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mardi 17 avril 2012

Le véritable danger du proxénétisme tient à la légitimité qu’il a acquise

par Rebecca Mott, survivante et écrivaine






Écrits d'Élaine Audet



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Je me rends compte que rédiger ce blogue me fait peur.

Je me rends compte que le processus d’écrire amène mon organisme à se remémorer tous les actes de torture que les prostitueurs y ont inscrits.

Je me rends compte que je suis malade, alors que mon organisme ne présente aucun problème.

J’ai lu que la féministe Andrea Dworkin savait que l’écriture qui rend compte de la vérité est l’expérience la plus douloureuse que peut s’infliger une femme.

Je sais aussi, dans chaque cellule de mon corps, que de ne pas écrire me renverrait à l’expérience morbide d’avoir été prostituée.

Écrire pour rendre compte de la vérité n’est pas seulement mon travail, c’est une mission pour moi.

Je trouve sur Internet des chansons de Dusty Springfield – une musique que je connais par cœur – et je trouve l’énergie de parler du blocage de mes vérités.

Je le fais avec gratitude et émerveillement pour la fidélité et la générosité de toutes celles et ceux qui lisent ce blogue. Vous êtes trop nombreuses et nombreux pour que je puisse vous nommer, mais sachez que je vous porte dans mon cœur alors même que je vis autant de peur, de douleur et de chagrin.

Les attaques du lobby pro-prostitution

J’ai été renversée par le caractère insensible et implacable des attaques venues du lobby pro-prostitution.

Oui, j’en sortirai plus forte et je vais montrer qui sont réellement ces personnes.

Je dirai haut et fort – et d’une voix claire – que les personnes qui attaquent les survivantes du commerce du sexe sont des proxénètes, des prostitueurs et tous ceux et celles qui bénéficient du statu quo de l’industrie du sexe.

Arrêtez de penser qu’il s’agit simplement de « trolls » du Web, de simples individus qui s’ennuient – regardez clairement comment sont attaquées les femmes sorties de l’industrie.

Quand nous osons prendre la parole à plusieurs, si nous donnons même l’apparence d’avoir certains liens entre nous, le lobby du commerce du sexe s’abat sur nous comme une tonne de briques.

Regardez comment leurs arguments et leurs points de vue sont toujours les mêmes, comme si elles n’étaient que quelques personnes à les écrire, ou comme si elles s’en tenaient à un scénario pré-planifié.

Voyez comment leur lobbying est implacable, comme s’il était financé par, oh ! disons le commerce du sexe avec ses masses d’argent comptant, comme si ce commerce avait de quoi payer des gens pour repérer sur Internet tout ce que peuvent dire des femmes sorties de leurs filets, si légers que soient leurs propos.

Regardez comment leur langage est toujours cruel et insensible, comme si leurs propos pouvaient avoir été écrits par des proxénètes ou des prostitueurs.

Puis, dites-moi après un tel examen qu’il ne s’agit pas d’une attaque pré-planifiée, visant à faire taire l’ensemble des femmes ayant échappé au milieu.

Dites-moi que vous ne seriez pas effrayée ou ébranlée si vous étiez dans la peau d’une femme sortie de l’industrie.

Rappelez-vous que pour nous, il ne s’agit pas seulement de mots sur un écran.

Nous avons été frappées dans des chambres, dans la rue… des prostitueurs nous ont attaquées verbalement jusqu’à nous rendre incapables d’entendre leurs paroles plus longtemps.

Nous savons que lorsque les prostitueurs nous infligent de la violence affective, ils sont prêts à aller jusqu’à nous violer et à nous battre, ils peuvent impunément nous laisser à demi-mortes s’ils en ont envie.

Nous ne pouvons pas toujours rire des propos de ces prostitueurs parce que nos corps et nos esprits ont connu leur haine et leur violence.

Qui sont les proxénètes ?

Nous savons qui sont les proxénètes et ce qu’ils font.

Ils et elles peuvent bien emprunter l’étiquette qui leur convient : hommes d’affaires, gestionnaires d’escortes indépendantes, pourvoyeuses de sexe tantrique, chauffeurs, gardes du corps, amis des travailleuses du sexe, tenancières, ou toute autre appellation pour cacher le mot de « proxénète ».

Mais nous reconnaissons les proxénètes à leurs paroles, à leur manque de compassion, à leur désir de contrôler et de toujours avoir le dernier mot, à leur désir de semer la confusion chez nous et chez les personnes qui nous croient.

Nous savons que les proxénètes sont furieux face à toutes les femmes sorties du milieu : ils ne tolèrent pas notre initiative de dévoiler leur haine et leur violence, de montrer leur manipulation des faits et leurs mensonges.

Nous avons toutes les raisons de craindre les proxénètes sous toutes leurs formes – nous allons les combattre, mais un réel soutien nous serait bien utile.

Nous avons besoin que des femmes qui n’ont pas été prostituées, mais qui soutiennent l’abolition, comprennent qui sont les proxénètes et quelle est leur pratique.

Il ne s’agit pas des quelques hommes que l’on peut voir dans les rues avec leurs “filles”, affichant des costumes des années 1970, même si certains d’entre eux peuvent être des proxénètes.

Ce ne sont pas les clichés de bande dessinée repris dans certaines vidéos de musique pop, même si certains d’entre eux peuvent en être.

Non, le véritable danger du proxénétisme tient à sa faculté à se rendre invisible et à la légitimité qu’il a acquise.

Bon nombre d’entre eux sont des hommes d’affaires bien mis, installés derrière des bureaux et qui accumulent avec détachement l’argent issu de la destruction de femmes et de filles prostituées. Ces souteneurs ne se salissent pas les mains, ils veulent être considérés comme des gens d’affaires ordinaires, plus moraux qu’un banquier, par exemple.

Des femmes proxénètes

Les proxénètes peuvent également être des femmes qui vont jouer sur la culpabilité ou la confusion de la gauche et de certaines féministes en disant qu’elles ne sont qu’une escorte, en se présentant comme une “happy hooker”, une simple prostituée ordinaire.

Mais regardez-y de plus près et vous constaterez qu’elles gèrent peut-être un bordel ou contrôlent une entreprise d’escortes – ces femmes font partie de la classe des gestionnaires. Ce sont des proxénètes.

Parce qu’elles parlent la langue du proxénète.

Elles parlent aux femmes échappées de l’industrie comme s’il s’agissait de biens qui doivent être contrôlés.

Elles tentent de semer la confusion dans nos esprits, en disant que nous devons être dérangées ou malades mentales. Elles prétendent que nous avons simplement été malchanceuses et rejettent comme mensonges toutes nos paroles.

Fouillez un peu leur discours et vous découvrirez à quel point elles se contredisent rapidement.

Par exemple, ces personnes disent à quel point travailler pour elles serait sécuritaire, elles disent du bien des prostitueurs et minimisent l’importance du mieux-être des personnes prostituées. Elles diffusent de la camelote ésotérique sur la prostitution, comme activités de déesses et autres âneries pseudo-spirituelles, elles présentent sans la moindre preuve le passé sous un jour romantique et elles reviennent sans cesse au mythe de la “happy hooker”.

Fouillez un peu et vous découvrirez que leur cœur est fait de glace.

Elles et ils rejettent complètement les femmes sorties du milieu, les qualifiant de folles, de vicieuses, de menteuses, et les disant pleines de haine à l’égard des véritables prostituées.

Si vous choisissez de croire ces proxénètes, vous trahissez profondément l’ensemble des personnes prostituées.

C’est dans ces moments-là qu’il me devient si difficile d’écrire. Je me heurte à un bloc, le bloc du désespoir à voir encore une fois la classe prostituée abandonnée, et nous à nouveau forcées de lutter seules pour nos droits humains fondamentaux.

Je sais bien sûr – et j’en suis fière – que quelques femmes et hommes non prostitué-es comprennent la situation et se battent à nos côtés pour une vraie justice et pour l’abolition.

Réagir à la propagande haineuse du lobby de la prostitution

Mais nombreux sont ceux qui semblent comprendre, mais qui font très peu en pratique pour aider les personnes prostituées à résister à la propagande haineuse que diffuse constamment le lobby de la prostitution.

Ce discours de l’industrie s’affiche partout sur Facebook, ainsi que dans les commentaires apposés aux blogues de femmes sorties du milieu ; il est partout où ces femmes osent rendre compte de la vérité.

Contestez-vous ce discours haineux comme vous le feriez pour des commentaires racistes ou anti-gay, ou face à tout autre commentaire célébrant la violence à l’égard des femmes et des filles ? Ou est-ce que vous les laissez simplement passer, parce que vous avez décidé que les personnes prostituées ne sont pas blessées ou brisées par pareille haine, parce que nous sommes trop sous-humaines à vos yeux pour avoir des émotions humaines ordinaires ?

Me trouvez-vous trop sévère ? Eh bien, il se peut que, d’avoir aussi longtemps attendu que la gauche et la majorité du féminisme reconnaissent réellement qu’il s’agit là d’un discours de haine et d’attaques organisées par l’industrie du sexe, m’ait amenée à cesser d’être toujours gentille envers celles et ceux qui ne font rien d’autre que me dire « Oh que ce doit être pénible pour vous… ».

J’en deviens malade de toujours demeurer gentille, alors que mes sœurs et mes compagnes bien-aimées se font lentement réduire en poussière.

Le moins que vous puissiez faire est de remettre en cause le langage des proxénètes et des prostitueurs quand vous le croisez, que ce soit dans l’ordinateur que vous utilisez, dans les médias que vous consommez, dans les divertissements que vous achetez, ou dans la bouche des personnes dont vous pensiez que c’étaient vos proches.

Oui, c’est un processus pénible et il va déclencher beaucoup d’émotions en vous.

Mais vous n’êtes pas la personne à qui un proxénète ou un prostitueur va nier son humanité. Vous n’avez pas été violée, battue et forcée de vivre en présence de la mort comme l’a été une femme qui s’est arrachée à la prostitution.

Je vous en conjure, si vous croyez vraiment à l’abolition, tenez tête au lobby de l’industrie du sexe et à sa propagande haineuse.

Cela contribue à lever mon blocage.

 Version originale : « Why I Am Finding I Have Hit A Block »

Traduction : Martin Dufresne

Mis en ligne sur Sisyphe, le 17 avril 2012



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Rebecca Mott, survivante et écrivaine

Je suis une écrivaine britannique, survivante d’abus sexuels dans l’enfance et de la prostitution. Une partie de la maltraitance que m’a infligée mon beau-père durant mon enfance a été la violence psychologique de me faire regarder de la pornographie hyperviolente. Combinées à la violence sexuelle qu’il m’infligeait, ces images me faisaient ressentir que je n’avais d’autre valeur que celle de servir d’objet sexuel à un homme et que le sexe était toujours associé à la violence et à la douleur. À 14 ans, je suis tombée dans la prostitution et elle était extrêmement sadique. Je ne m’en suis pas détournée pas car j’éprouvais trop de haine de moi-même pour y reconnaître de la violence et du viol - j’avais l’impression que c’était tout ce que je méritais. J’ai fait de la prostitution entre l’âge de 14 ans à 27 ans et, la majorité du temps, les hommes qui m’achetaient tenaient à m’infliger des rapports sexuels très sadiques. Je me suis habituée à des viols collectifs, du sexe oral et anal violent, et au fait de devoir jouer des scènes de porno dure - cela devint mon existence. J’ai failli être tuée à plusieurs reprises, et fait beaucoup de tentatives de suicide, mais j’ai survécu. Quand j’ai réussi à quitter le milieu, j’ai effacé durant 10 ans la plupart de mes expériences. Ce n’est qu’après avoir dépassé le souvenir des violences de mon beau-père que j’ai trouvé l’espace mental pour me souvenir. Se souvenir de la prostitution est terrible, et je souffre d’un lourd syndrome de stress post-traumatique (SSPT). J’ai créé mon blog pour explorer mon SSPT à titre de survivante à la prostitution, pour réclamer l’abolition du commerce du sexe et pour faire état des conditions terribles de la prostitution vécue à l’intérieur. J’essaie d’écrire de la prose poétique, mais je crois que mon travail est de nature politique.



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