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mardi 18 octobre 2011

Manif Reprendre la nuit - Un malaise dans l’âme

par Rebecca Mott, survivante et écrivaine






Écrits d'Élaine Audet



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C’est presque le temps de la manifestation Reprendre la nuit (Reclaim the Night) et je tiens à plaider avec passion pour rendre visible ce qu’on occulte sans cesse.

J’ai participé à de nombreux défilés Reprendre la nuit et je les trouve toujours inspirants.

Mais, il y a pour moi un énorme « mais ». C’est qu’on n’y trouve peu ou pas de reconnaissance des réalités de la prostitution vécue derrière des portes closes. J’en ressens un malaise à l’âme qui tend à étouffer mes mots.

Je vais au défilé de Londres aussi souvent que je peux me le permettre ou que je trouve l’énergie physique et mentale d’y aller. Mais, chaque année, cela devient de plus en plus difficile.

C’est parce que le défilé passe dans certains quartiers – de superbes quartiers touristiques à l’architecture splendide, des secteurs pleins de fêtards, de gens qui vont au théâtre, au restaurant – des quartiers où se retrouvent des hôtels de luxe où j’ai servi d’escorte ou bien des hôtels dont je sais que d’autres femmes et filles que je connais y ont été sexuellement torturées.

C’est parce que le défilé passe par certains quartiers – pleins d’hôtels bon marché, d’appartements étudiants, d’auberges et de jolis parcs – des quartiers où la prostitution est partout pratiquée à l’intérieur, mais rendue invisible.

Quans je suis allée pour la première fois au défilé de Londres, je le savais, mais je me suis fermé l’esprit et le corps à une connaissance plus complète.

J’ai marché comme un robot, en me demandant pourquoi j’étais incapable de célébrer notre force.

J’ai commencé à ressentir un malaise de l’âme.

Maintenant, chaque année, cela devient plus difficile. Je sais, chaque fois, à quel point cette manifestation est cruciale ; c’est seulement qu’il y a ce silence à propos de la prostitution derrière les portes closes.

Comment pouvons-nous reprendre la vie de ces femmes et ces filles prostituées à l’intérieur de ces hôtels, ces appartements et ces auberges ?

Comment pouvons-nous leur rendre la dignité et leur dire qu’elles ont accès au droit humain fondamental à une pleine sécurité ?

Je n’ai pas de réponse, seulement quelques idées. Mes idées viennent des cris qui m’emplissent l’âme.

Je m’exprime pour qu’un jour toutes les femmes prostituées puissent participer au défilé Reprendre la nuit sans ce grand malaise de l’âme.

Nous devons examiner sérieusement la prostitution exercée à l’intérieur et l’arracher aux clichés simplistes.

Sachez que la prostitution à l’intérieur peut se faire dans presque n’importe quel type de bâtiment. Que ce soit un hôtel haut de gamme ou une auberge pour sans-abri ; que ce soient des appartements au dessus d’une boutique guindée ou un penthouse de luxe ; que ce soit dans n’importe quelle rue de banlieue ou au beau milieu du quartier des touristes au centre-ville.

C’est parce que la prostitution à l’intérieur peut être pratiquée dans n’importe quel genre de rue qu’il nous faut reprendre les rues aux proxénètes et aux profiteurs qui se les sont appropriées.

Ne pas laisser réduire nos rues à leur vache à lait, ne pas laisser des portes closes permettre aux proxénètes et aux profiteurs de rendre la prostitution invisible.

Ce n’est pas chose facile. Les organisatrices de Reprendre la nuit et de la plupart des interventions féministes contre les violences faites aux femmes et aux filles mentionnent sans détour à quel point la grande majorité des violences sexuelles faites aux femmes et aux filles non prostituées se font derrière des portes closes.

Une des forces du mouvement féministe est de réclamer l’ouverture des portes pour les femmes et les filles non prostituées – ce sont des féministes qui on démontré la réalité du viol dans le mariage, du viol par une connaissance, des abus sexuels infligés aux enfants.

Il y a des tonnes de choses à faire pour les femmes et les filles non prostituées, mais au moins on en parle et on l’écrit sur des bannières quand des féministes font campagne au sujet des violences infligées aux femmes et aux filles.
Exprimez-vous contre la prostitution pratiquée à l’intérieur, et vous constaterez un silence assourdissant ou, trop souvent, des excuses avancées pour la rendre acceptable.

Je rêve du jour où des femmes sorties de la prostitution à l’intérieur s’adresseront aux manifestantes pour leur dire comment vous défilez dans des rues sans voir la haine et la torture routinières.

Les rues où les prostituées sont si souvent violées qu’elles ont perdu les mots pour parler du viol – tout ce qu’elles savent, c’est qu’elles respirent encore.
Des rues où il y a peut-être des appartements, des hôtels ou des auberges où n’importe quel prostitueur peut entrer, en sachant que cet endroit présente une façade tout à fait normale et acceptable.

Des rues où l’on s’occupe de satisfaire tous les fantasmes porno que souhaite le prostitueur – qu’il s’agisse de mineures, de son rêve malade imprégné de l’éthique porno, ou de n’importe quelle violence sadique qu’il peut imaginer. Tout est à sa disposition quand cela est fermement maintenu derrière des portes closes.

Pour répondre à cette demande constante, il y aura la traite domestique et internationale, il y aura un approvisionnement de mineures prostituées, il y aura une production de pornographie sadique, il y aura la possibilité de battre des personnes prostituées, il y aura toutes sortes de formes de torture sexuelle, et il y aura une classe prostituée jetable.

Voilà ce à travers quoi nous défilons. Nous devons Reprendre la nuit et les rues pour la classe prostituée piégée dans l’enfer de la prostitution exercée à l’intérieur.

Version originale : « Sickness of the Soul ».

Version française : Martin Dufresne, relue par Michèle Briand

Tous droits réservés à Rebecca Mott, 2011.



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Rebecca Mott, survivante et écrivaine

Je suis une écrivaine britannique, survivante d’abus sexuels dans l’enfance et de la prostitution. Une partie de la maltraitance que m’a infligée mon beau-père durant mon enfance a été la violence psychologique de me faire regarder de la pornographie hyperviolente. Combinées à la violence sexuelle qu’il m’infligeait, ces images me faisaient ressentir que je n’avais d’autre valeur que celle de servir d’objet sexuel à un homme et que le sexe était toujours associé à la violence et à la douleur. À 14 ans, je suis tombée dans la prostitution et elle était extrêmement sadique. Je ne m’en suis pas détournée pas car j’éprouvais trop de haine de moi-même pour y reconnaître de la violence et du viol - j’avais l’impression que c’était tout ce que je méritais. J’ai fait de la prostitution entre l’âge de 14 ans à 27 ans et, la majorité du temps, les hommes qui m’achetaient tenaient à m’infliger des rapports sexuels très sadiques. Je me suis habituée à des viols collectifs, du sexe oral et anal violent, et au fait de devoir jouer des scènes de porno dure - cela devint mon existence. J’ai failli être tuée à plusieurs reprises, et fait beaucoup de tentatives de suicide, mais j’ai survécu. Quand j’ai réussi à quitter le milieu, j’ai effacé durant 10 ans la plupart de mes expériences. Ce n’est qu’après avoir dépassé le souvenir des violences de mon beau-père que j’ai trouvé l’espace mental pour me souvenir. Se souvenir de la prostitution est terrible, et je souffre d’un lourd syndrome de stress post-traumatique (SSPT). J’ai créé mon blog pour explorer mon SSPT à titre de survivante à la prostitution, pour réclamer l’abolition du commerce du sexe et pour faire état des conditions terribles de la prostitution vécue à l’intérieur. J’essaie d’écrire de la prose poétique, mais je crois que mon travail est de nature politique.



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