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vendredi 7 avril 2017


Harcèlement, intimidation, radicalisation, éducation
Faut-il que les jeunes s’éloignent des écrans pour reprendre leur vie en main ?

par Jacques Brodeur, consultant en éducation et en prévention de la violence






Écrits d'Élaine Audet



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Les technologies numériques pourraient-elles à la fois nous libérer et nous asservir ?

À la suite des agressions commises dans une résidence universitaire québécoise, on a entendu des déclarations empreintes de bonnes intentions. Quelques jours plus tard, la capitale nationale du Québec accueillait un forum de l’Unesco sur la radicalisation et l’Internet. On aurait pu s’attendre à ce que quelqu’un, en haut lieu, fasse le lien entre la technologie numérique et la détérioration du vivre-ensemble dans nos écoles, collèges et lycées. Comment le fil a-t-il pu échapper à notre vigilance ?

Retour en 2001

C’est en 2001 que paraissait l’Avis du Conseil supérieur de l’éducation sur les difficultés de comportement des élèves de nos écoles primaires : hausse de 300% entre 1985 et 2000 (1). Un chapitre complet sur les facteurs ayant contribué à cette hausse aussi rapide qu’inquiétante : structure familiale fragilisée, encadrement parental défaillant, exposition accrue à la violence médiatique.

La même année, une dépêche de l’Associated Press (2) en provenance de Californie rapportait une étude réalisée par le Centre de recherche en prévention de l’École de médecine de l’Université Stanford. L’équipe du Dr Thomas Robinson venait de publier les résultats obtenus grâce à un programme nommé SMART, acronyme de Student Media Awareness to Reduce Television (Vigilance médiatique des élèves pour réduire le temps-télé) (3). L’acronyme a un double sens, car le mot anglais smart signifie également malin, rusé, vif, intelligent. L’étude avait démontré que, sans aucun produit pharmaceutique, le programme avait fait diminuer la violence physique et verbale de 40 et 50%.

Surprise additionnelle, la réduction du temps-écrans a aussi fait fondre l’adiposité et pouvait donc servir à faire diminuer le risque d’excès de poids et à prévenir l’obésité. Triple surprise : le programme avait permis de protéger les enfants des effets négatifs de la publicité en faisant fondre l’asticotage des parents par les enfants pour obtenir des jouets (ou les aliments) montrés à la télévision. L’équipe du Dr Robinson avait donc mis au point une formule révolutionnaire permettant de remédier à trois problèmes aigus sans contribution de l’industrie pharmaceutique. C’était en 2001. En avons-nous entendu parler ? Combien de journaux, revues ou magazines en ont informé la population ? Et les parents ?

Retour en 2016

En 2016, le neuropsychiatre et psychanalyste Boris Cyrulnik commente la hausse des troubles de l’attention.

« L’organisation de nos sociétés méprise une chose fondamentale : les tranquillisants naturels - l’affection, la familiarité, l’action. Le non-recours à ces tranquillisants explique certainement la montée de l’angoisse dans nos sociétés. Par exemple, l’immobilité devant les écrans et à l’école fait que beaucoup d’enfants deviennent anxieux parce qu’ils ne bougent pas assez. Pourtant, l’action a toujours été un très bon tranquillisant. Puis, le développement des hautes technologies et des ordinateurs fait qu’on s’envoie de plus en plus de messages, mais qu’on se parle de moins en moins. Or, c’est un secret de polichinelle, la parole a aussi une fonction tranquillisante, surtout quand on est en famille.

Ainsi, les organisations qui accueillent les jeunes en dehors de l’école - scoutisme, sport de petit niveau, activités sociales ou caritatives, etc, ce qu’on appelle en France ’patronage’ - sont durement critiquées, parfois même méprisées. On constate aujourd’hui que ces rituels d’accueil permettaient aux enfants de se rencontrer. Pour se tranquilliser, il ne leur reste plus que les médicaments. C’est une victoire chimique, mais pas une victoire humaine. »

Boris Cyrulik poursuit : « Par exemple, l’hyperkinésie (trouble du déficit d’attention) qui affecte surtout les garçons en Occident, est probablement attribuable à l’immobilité physique, à l’école ainsi que devant la télé et l’ordinateur. » (4)

Réduction du temps-écrans : une expertise éducative et préventive

Après avoir pris connaissance, en 2001, des découvertes réalisées par les chercheurs de l’Université Stanford en Californie et les avoir combinées au diagnostic du Conseil supérieur de l’éducation sur les difficultés de comportement des enfants du primaire, on a mis au point à Québec un programme de prévention inédit destiné aux écoles. On y présentait des activités destinées à motiver les enfants et mobiliser les parents en faveur de la réduction volontaire du temps-écrans. Ces activités avaient été conçues en fonction de leur compatibilité avec le Programme de formation de l’école québécoise.

Détail non négligeable, le Défi de la Dizaine sans écrans a été lancé en partenariat avec l’Association des comités de parents de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches (ACP 03-12). C’est grâce à l’aide financière des ministères de la Sécurité publique du Québec et du Canada que l’on a pu expérimenter les effets de la réduction du temps-écrans dans des écoles primaires de Bellechasse, Charlevoix et la Basse-Ville de Québec. Les enseignants/enseignantes et le conseil d’établissement de l’école secondaire Louis-Jacques-Casault, à Montmagny, ont également voulu tenter l’expérience avec des adolescent-es en avril 2004. L’été suivant, le bilan détaillé était transmis aux ministères québécois et canadien de la Sécurité publique.(5)

Approche citoyenne éprouvée

Depuis le début du présent millénaire, Edupax a tenté à quelques reprises d’attirer l’attention des décideurs de la santé, de l’éducation, de la sécurité publique, de la culture et de la protection du consommateur sur une approche qui a permis à des dizaines de milliers de familles d’améliorer la santé et le vivre ensemble des jeunes. En 2008, le Défi sans écrans a traversé l’Atlantique et en moins d’une décennie, plus de 200 établissements ont fait goûter la liberté aux enfants et aux adolescents (6).

Le succès remporté par la réduction du temps-écrans telle que proposée par Edupax sous le titre de Défi sans écrans repose sur des éléments avant tout éducatifs : aiguiser le jugement critique des jeunes, augmenter leur capacité d’expression écrite et verbale, augmenter leur pouvoir sur la technologie, les aider à échapper à leur emprise, revaloriser l’encadrement parental, améliorer la complicité parents-enseignants, mobiliser la communauté autour de la reconnexion des jeunes avec la réalité, raviver la mission éducative de l’école et la faire rayonner.

Cette approche à la fois préventive et éducative inscrite au coeur du Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ), touche les domaines suivants : vivre-ensemble et citoyenneté, environnement et consommation, médias et communication, santé et bien-être. Cette proximité avec la mission de l’éducation nationale explique pourquoi les enseignants et enseignantes considèrent l’énergie investie dans la réduction du temps-écrans rentable au plan pédagogique. Au moment d’évaluer le programme, parents et enseignants confirment les effets dont ils ont été témoins :

 88% des parents, 79% des élèves et 95% des membres du personnel ont jugé utile le Défi sans écrans ;
 il a amélioré la santé et le bien-être des enfants disent 66% des parents et 71% du personnel ;
 75% des parents et 87% des enfants disent avoir augmenté le temps consacré aux activités physiques et sportives ;
 52% des enfants disent avoir lu plus souvent ;
 la qualité des travaux scolaires s’est améliorée, disent 45% des enseignants ;
 70% des parents et des enfants ont passé plus de temps en famille ;
 les parents ont eux aussi réduit le temps-écrans : 55% des papas, 71% des mamans ;
 40% des parents ont noté une augmentation de l’aide fournie à la maison par leur enfant ;
 près de 6 enseignants sur 10 ont noté une amélioration de la concentration des élèves en classe ;
 le jugement critique des jeunes s’est amélioré.

Les jeunes reprennent du pouvoir sur leur propre vie, les parents deviennent plus vigilants et l’école augmente son rayonnement dans la communauté. Voilà ce qui explique pourquoi la réduction du temps-écrans se propage par contagion au Québec et en France. Chaque année, dans les nouveaux milieux où le programme s’implante, l’expertise se diversifie, s’enrichit et se transmet.

Réduction du temps-écrans au Michigan depuis 2004

Pendant qu’au Québec, on mettait au point et expérimentait la réduction du temps-écrans avec des élèves du préscolaire jusqu’à la fin du secondaire, au Michigan, une conseillère pédagogique du District scolaire Delta-Schoolcraft poursuivait le même objectif. Les deux démarches se menaient simultanément sans que ceux qui les menaient ne connaissent l’existence de l’autre. Là-bas, le programme s’est appelé Take the Challenge, Take Charge, une invitation à éteindre les écrans et à rallumer sa vie (7). Une fois les outils pédagogiques créés, le District scolaire Delta-Schoolcraft a invité ses écoles à l’expérimenter. Grâce à une aide financière suffisante, l’évaluation des résultats a été beaucoup plus poussée qu’au Québec. On peut trouver sur le site web du programme les résultats constatés par les chercheurs de Harvard. Ils sont exposés dans un diaporama accessible en ligne.

 Trente écoles l’ont expérimenté et les changements ont été évalués ;
 dans la cour de récréation de 8 écoles où l’on a observé les enfants, agressions et bagarres ont diminué de 55% ;
 dans les classes, les comportements répréhensibles ont chuté de 48% ;
 dans les écoles élémentaires où l’on a implanté le programme, les résultats académiques ont augmenté en mathématiques, en expression écrite ;
 un centre correctionnel a vécu l’expérience : les incidents violents y ont chuté de 43%.

Le bilan du programme réalisé au Michigan a été présenté à Paris lors du colloque Les enfants face aux écrans, le 30 avril 2014. (8)

La personne qui a dirigé la conception et l’animation du programme au Michigan, Madame Kristine Paulsen, avait déjà présenté son bilan au colloque "Surdose médiatique et Santé des jeunes : les impacts, les remèdes" tenu à Montréal en mai 2011. (9)

La vidéo de sa conférence est fréquemment utilisée par des enseignants et enseignantes pour sensibiliser leurs élèves aux dommages de la surexposition aux écrans et leur apprendre l’anglais, langue seconde.

Souhaitons que tous les médias, petits et grands, en ligne ou sur papier, puissent un jour relayer au grand public ces découvertes formidables qui pourraient aider la jeunesse à échapper à la dépendance et accéder à la maîtrise de ces technologies modernes qui sont en fait, des couteaux à double tranchant.

La détérioration du vivre-ensemble dans les écoles et collèges d’Amérique et d’Europe a des racines communes. Les conséquences de la déconnexion de la réalité suite à la hausse croissante du temps-écrans des jeunes serait responsable, en partie du moins, de la perte d’empathie constatée chez les adolescents et adolescentes du nouveau millénaire. C’est la reconnexion avec la réalité consécutive à la réduction du temps-écrans qui serait responsable des résultats constatés par le Dr Robinson.

* Jacques Brodeur est le créateur Edupax, OSBL, Québec, consacré à
l’éducation médiatique, la prévention de la violence et la promotion de saines habitudes de vie. Le site Edupax. Courriel.
Actualités pour une consommation médiatique éclairée / ACMÉ-Québec http://acmequebec.edup

Notes

1. "Les élèves en difficulté de comportement à l’école primaire : comprendre, prévenir, intervenir", CSE, mai 2001.
2. "Study : cutting tv reduces violence in children", by Associated Press, January 15, 2001.
3. "Student Media Awareness to Reduce Television". U. Stanford,
4. "La reconquête de l’âme", Québec Science, février 2015.
5. "Bilan détaillé du Défi de la Dizaine 2003-2004".
6. "Défi sans écrans pour voir autrement." Institut ÉCO-conseil, Strasbourg, liste des établissements mise à jour chaque années depuis 2008.
7. "Take the Challenge, Take Charge. SMART program for K to 12th grade".
8. Vidéos du colloque tenu à Paris le 30 avril 2014. "Les enfants face aux écrans", Kristine Paulsen, vidéo no 8.
9. "Screen-Time Reduction : What Benefits Can We Expect ?", Kristine Paulsen, Montréal, 4 mai 2011.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 1 mars 2017



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Jacques Brodeur, consultant en éducation et en prévention de la violence
EDUPAX

Jacques Brodeur a enseigné durant 30 ans et œuvre comme consultant, conférencier et formateur dans les domaines de l’éducation à la paix, l’éducation aux médias, la prévention de la violence et la promotion de saines habitudes de vie.


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