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mardi 11 août 2009

L’Affaire Chantale Daigle : les femmes se souviennent !

par Collectif*






Écrits d'Élaine Audet



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Le 8 août 1989, la Cour suprême du Canada rendait son jugement dans l’affaire Chantale Daigle, mettant ainsi fin à un suspens qui a tenu le Québec et le Canada en haleine pendant quelques semaines. Aujourd’hui, nous tenons à souligner le 20e anniversaire de ce jugement qui demeure un des plus importants en matière de droit à l’avortement.

Rappelons brièvement les faits. Au début du mois de juillet 1989, Chantale Daigle, enceinte de Jean-Guy Tremblay, quitte cet homme jaloux, contrôlant et de plus en plus violent. Elle ne souhaite plus avoir d’enfant ni de contact avec lui et entreprend des démarches afin d’interrompre sa grossesse. C’est en route vers une clinique d’avortement qu’elle apprend qu’elle est sous le coup d’une injonction émise par la Cour supérieure, à la demande de Jean-Guy Tremblay, qui lui interdit de se faire avorter, sous peine d’un emprisonnement maximal d’un an et d’une amende de 50 000$. Selon ce dernier, l’avortement de son ex-petite amie lui causerait un préjudice sérieux et irréparable… ainsi qu’à « l’être vivant » qu’elle porte en elle. Chantale Daigle devient ainsi la seule femme au Canada ne pouvant se faire avorter.

À Val d’Or, le 17 juillet, la Cour supérieure maintient l’injonction. Le juge Viens fonde sa décision sur le « droit à la vie de tout être humain » garanti par la Charte des droits et libertés du Québec et interprète diverses dispositions du Code civil pour inclure le fœtus dans l’expression « être humain ». Il déclare que Jean-Guy Tremblay avait, pour des fins de protection de la vie et de sa progéniture, les motifs nécessaires pour demander l’injonction. Quant aux droits de Chantale Daigle, le juge conclura : « La situation est certainement pénible et difficile pour elle et nous en sommes conscients. Mais le Tribunal, dans les circonstances présentes ici, ne peut que constater que le droit à la vie de l’enfant qu’elle porte l’emporte nettement et sans ambiguïté sur les inconvénients que l’intimée pourrait subir éventuellement ». (Desmarais, 1999, p. 334)

Chantale Daigle s’adresse alors à la Cour d’appel qui, le 26 juillet 1989, confirme la validité de l’injonction, dans une décision majoritaire à trois juges contre deux. Déboutée une seconde fois, la jeune femme porte sa cause devant le plus haut tribunal du pays.

En raison de l’avancement de la grossesse de Chantale Daigle, les juges de la Cour suprême sont réunis d’urgence et la cause est entendue le 8 août 1989. Pendant les plaidoiries des avocats des deux parties, c’est la consternation ! L’avocat de Chantale Daigle apprend que celle-ci s’est fait avorter, à Boston, la semaine précédente. La cause devient pour ainsi dire caduque, mais après réflexion, les juges de la Cour acceptent de poursuivre l’audition sachant que d’autres femmes pourraient subir le même sort (rappelons que deux autres injonctions au Canada avaient aussi été présentées par des géniteurs en quelques semaines). Le jour même, la Cour suprême rend une décision unanime en faveur de Chantale Daigle.

Dans ce jugement historique (Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530) qui n’a jamais été contredit depuis, la Cour suprême affirme que les droits du fœtus et les droits du père en puissance n’existent pas. La Cour ajoute que seule la femme enceinte a le pouvoir de décider si une grossesse sera menée à terme et que le père n’a aucun « intérêt » sur le fœtus. Elle conclue que « le fœtus n’est pas compris dans les termes « être humain » utilisés par la Charte québécoise et, par conséquent, ne jouit pas du droit à la vie conféré par son article premier ». Ce jugement, ainsi que l’arrêt Morgentaler, qui décriminalisait l’avortement un an et demi auparavant, constituent encore aujourd’hui les jalons juridiques du droit à l’avortement au pays.

Mais l’histoire de Chantale Daigle n’est pas seulement remarquable en raison de son caractère fortement médiatisé, des acteurs en présence, et de sa contribution en matière de droits des femmes. C’est aussi l’histoire d’une formidable mobilisation et d’une grande solidarité, entre cette jeune femme de 21 ans qui ne se disait pas féministe et le mouvement en faveur du libre choix. Au lendemain de la décision de la Cour d’appel, Chantale Daigle, alors enceinte de 21 semaines et incertaine de la décision de la Cour suprême, accepte l’aide du Centre de santé des femmes de Montréal. Quatre militantes féministes, aussi déterminées que Chantale Daigle et défiant elles aussi les tribunaux, orchestrent clandestinement son avortement aux États-Unis, l’aident à traverser la frontière incognito, détournent l’attention des médias et des anti-choix, et l’accompagnent tout au long de son avortement.

Pendant ce temps, le mouvement féministe prépare la riposte. En quelques jours, la Coalition québécoise pour le droit à l’avortement libre et gratuit (CQDALG), composée de groupes féministes, syndicaux, sociaux et étudiants, et forte de l’appui d’une grande partie de la population, organise la plus grande manifestation jamais vue en faveur de la liberté de choix au Canada. Ainsi, le 27 juillet, plus de 10 000 personnes manifestent leur appui à Chantale Daigle dans les rues de Montréal.

Dans un discours prononcé à cette occasion, la porte-parole de la CQDALG, Andrée Côté, exprime l’indignation provoquée par le jugement de la Cour d’appel : « La portée de ce jugement est très grave pour les femmes… Ce jugement vient étendre aux hommes, aux chums et aux époux le pouvoir de contrôler individuellement la liberté et les maternités des femmes. C’est une décision patriarcale… Elle donne aux pères plus de pouvoir qu’aux mères sur la maternité. » (Desmarais, 1999, p.339). L’histoire de Chantale Daigle devient l’histoire de toutes les femmes du Québec, qui refusent de laisser à quiconque le pouvoir de décider à leur place.

Dans le Manifeste des femmes du Québec, la CQDALG compare le fait de forcer une femme à poursuivre une grossesse non désirée à un viol : « La forcer, sous la menace d’emprisonnement, à porter dans son corps un enfant qu’elle ne veut pas mettre au monde, c’est de la violence physique et psychologique… jusqu’à maintenant, les décisions des tribunaux dans l’affaire Chantale Daigle démontrent que la magistrature s’est fait complice de la violence conjugale. Ces jugements sont fondés sur des principes sexistes qui légitiment l’appropriation des femmes par les hommes, et non sur des principes de justice fondamentale qui garantissent aux femmes l’égalité. »

Le jugement de la Cour suprême aura tranché la question pour les décennies à venir : en matière d’avortement, les femmes sont les seules juges.

Souligner les 20 ans de ce jugement, c’est souligner cet acquis fondamental, ainsi que le courage de Chantale Daigle et celui de toutes les femmes qui, encore aujourd’hui, doivent se battre pour exercer et défendre leur droit de décider librement de leur maternité.

Références : Desmarais, Louise. Mémoire d’une bataille inachevée, la lutte pour l’avortement au Québec 1970-1992. Éditions Trait d’union, 1999, 441 pages.

* Cette lettre est une initiative de la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN), en collaboration avec des groupes féministes, syndicaux et de militantes à titre individuel :

  • Centrale syndicale du Québec (CSQ)
  • Centre de santé des femmes de Montréal
  • Confédération des syndicats nationaux (CSN)
  • Fédération des femmes du Québec (FFQ)
  • Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ)
  • L’Intersyndicale des femmes
  • L’R des centres de femmes du Québec
  • Table des groupes de femmes de Montréal
  • Pascale Brunet, Danielle Casara et Louise Desmarais

    Mis en ligne sur Sisyphe le 10 août 2009

     Lire aussi : "Avortement au Québec - La tentation du désengagement de l’État", par Micheline Carrier



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