherches (1) montrent également à quel point l’opinion des mères excisées influence la décision d’exciser leurs filles.

Parce que l’excision est « une affaire de femmes », il ne s’agirait pas de l’une des marques de la domination masculine ?

Rappelons ce que Bourdieu nous expliquait de la domination masculine :

« On ne peut penser cette forme particulière de domination qu’à condition de dépasser l’alternative de la contrainte (par des force) et du consentement (à des raisons), de la coercition mécanique et de la soumission volontaire, libre, délibérée voir calculée. » (2)

Consentir à reproduire une domination, ce n’est pas être libre, encore moins être libérée de cette domination.

À cet égard, l’apport de la recherche est crucial pour comprendre la complexité des rapports de genre, au-delà des idées reçues. Ainsi, le chercheur Bernard Dembele (3) confirme qu’au Burkina Faso les filles de mères excisées ont davantage de risques d’être excisées que les autres.

Il nous apprend également que les pères tendent à sous-estimer leur rôle dans la décision d’excision, au profit de leurs épouses. Et pourtant : selon B. Dembele, les couples composés d’un homme favorable à l’excision et d’une femme opposée ont plus de chances d’exciser leur fille que lorsque c’est la femme qui est pour l’excision.

L’excision est donc peut-être une affaire de femmes, mais dans un contexte de pouvoir de décision inégal au sein des couples, où c’est l’opinion du mari prévaut sur celle de l’épouse.

La chercheuse Séverine Carillon (4) aboutit aux mêmes résultats dans sa recherche à Djibouti et interroge directement la posture effacée des hommes dans ce domaine. « Si donc les femmes détiennent le pouvoir de décider de l’excision de leurs propres filles, c’est parce que les hommes n’interviennent pas. La non implication ou l’implication partielle des hommes est donc volontaire et recherchée. »

La chercheuse met en lumière la violence symbolique à l’œuvre dans l’excision. Les femmes, en reproduisant sur leurs filles la violence physique qu’elles ont-elles-mêmes subies, signifient par là qu’elles acceptent de participer d’elles-mêmes à leur propre mutilation et ainsi à leur soumission aux hommes. « Par conséquent, en excisant les fillettes, les femmes donnent implicitement la possibilité aux hommes de contrôler sexualité et fécondité des femmes. L’invisibilité des hommes apparait alors très lourde de sens » (S. Carillon)

La domination masculine, intériorisée par les femmes, s’exprime avec la reproduction d’un acte symbolique de générations en générations, dans le silence coupable des hommes, conscients pourtant de leur capacité à faire cesser cette pratique.

De la recherche à l’action

Que penser de ces résultats de recherche ? Que seul un travail plus profond sur les normes de genre et la symbolique masculin/féminin peuvent susciter le changement. Que les lois seules ne suffisent pas. Et enfin, qu’un discours occidental sur l’excision comme violence ne peut être entendu par des femmes qui, presque nées excisées, portent en elles ce stigmate d’infériorité qu’il est très difficile de dépasser pour le combattre.

Les seules femmes excisées que j’ai entendu dénoncer l’excision expliquent qu’elles ont découvert la violence dont elles ont été victimes lors de discussions avec des femmes non excisées. La première violence, celle de la perte du clitoris et donc d’une part immense du plaisir féminin, est celle qui les a fait prendre conscience et les a menées à l’activisme.

Pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas de même dans les campagnes nationales de sensibilisation sur l’excision ? Tout simplement parce que peu de gens osent parler de sexualité. L’excision n’est abordée que comme un problème de santé, sans mettre les mots sur les choses. Commençons par oser parler sexualité et rapports de genre.

Notes

1. Citons par exemple : Education des femmes et pratique de l’excision dans 2 pays ouest africain (le Burkina Faso et le Mali), Olga TOUGMA, Binta DIEME, communication à la conférence Africaine sur la Population, Ouagadougou, décembre 2011. Les auteures montrent que dans les deux pays d’étude, l’excision de la mère est fortement corrélée avec la probabilité pour une fille d’être excisée et constitue même la variable la plus déterminante.
2. La Domination masculine, Pierre Bourdieu, 1998.
3. Accord ou désaccord entre conjoints sur l’excision de la jeune fille au Burkina Faso ?, Bernard Dembele, INSD, Burkina Faso.
4. La pratique des mutilations génitales féminines à Djibouti : une « affaire de femmes » entre les mains des hommes, Séverine Carillon, Véronique Petit, Autrepart (52), 2009, pp 13-30

Quelques liens :

. La Fédération GAMS pour l’intégrité de toutes les femmes
. La campagne européenne End FGM
. L’ONG Tostan

Visitez l’excellent blogue Un certain genre.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 6 février 2012



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Le genre, concept incertain ? Un sujet qui ne concerne qu’un certain genre ? Au-delà du concept et de la théorie, c’est quoi le genre, sur le terrain ? Voilà un mot qui suscite de nombreuses questions, auxquelles ce blog n’a pas l’ambition de répondre. Bien au contraire, l’auteure est bien du genre à vouloir provoquer des remises en questions ! Le sujet, le voilà : ce blog a vocation à traiter des questions de genre et de droits des femmes, principalement sur le continent africain.



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