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jeudi 23 février 2012

Prostitution - Méthodes de l’esprit proxénète

par Rebecca Mott, survivante et écrivaine






Écrits d'Élaine Audet



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Un très petit groupe de militantes ayant quitté la prostitution ont pris contact les unes avec les autres, et certaines d’entre nous écrivons des articles, publions des blogs et menons un travail de sensibilisation par l’écrit et par la prise de parole publique lors de conférences.

Nous avons longtemps fait cela dans l’isolement, voyant nos écrits en butte à une foule d’attaques et de tentatives de nous faire taire.

Ces attaques sont typiques d’une attitude d’esprit propre au proxénète (le « pimp »), et d’autres attitudes que nous avons appris à reconnaître chez les prostitueurs (les « clients »).
Que la personne qui nous attaque ainsi soit ou non réellement un proxénète ou un prostitueur n’a aucune importance. Ce qui compte, c’est son attitude d’intimidation, son refus de prendre au sérieux la violence dont nous témoignons, sa décision que nous devons être des malades mentales, son choix de disséquer nos écrits pour y chercher des preuves que nous sommes des menteuses.

La plupart des attaquants se cachent derrière le prétexte d’un souci de notre bien-être mental, mais dès qu’ils en ont la chance, ils nous gratifient de vicieuses attaques personnelles.

On nous mène cette guerre parce que nos paroles et nos écrits sont maintenant devenus trop puissants, ils se répandent dans trop de domaines influents.

Nos paroles et nos écrits disent les mêmes vérités en des voix multiples, dans des styles multiples, à partir de cultures et d’origines multiples.

Ces vérités sont maintenant entendues et crues, ce sont les pierres angulaires d’une reconnaissance du fait qu’une vaste majorité de la classe prostituée revendique aujourd’hui l’abolition du commerce du sexe.

Nos vérités sont l’amorce d’une puissante révolution – il n’y a donc rien de surprenant ou de choquant à constater ces attaques cruelles venant des gens pour qui est lucratif le maintien du commerce du sexe.

Mais il est important pour celles et ceux qui soutiennent notre lutte et nos écrits de reconnaître certaines des tactiques de nos ennemis.

Il y a la voix classique du prostitueur en colère : il est furieux contre nous, nous accusant de haïr tous les hommes ; à l’en croire, nous considérons tous les hommes comme mauvais et cruels envers toutes les femmes à tout moment.

Ces « hommes » n’utilisent peu ou pas la pensée rationnelle ; à quoi bon cet effort quand, dans leur esprit, ils ne parlent qu’à des marchandises sexuelles rétives. Ils en viennent d’ailleurs très vite à nous qualifier de « putains », de « putes » ou de « salopes ».

Beaucoup de ces hommes qui manifestent l’attitude de prostitueur vont utiliser nos paroles et tenter d’en faire un scénario porno, toujours en laissant entendre – ou en disant explicitement – que nous avons dû bien aimer ce qu’on nous faisait.

L’attitude du prostitueur a pour nous des effets déclencheurs, elle nous blesse profondément – mais elle suscite également chez nous une énorme colère, une puissance qui donne encore plus de pertinence à nos écrits.

Nous reconnaissons le prostitueur à ses mensonges, à sa volonté de manipuler, de se faire passer pour la victime, à sa vision des femmes comme une série d’orifices à baiser, jamais des êtres humains à part entière.

Nous prenons notre douleur – celle que les prostitueurs nous ont forcées à intérioriser – et nous la réinventons pour en faire une puissance et montrer la réalité du client et de la violence qui est infligée à l’ensemble de la classe prostituée.

La plupart des attaques qui se poursuivent contre nous reflètent ce que j’appelle l’esprit proxénète.

Cet état d’esprit est souvent exprimé par des femmes, ou du moins par des personnes qui prétendent être des femmes – il est évident que sur Internet, je n’ai aucune idée de leur véritable identité et, pour être honnête, je m’en fous complètement.

Une méthode commune pour tenter de nous discréditer consiste à feindre l’inquiétude pour notre bien-être mental.

Ce souci ne tient pas au fait que le commerce du sexe est, en tant qu’institution, bâti sur la destruction de la condition mentale de la classe prostituée. Ce n’est pas non plus parce que nos attaquants reconnaissent que vivre à l’intérieur d’une situation de torture permanente peut affecter l’équilibre des personnes prostituées.

Non, ils choisissent d’aiguiller la conversation sur le plan personnel, en suggérant que nous devons avoir de graves problèmes de santé mentale ou être trop délicate/fragile pour faire face à la prostitution, ou pour être désormais dans le monde extérieur.

Cette prétention est risible : je ne connais pas une seule femme ayant quitté la prostitution qui n’ait pas une énorme volonté et force intérieure, et c’est également le cas de la grande majorité des femmes et des jeunes filles en prostitution.

Ce n’est pas une faiblesse ou même l’état mental de chaque femme qui provoquent la violence qui est la norme dans tous les aspects de la prostitution : ce sont les prostitueurs qui font le choix du sadisme envers celle qu’ils prostituent ; ce sont les profiteurs du commerce du sexe qui imposent à la classe prostituée des conditions tellement sous-humaines que toute violence à son égard devient acceptable ; et ce sont tous ceux qui ferment les yeux sur la destruction de la classe prostituée.

Chercher une cause du côté de l’état mental de la personne prostituée constitue un faux-semblant, un détournement d’attention pour laisser entendre que sa condition est de sa faute et pour rendre invisible la violence masculine.

Mais du côté des attaquants, la tactique est encore plus vicieuse.

La raison pour laquelle ils mettent l’accent sur l’état mental de l’ex-prostituée est leur volonté de prouver qu’elle est confuse, qu’elle ne peut pas vraiment connaître la vérité.

C’est leur recherche de preuves selon lesquelles elle doit être une menteuse.

Si les adeptes du commerce du sexe étaient si convaincu-es que la prostitution est non violente et conviviale pour les femmes, est-ce que leurs tactiques seraient aussi personnelles et cruelles ?

Lorsqu’elles écrivent ou s’expriment en public, la plupart des femmes ayant quitté la prostitution citent des éléments de leur histoire personnelle, mais elles le font habituellement parce que ces éléments sont rattachés à la violence commune de la prostitution, parce que leur histoire est profondément liée à celle vécue par l’ensemble de la classe prostituée.

Nous parlons du vécu collectif des personnes prostituées, de la violence sadique qui est commune dans tous les aspects de la prostitution, de ce qui a tenté de faire de nous moins que des êtres humains ; nous parlons d’avoir compris que l’on nous a torturées.

Pourtant, nous voyons nos attaquant-es rejeter toutes nos paroles, s’en débarrasser – en les qualifiant d’histoire pathétique d’une femme malade.

Cette prétention est au-delà du ridicule - il est pathétique de recourir à ce genre de personnalisation alors que tous nos écrits sont profondément politiques.

Mais justement, l’esprit proxénète vise à continuer à traiter en sous-hommes les femmes ayant quitté la prostitution, pour mieux les discréditer.

Comme tout proxénète, ces personnes prétendent que les femmes sorties de la prostitution et maintenant abolitionnistes détestent les personnes prostituées et veulent les voir crever de faim dans la rue.

On oublie commodément que nous étions pour la plupart dans la prostitution pratiquée à l’intérieur et sur de longues durées, et que nous avons habituellement beaucoup d’amies qui sont dans la prostitution ou qui en sont sorties.

On préfère prétendre que les femmes sorties de la prostitution jugent et haïssent les prostituées elles-mêmes – et non les prostitueurs, les profiteurs, et tous ceux qui ferment les yeux sur les meurtres, les viols et les tortures infligées à la classe prostituée.

Bref, si nous osons prendre la parole, c’est nous-mêmes que l’on blâme pour tous les maux du commerce du sexe.

Wow, c’est la définition même de la double pensée !

J’aurai peut-être d’autres exemples à citer de ce genre d’attaques et peut-être avez-vous votre propre opinion de ces personnes et de la haine dont elles font preuve.

Car c’est bel et bien de la haine – vouloir ainsi maintenir le statu quo d’un commerce du sexe qui détruit lentement la classe prostituée.

Il me faut en rire pour ne pas en pleurer.

Version originale : « Methods of the Pimp-Mind »

Traduction : Martin Dufresne

Mis en ligne sur Sisyphe, le 23 février 2012



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Rebecca Mott, survivante et écrivaine

Je suis une écrivaine britannique, survivante d’abus sexuels dans l’enfance et de la prostitution. Une partie de la maltraitance que m’a infligée mon beau-père durant mon enfance a été la violence psychologique de me faire regarder de la pornographie hyperviolente. Combinées à la violence sexuelle qu’il m’infligeait, ces images me faisaient ressentir que je n’avais d’autre valeur que celle de servir d’objet sexuel à un homme et que le sexe était toujours associé à la violence et à la douleur. À 14 ans, je suis tombée dans la prostitution et elle était extrêmement sadique. Je ne m’en suis pas détournée pas car j’éprouvais trop de haine de moi-même pour y reconnaître de la violence et du viol - j’avais l’impression que c’était tout ce que je méritais. J’ai fait de la prostitution entre l’âge de 14 ans à 27 ans et, la majorité du temps, les hommes qui m’achetaient tenaient à m’infliger des rapports sexuels très sadiques. Je me suis habituée à des viols collectifs, du sexe oral et anal violent, et au fait de devoir jouer des scènes de porno dure - cela devint mon existence. J’ai failli être tuée à plusieurs reprises, et fait beaucoup de tentatives de suicide, mais j’ai survécu. Quand j’ai réussi à quitter le milieu, j’ai effacé durant 10 ans la plupart de mes expériences. Ce n’est qu’après avoir dépassé le souvenir des violences de mon beau-père que j’ai trouvé l’espace mental pour me souvenir. Se souvenir de la prostitution est terrible, et je souffre d’un lourd syndrome de stress post-traumatique (SSPT). J’ai créé mon blog pour explorer mon SSPT à titre de survivante à la prostitution, pour réclamer l’abolition du commerce du sexe et pour faire état des conditions terribles de la prostitution vécue à l’intérieur. J’essaie d’écrire de la prose poétique, mais je crois que mon travail est de nature politique.



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