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mercredi 1er novembre 2006 Françoise Gange et la mémoire ensevelie des femmes
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J’ai fait la connaissance de Françoise Gange, il y a quelques années, par l’entremise d’un ami à qui j’avais parlé de mon intérêt pour le travail du groupe de recherche de l’Université Laval (Anne Pasquier, Catherine Barry, etc.) sur les manuscrits coptes de Nag Hammadi, notamment l’Évangile selon Marie-Madeleine. Françoise Gange se consacre à l’exploration des mythes depuis 20 ans. Jésus et les femmes est profondément inspirant et va à contre-courant du manichéisme instauré par la pensée patriarcale. Le hasard a voulu que je reçoive en même temps que ce livre, lors de sa première parution en 2001, Les femmes et la guerre de l’auteure québécoise, Madeleine Gagnon. Alors que celle-ci se penche sur la parole des femmes qui ont vécu la guerre ces dernières années, Françoise Gange analyse l’enseignement de Jésus à travers l’évangile selon Marie et les autres écrits gnostiques, prônant la connaissance engendrée par l’unité indissociable de la chair et de l’esprit, occultés par les religions monothéistes et les Églises officielles. Parties de si loin l’une de l’autre, elles se rejoignent pour trouver une même origine à la violence dans la guerre inavouée des hommes contre les femmes, de la naissance du patriarcat, il y une trentaine de siècles, jusqu’aux sales guerres d’aujourd’hui dont les femmes, et de façon générale, les populations civiles sont désormais les principales victimes. En fermant Jésus et les femmes, on est convaincu que l’éradication de la violence et de la guerre ne peut venir que de la reconnaissance, autant chez une femme que chez un homme, de la présence en l’une et en l’autre des attributs du “sexe opposé”. Qui donc voudrait tuer ce qui est partie intégrante de son être ? Ainsi se multiplient les points de rencontres comme autant de zones érogènes tant pour l’esprit que pour le corps. La compréhension devient possible parce qu’il ne s’agit ni de contrôle ni de soumission, ou d’avoir toujours raison, mais d’un pont vers l’autre, d’élargissement de la connaissance et d’une véritable co-naissance. C’est à une relecture des grands mythes fondateurs que nous invite Avant les Dieux, la mère universelle (2006), précédemment paru en 1998 sous le titre Les Dieux menteurs chez Indigo & Côté-femmes éditions. Cet ouvrage met en lumière le combat acharné que les héros du nouvel ordre patriarcal ont dû livrer à la très antique culture de la Grande Mère, pour imposer leurs Dieux, dans un panthéon jusque-là féminin. Françoise Gange analyse comment est née cette usurpation de tous les rôles par les hommes et la finalité originelle du mariage, soit l’enterrement des femmes. Le même mot, à Sumer, "muti", exprime l’époux et la mort ! Tout un programme, dit-elle, sans compter que dans la langue française, il est resté “mutisme”. Le Jésus de la gnose et tous ceux qui se sont réclamés de cet enseignement-là de Jésus, rejetaient le mariage (parce que c’était l’union d’un dominant et d’une dominée), ils l’appelaient "la relation de souillure", par opposition à la libre union d’amour, à la fois spirituel et charnel, qui élève et réalise la réunion au Tout. Gange donne aussi des séminaires sur ce qu’elle appelle "la première mémoire ensevelie", consacrés au temps de la Déesse à Sumer, ainsi que sur le Jésus de la Gnose. Un Jésus qu’elle nous montre entouré de ses disciples hommes et femmes et enseignant la réunification de l’humain, la réconciliation du masculin et du féminin à l’intérieur de soi et à l’extérieur, dans une alliance qui dépasse la catégorisation par sexe. La philosophe met en lumière le combat acharné que l’ordre patriarcal a dû livrer à la culture antérieure de la Déesse. Il semble de plus, dit-elle, que cette révolution sans précédent - première guerre idéologique de l’Histoire - qui ébranla l’humanité à partir des âges du bronze, inversant les valences du divin ainsi que toutes les valeurs, se soit vérifiée dans toutes les cultures. Cette "autre" lecture des mythes est à même de renouveler notre conception de l’Histoire en lui restituant sa dimension occultée. Françoise Gange a vécu sept ans en Afrique pour y enseigner la philosophie et elle a fait une série de conférences sur Michel Foucault à Pondichéry, en Inde. Elle dit s’être sentie si bien là-bas qu’elle a eu l’impression d’y avoir trouvé son véritable pays. Elle constate qu’il est incroyable de voir à quel point la religion est, dans les mentalités, si souvent au service d’un intégrisme qui interdit de réfléchir et d’incorporer les éléments nouveaux dévoilés par les plus récentes découvertes sur la naissance des mythes et des religions. En ayant démonisé et réduit le féminin à l’état de "corps sans âme", l’ordre patriarcal, qui a, par contre, magnifié le viril au delà de toute mesure (non le masculin en soi, mais cette caricature qu’est le viril conquérant, tissé de violence, de compétition, de mépris de l’autre, et devenu une véritable machine de mort), a engagé le monde sur la voie des guerres sans fin. Philosophe de formation et diplômée en sociologie, Françoise Gange est également l’auteure de quelques romans, Amina (Denoël, 1990), La ville plus basse que la mer (Flammarion, 1994), Le goût du rhum blanc (Flammarion, 1995) et a participé à plusieurs ouvrages collectifs dont Femmes de pouvoir : mythes et fantasmes (L’Harmattan, 2001). Lire l’entretien À la redécouverte du Féminin dans les grands mythes du monde, par Laure Poinsot, sur le site des Pénélopes. Mis en ligne sur Sisyphe, le 24 octobre 2006. |