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mardi 7 mars 2006

Arundathi Roy, guerrière du mot

par Naomi Klein, traduit par Édith Rubinstein






Écrits d'Élaine Audet



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Mon amie Gyde vient de me prêter The Chequebook & The Cruise-missile (Le carnet de chèques et le missile de croisière), Conversations with Arundhati Roy by David Barsamian, Harper Perennial. Je viens de lire la préface de Naomi Klein, et la conjonction de cette brillante journaliste et de cette auteure lumineuse m’a apporté un bonheur que je veux partager. En voici donc la traduction de cette préface intitulée « Arundathi Roy : guerrière du mot ». Ce texte a été diffusé initialement sur la liste de Femmes en noir. Très amicalement, Edith.

Le 7 mars 2003, deux semaines avant que les Etats-Unis n’envahissent l’Irak, Arundhati Roy m’a envoyé un essai qu’elle venait d’écrire. Le titre en était : Mes derniers mots : une soumission à la colère. Il était arrivé juste au bon moment : malgré une vague de colère sans précédent contre l’attaque, les stations sur câble étaient en train de décompter, à en donner le vertige, les minutes avant que ne se déclenche la guerre comme si on décompte à la veille du Nouvel An. S’il existait un moment où le monde avait besoin d’une dose de la rage et de la sagesse d’Arundhati Roy, c’était maintenant.

Il a suffi d’une phrase pour constater qu’il s’agissait d’un faux, que l’essai n’était pas l’œuvre de Roy mais de quelqu’un qui voulait la discréditer. Des passages comme ceux-ci révélaient involontairement [l’imposture] : « les zombies-fascistes » pour décrire les citoyens des Etats-Unis, « la plus grande performance artistique de l’histoire moderne », pour décrire l’attaque du 11 septembre contre le World Trade Center.

Quand j’ai lu ces mots, mon cœur s’est brisé pour Arundhati Roy. Tout ce qu’un auteur possède est sa voix, ses mots. Et ici, la voix précieuse de Roy était volée, violée, contrefaite pour épouser des vues contre lesquelles elle résiste avec toute son énergie. Mais la contrefaçon était aussi très étrangement instructive : quand les ennemis de Roy décident de la détruire, ils le font en essayant de lui voler ce qui précisément fait sa puissance - son humanité infaillible, son refus de se laisser aller à des haines trop faciles, sa condamnation claire et furieuse de toutes les formes de terreur.

Par ses écrits et ses actions, Roy s’est placée elle-même en opposition à quiconque traite les gens comme des dommages collatéraux - d’un barrage géant, d’une attaque terroriste ou d’une invasion militaire.

Quand a commencé l’attaque sur l’Afghanistan, elle a écrit : « Rien ne peut excuser ou justifier un acte de terrorisme, qu’il soit commis par des fondamentalistes religieux, des milices privées, des mouvements de résistance populaire - ou sous le déguisement d’une guerre de châtiment par un gouvernement reconnu. » Et Roy a choisi précisément le moment où les États-Unis s’engageaient dans ses actes les plus barbares pour s’adresser au peuple américain afin de faire une distinction claire entre les citoyens et les États, pour essayer de comprendre les peurs - d’étrangers, de chacun - qui confèrent aux politiciens américains un pouvoir totalement immérité.

Incapables de l’aiguillonner dans une politique de haine, les opposants politiques de Roy ont eu recours à la falsification, inventant un Imposteur Arundhati pour faire le sale travail. Mais il y a un pépin : les ennemis de Roy ne savent pas écrire, un sérieux handicap quand on essaie d’imiter l’un des meilleurs auteurs de notre temps, et je n‘ai pas encore rencontré la première personne qui s’est fait prendre à falsifier.

J’ai décrit Arundhati comme une grande humaniste, mais ce n’est bien sûr qu’une partie de l’histoire. La générosité de Roy a ses limites - et j’en remercie Dieu. Car si elle ne se préoccupait que de paix et d’amour, le monde s’en trouverait privé d’un de ses plus grands plaisirs : regarder Arundhati Roy mener une guerre sanglante de mots contre le président américain George W. Bush. Il dit : « Ou bien vous êtes avec nous, ou vous êtes avec les terroristes » ; elle dit que nous n’avons pas à choisir entre « un Mickey Mouse malveillant et des Mollah fous (Mad) ». Il dit : « Nous sommes une nation pacifique » ; elle dit : « Les cochons sont des chevaux. Les filles sont des garçons. La guerre est la paix. » Il dit que la guerre d’Irak était nécessaire et juste parce que nous avons attrapé Saddam Hussein ; elle dit que cela revient à « déifier Jack l’éventreur pour avoir étripé l’étrangleur de Boston. »

Je ne sais pas comment Arundhati découvre ces bons mots assassins, mais je lui en suis reconnaissante. Chacun d’eux est un cadeau, capable de transformer la peur et la confusion en courage et en conviction. Entre les mains de Roy, les mots sont des armes - des armes de mouvements de masse. Mais les essais et les discours de Roy ne sont pas de la propagande, tout au contraire : ils représentent une tentative de désigner notre monde tel qu’il est, exactement, précisément et parfaitement. C’est pour cette raison que je crains parfois que George Bush et la violence qu’il inflige à la langue anglaise ne la rendent folle. Récemment, Roy écrivait qu’elle imaginait Noam Chomsky regardant une émission d’informations sur le câble américain avec « un sourire amusé et une dent ébréchée. » J’imagine Roy regardant la même émission avec un grand rouleau de bande magnétique et saisissant les mots que George Bush a détourné sans pitié de leur signification - la paix, le mal, la guerre, la démocratie, la vérité, le bien, l’innocent, la justice... - puis, avec précaution, dans l’urgence, les recollant ensemble.

Les conversations dans ce livre couvrent trois ans, une période pendant laquelle Roy a inventé une nouvelle manière d’être une militante politique, pas seulement en Inde, où elle vit, mais aussi au cœur de l’empire même, les Etats-Unis. Comme Roy l’explique à David Barsamian, ce sont généralement les Blancs qui voyagent vers le Sud pour dire aux Noirs et aux Bruns qui ils sont. Quand la direction du voyage est renversé, les voix du Sud sont habituellement des témoignages sur la pauvreté et les souffrances, là, au pays même. Roy, cependant, occupe un espace culturel très différent ; comme elle le dit elle-même, elle est « une femme noire d’Inde parlant d’Amérique à une audience américaine ». Ailleurs, Roy a revendiqué ce droit parce que les Etats-Unis ne sont pas simplement un pays mais le centre d’un empire. « Puis-je clarifier que je parle en tant que sujet de l’empire des États-Unis ? Je parle comme une esclave qui se permet de critiquer son roi. »

La profonde compréhension de Roy du mécanisme de pouvoir est sa contribution la plus remarquable aux mouvements contre le néo-libéralisme et la guerre. Inlassablement, Arandhati a utilisé son talent de romancière et d’architecte qualifiée pour nous aider à visualiser l’architecture invisible de l’empire moderne. D’une manière décisive, elle nous a aidés à comprendre comment des intérêts puissants qui semblent en conflit - l’État-nation contre la globalisation des entreprises ; le fondamentalisme religieux contre le capitalisme américain - servent en réalité à se renforcer et se protéger l’un l’autre, et unissent leurs forces pour dévaster la démocratie. Dans ces pages, Roy décrit l’étreinte de la globalisation des entreprises par l’élite indienne et la montée du nationalisme hindou comme « un mouvement en tenaille. D’une main, elle vend le pays aux multinationales. De l’autre, elle orchestre ce nationalisme culturel hurlant. »

D’après Roy, tous les projets impériaux - qu’ils soient politiques, économiques ou religieux - partagent une même logique, la logique du grand. Dans son essai The Greater Common Good (Un bien commun plus grand), elle parle de « grandes bombes, de grands barrages, de grandes idéologies, de grandes contradictions, de grands pays, de grandes guerres, de grands héros, de grandes erreurs. » C’est cette tyrannie de l’échelle, raconte-t-elle ici à Barsamian, qui ôte systématiquement le pouvoir aux communautés et le délègue aux gouvernements centralisés, et encore plus loin, à des institutions globales comme la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce. « La distance entre le pouvoir et l’absence de pouvoir, entre ceux qui prennent les décisions et ceux qui souffrent de ces décisions, a augmenté considérablement... Plus les décisions sont prises loin, géographiquement, plus il y a de place pour une injustice incroyable. C’est l’enjeu principal. » Roy nous dit que notre travail consiste à réduire les distances, à ramener du pouvoir et la prise de décision plus près de chez nous. Pour moi, cette simple mission est devenue une sorte de baromètre pour mon militantisme : nos adversaires amassent du pouvoir, nous le dispersons.

La presse s’étend toujours sur sa beauté et son port, mais elle se décrit elle-même en des termes moins précieux comme une « hooligan ». Je n’y ai jamais cru avant de l’avoir rencontrée, mais c’est vrai. Roy est naturellement anti-autoritaire, pas seulement en théorie mais aussi en pratique : elle est incapable de se référer à l’autorité, qu’il s’agisse de George Bush ou de la Cour suprême de l’Inde (un crime qui l’envoya en prison pour « outrage à la Cour »). C’est cette absence totale de déférence que les ennemis de Roy ayant le culte du pouvoir trouvent sans cesse exaspérant, et que les autres, nous autres, trouvons si stimulant.

Au Forum social mondial à Porto Allegre, en 2003, Roy a prononcé un discours devenu légendaire intitulé « Confronter l’Empire. » A la fin de son exposé, Roy a joué avec le slogan du Forum en disant à la foule de dizaines de milliers de personnes qu’ « un autre monde n’est pas seulement possible, il est en route... Lors de journées calmes, si j’écoute très attentivement, je peux l’entendre respirer. » Ce stade n’a jamais entendu un pareil silence. Pendant les semaines qui suivirent, nous tous - des anarchistes les plus enragés aux politiciens socialistes les plus guindés - nous étions complètement sous le charme d’Arundhati, convaincus que nous aussi pouvions entendre cette respiration tranquille et nous étions finalement déterminés à le convertir en une clameur globale.

C’est exactement ce que nous avons fait un mois plus tard : le 15 février, nous avons envahi les rues de nos villes en proclamant le rejet le plus unifié de la guerre que le monde ait jamais connu. Ces manifestations ont « démonté complètement » l’Empire, dit Roy à Barsanian. « Elles ont arraché le masque. » Mais, dans la dernière conversation de ce livre, les lecteurs remarqueront que Roy est en train de s’impatienter. Pendant que nous nous efforçons d’entendre l’autre monde, nos adversaires sont en train de construire le leur avec une détermination terrible, employant toutes les armes nécessaires, qu’il s’agisse du carnet de chèque du FMI ou des missiles de croisière du Pentagone. Cette effronterie a une valeur, dit Roy : elle nous informe qu’il n’est plus temps de simplement démasquer l’Empire, il est temps de le démolir, de « démanteler ses parties agissantes » - en commençant par le pillage illégal de l’Irak.

« Ca suffit d’avoir raison, dit-elle, nous devons gagner. »

Merci, Arundhati. Comme d’habitude, tes mots vifs et furieux ont éclairé la route à emprunter.

Janvier 2004

 Merci à Édith Rubinstein, d’abord d’avoir traduit cette préface, puis de nous avoir autorisées à la diffuser. Pour vous abonner à la liste de Femmes en noir, allez à cette adresse.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 mars 2006.

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Naomi Klein, traduit par Édith Rubinstein



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