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mercredi 30 juin 2004

La complainte de Salomon

par Marie Savard, poète






Écrits d'Élaine Audet



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Les Pères de l’Église statuèrent que la bien-aimée du Cantique des cantiques de Salomon n’était pas une femme, mais la représentation symbolique d’une institution, leur Église catholique. Ce n’était pas une idée nouvelle puisque pour les juifs (le Cantiques des cantiques fait aussi partie du corpus de leurs textes sacrés), la bien-aimée était la représentation symbolique du peuple juif.

Voici la complainte d’un amoureux en désarroi, en quête de sa bien-aimée, du féminin exclu tant dans la culture grecque que judéo-chrétienne.

Aurions-nous caché la racine en brouillant les traces
Aurions-nous perdu la vue depuis si longtemps
que tous nos mots d’amour en seraient devenus aphones
D’où vient cet air d’aller au doigt et à l’œil
d’un très grand architecte solitaire et guerrier
maître d’œuvre de tout de toute éternité
Sommes-nous de poussières rapaillées
au souffle de ce trop grand pour habiter parmi nous
moi et les fils de ma mère
Quels tristes clones sommes-nous
Que nous a-t-il fallu croire pour oublier
que la terre respire

          ***

Sur la route des nuages au-dessus du fleuve
j’ai vu la marche funèbre des étoiles consternées
Dans la maison de sa mère où elle se tenait
vous avez pris ma bien-aimée
et vous l’avez remise "à garder les vignes
pendant que sa vigne
à elle
elle ne l’a pas gardée" *
Vous m’avez fait un tort irréparable
à moi et aux fils de ma mère
vous avez pris ma bien-aimée

Ce que disent les étoiles
sur la route des nuages au-dessus du fleuve
c’est la constellation de vos égarements
de votre déréliction
votre dénégation
d’elle
ma bien-aimée
car, dans la chambre de celle qui l’avait eue
qui l’avait mise au monde
vous avez pris ma bien-aimée
et vous l’avez tuée
et c’est sur sa tombe que vous avez bâti votre Église

À chaque fois
disent encore les étoiles à mesure que j’avance
au-dessus du fleuve
à chaque fois qu’une femme meurt
de main de maître
l’irréparable s’empile
l’instinct de mort ressort
le samedi soir
par habitude ou par trop-plein
de mots d’amour qui ont perdu la voix
l’irrémédiable crie au miracle
il tue

IL EST DE TOUTE URGENCE
QUE LA MORTE GONFLABLE SOIT BAISÉE
FONCTIONNELLE ET JETABLE DE TOUTE ÉTERNITÉ

ite missa est
message transmis

Une lumière tait la lumière
à mesure que j’avance au-dessus du fleuve
Est-ce là qu’elle était
un jour de mai en lais
Est-ce là qu’elle allait
voir et toucher la mer dans sa coquille

Une lumière tait la lumière
les ombres se ramassent à la loupe, à la louche
dans les odeurs fumantes des rives du décor
un turbo voyageur passe et se remémore
le temps où les enfants jouaient dehors

Une lumière tait la lumière
lumière d’époque blanche
encastrante et louchante à mesure que j’avance
lumière sertie
dans la pierre fine des condominiums
comme autant de repères
au bon sens du consortium
lumière tapie
des auberges retapissées
rapetissées au bord de l’eau
où mangent les vieillards avant de s’en aller
et de s’apercevoir à travers les rideaux
une dernière fois
avant de refermer la porte sur soi

Une lumière tait la lumière
avant la neige
pour que l’hiver entraîne dans son manège
le souvenir des mères d’avant-hier
l’hécatombe des filles de leurs grand-mères
dans la chambre de la maison longue
où elles se tenaient

Est-ce là qu’elle était
dans la lumière pelée
ostentatoire
de la certitude blasphématoire
qu’installèrent les robes noires
devant leur miroir ?
Est-ce là

Une lumière tait la lumière

Sous la route des nuages au-dessus du fleuve
vous avez pris ma bien-aimée
et c’est dans sa chair que vous avez bâti votre Église

Vous m’avez fait un tort irréparable
à moi
et aux fils de ma mère
vous avez tu ma bien-aimée

          ***

Qu’est-il tenu de croire
aux caractères inscrits
dans la prière des pierres
des tables
de l’holocauste
et de refaire
tel
le sacrifice
d’elle ?

Qu’est-il tenu de taire
au centre du sanctuaire

Quand la lune sera sous
l’étoile polaire
et que je serai saoul
dans mes prières
parle-moi de la rose
et du rosier
et je me souviendrai
des moindres choses

* Cantique des cantiques, de Salomon.

Extrait de La Future antérieure, trilogie de Marie Savard publiée aux éditions Trois, 2002.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 27 juin 2004.



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Marie Savard, poète

Poète et auteure-compositrice, née à Québec, Marie Savard a fait des études en sciences sociales à l’Université Laval. Elle publie en 1965 son premier recueil de poèmes aux Éditions de l’Arc. Elle écrit par la suite des textes poétiques et dramatiques pour Radio-Canada pendant dix ans et enregistre plusieurs microsillons de chansons poèmes, dont le célèbre Québékiss en 1971. En 1974, elle initie la première maison d’édition de femmes aux Québec avec La Pleine Lune ; elle y travaillera pendant cinq ans.

Oeuvres de Marie Savard :

Les Coins de L’ove, Québec, Éditions de l’Arc, 1965. ; Le Journal d’une folle, Montréal : Editions de la Pleine lune, 1975 ; Te prends-tu pour une folle, Madame Chose ?, Montréal, Editions de la Pleine lune, 1978 ;
Bien à moi, Montréal, Editions de la Pleine lune, 1979 ; Sur l’air d’Iphigénie : poème fantastique en deux temps, trois mouvements, Montréal, Editions de la Pleine Lune, 1984 ; Les Chroniques d’une seconde à l’autre, Montréal, Editions de la Pleine lune, 1988. Poèmes et chansons, Montréal, Editions Triptyque, 1992. Bien à moi, Laval, Éditions Trois, 1998. Bien à moi : Mine sincerely, traduction et postface de Louise Forsyth, - Éd. bilingue, Laval, Éditions Trois, 1998.
La Future antérieure, Laval, Éditions Trois, 2002.



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