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mercredi 3 avril 2013

Prostitution - Silence et tapage : la limite des mots

par Rebecca Mott, survivante et écrivaine






Écrits d'Élaine Audet



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Je veux parler de ce pourquoi il faut mettre l’accent sur les personnes qui achètent et vendent la classe prostituée, plutôt que sur les paroles de femmes qui sont surtout à l’intérieur de l’industrie du sexe.

Je parle du langage et du fait que l’on cite des femmes prostituées pour traiter des réalités de leurs conditions de vie.

J’écris cela à partir d’un sentiment de profonde frustration et d’une certaine colère à constater que l’on accorde trop souvent foi aux paroles de femmes prostituées sans tenir compte de comment et de pourquoi elles parlent.

J’écris cela à cause d’un immense silence.

D’abord, un silence des prostitueurs – personne n’entend le langage des hommes qui font le choix conscient d’acheter les personnes prostituées.

Puis, un silence des profiteurs de l’industrie du sexe – où est la recherche, les questions, l’étude des raisons pour lesquelles ces profiteurs conservent le droit de vendre les membres de la classe prostituée comme autant de marchandises sous-humaines ?

Si ce silence est aussi bruyant, c’est qu’il est entouré par le vacarme de l’écoute de la classe prostituée – une écoute qui sert habituellement à réaffirmer les préjugés qu’entretient déjà l’auditeur ou le lecteur.

La plupart des gens souhaitent que les voix des personnes prostituées leur confirment que tout va très bien – qu’il doit exister des prostituées heureuses, des prostituées qui ont trouvé du pouvoir dans leurs styles de vie, et surtout, facteur déterminant, que les choses vont suffisamment bien pour que l’industrie du sexe puisse prospérer comme si de rien n’était.

Beaucoup de gens entendent peut-être qu’une partie de la classe prostituée vit des conditions horribles – mais on les catégorise comme les victimes de la traite internationale, ou les femmes ayant été violentées avant leur entrée dans l’industrie du sexe ; on les présente comme ce qui doit être la marge pathétique de l’industrie du sexe.

Ce que l’on veut entendre tant et plus, c’est que l’industrie du sexe peut être nettoyée et ordonnée, pour que les hommes que nous connaissons et aimons puissent consommer une prostituée sans que ce soit considéré comme un tort.

C’est ainsi que le silence de la classe prostituée va continuer à grandir, puisqu’on n’accordera jamais à ces femmes des mots pour exprimer les réalités très simples de ce que c’est que d’être prostituée.

Les mots de la violence sexuelle masculine – dont l’usage est autorisé aux personnes non prostituées – sont évacués, et cette violence est redéfinie de façon à ressembler à tout ce qu’elle n’est pas.

Avant de parler des mots qui sont volés à la classe prostituée, je vais parler de comment ce langage nous est volé, et des raisons pour lesquelles nous avons laissé ce vol être occulté.

La plupart des prostituées sont violées trop souvent pour que leur esprit arrive à en garder la trace – mais lorsqu’on est à l’intérieur de l’industrie du sexe, il n’y a pas de langage pour parler du viol, de l’agression sexuelle ou même des préjudices subis.
Non, le langage y est irréel et a pour effet d’assassiner lentement et quotidiennement la classe prostituée.

C’est le langage de la transaction commerciale, du libre choix, la langue où l’argent devient symbole de consentement – c’est un langage conçu pour égarer la prostituée et pour s’assurer qu’elle perd de vue ses droits à la sécurité et à la dignité.

Tout langage de la femme prostituée est instillé de force dans son corps et dans son esprit par des profiteurs et des prostitueurs – ses mots sont manipulés jusqu’à ce qu’elle ne sache plus comment parler si on ne lui dicte pas quoi dire.

Mais la société a décidé que les personnes prostituées doivent comprendre leur propre condition et que ce qu’elles disent doit toujours être la vérité.

Nous ne disons pourtant pas cela quand un enfant dit aimer un père qui la viole ; nous ne disons pas cela quand une amie nous dit que son conjoint ne la frappera plus jamais ; et nous ne disons pas qu’il est normal de pardonner aux hommes qui violent et torturent une femme ou une jeune fille hors des frontières de l’industrie du sexe.

Mais à chaque jour et en tout lieu, on trouve des raisons et des excuses aux hommes qui violent, torturent et assassinent les femmes de la classe prostituée.

Voilà pourquoi il n’est pas étonnant qu’à chaque jour et en tout lieu, la classe prostituée se tait, car elle vit confrontée à un niveau inouï de torture sexuelle.

Elles savent en leur for intérieur la nécessité de se taire, car elles savent qu’elles ne seront pas crues et que, même si on les croit, elles verront sans doute leurs témoignages écartés, parce que d’autres questions sont plus importantes à traiter.

Comment les personnes prostituées peuvent-elles savoir qu’elles sont violées, que bon nombre de leurs expériences quotidiennes seraient classées comme étant de la torture ?

Comment peut-on savoir ces vérités toutes simples, quand partout des mots disent qu’il s’agit de ton choix, que ta douleur est ton autonomisation, que ta perte de dignité est juste amusante ?

Être prostituée, c’est apprendre à ne pas ressentir la douleur et ne pas se souvenir de la dignité, c’est un monde qui devient une succession de moments, sans passé ni avenir.

Le langage ne veut rien dire quand on vous réduit à rien.

 Version originale : « Words Cannot Say It », 7 mars 2013

Traduction : Martin Dufresne

© Rebecca Mott, Manchester, 2013.

Mis en lige sur Sisyphe, le 9 mars 2013



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Rebecca Mott, survivante et écrivaine

Je suis une écrivaine britannique, survivante d’abus sexuels dans l’enfance et de la prostitution. Une partie de la maltraitance que m’a infligée mon beau-père durant mon enfance a été la violence psychologique de me faire regarder de la pornographie hyperviolente. Combinées à la violence sexuelle qu’il m’infligeait, ces images me faisaient ressentir que je n’avais d’autre valeur que celle de servir d’objet sexuel à un homme et que le sexe était toujours associé à la violence et à la douleur. À 14 ans, je suis tombée dans la prostitution et elle était extrêmement sadique. Je ne m’en suis pas détournée pas car j’éprouvais trop de haine de moi-même pour y reconnaître de la violence et du viol - j’avais l’impression que c’était tout ce que je méritais. J’ai fait de la prostitution entre l’âge de 14 ans à 27 ans et, la majorité du temps, les hommes qui m’achetaient tenaient à m’infliger des rapports sexuels très sadiques. Je me suis habituée à des viols collectifs, du sexe oral et anal violent, et au fait de devoir jouer des scènes de porno dure - cela devint mon existence. J’ai failli être tuée à plusieurs reprises, et fait beaucoup de tentatives de suicide, mais j’ai survécu. Quand j’ai réussi à quitter le milieu, j’ai effacé durant 10 ans la plupart de mes expériences. Ce n’est qu’après avoir dépassé le souvenir des violences de mon beau-père que j’ai trouvé l’espace mental pour me souvenir. Se souvenir de la prostitution est terrible, et je souffre d’un lourd syndrome de stress post-traumatique (SSPT). J’ai créé mon blog pour explorer mon SSPT à titre de survivante à la prostitution, pour réclamer l’abolition du commerce du sexe et pour faire état des conditions terribles de la prostitution vécue à l’intérieur. J’essaie d’écrire de la prose poétique, mais je crois que mon travail est de nature politique.



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