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samedi 11 février 2012

Prostitution - Des mots qui désignent la réalité des femmes prostituées

par Rebecca Mott, survivante et écrivaine






Écrits d'Élaine Audet



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Certaines expressions que j’emploie – et que les abolitionnistes emploient couramment – mettent beaucoup de gens mal à l’aise. Je trouve significatif que des mots qui ont défini notre réalité soient des mots que l’on tente si souvent de censurer.

J’emploie les mots avec précaution, en sachant que le langage peut éveiller les gens, les arracher à la complaisance, et qu’il a souvent cet effet.

C’est pour cette raison qu’il me semble que des expressions comme « femme ou fille prostituée », « commerce du sexe », « profiteurs », « prostitueurs » et « torture » sont indispensables pour établir les conditions de mon travail et de celui d’un grand nombre d’abolitionnistes.

Les mots « femmes ou filles prostituées » sont une expression essentielle pour situer de qui nous parlons et quel rôle le commerce du sexe impose à ces femmes et ces filles.

Se voir prostituée, c’est être rendue moins qu’humaine, c’est subir un moulage qui adapte la femme à ce que les profiteurs et les consommateurs du commerce du sexe veulent et ont besoin qu’elle soit.

Ce n’est pas qu’elle soit une victime – elle est plutôt amenée à être contrôlée et manipulée jusqu’à la quasi disparition de son sentiment d’identité personnelle.

Nous devons employer un langage qui désigne fortement et clairement cette destruction de son essence. Pour moi, les mots « femme prostituée » expriment ce que j’étais et comment cela n’a jamais été de ma faute, mais toujours un projet délibéré de couler ma vie dans un moule infernal en me faisant croire que c’était mon choix.

Dire que l’on m’a prostituée, c’est attribuer carrément le blâme aux profiteurs du commerce du sexe, à chacun des prostitueurs qui ont fait le choix de me consommer, et surtout, c’est blâmer tous ceux qui sont au pouvoir et qui ne font rien pour mettre fin à la prostitution ; en ne faisant rien, ils endossent la destruction de la classe prostituée.

Être désignée femme ou fille prostituée, objet d’une prostitution, c’est voir et savoir à quel point l’on est dénuée de contrôle, sans voix et sans droits humains fondamentaux.

Si vous êtes mal à l’aise avec les mots de « femme ou fille prostituée », peut-être devriez-vous en chercher en vous-même les raisons …

Un des prétextes classiques pour ne pas employer ces mots, c’est de leur préférer plutôt l’expression « travailleuse du sexe », qui est apparemment politiquement correcte.

Mais comme le savent la plupart des femmes ayant quitté la prostitution, « travailleuse du sexe » est l’expression que cherchent à imposer les lobbyistes du commerce du sexe ; elle est utilisée pour prétendre que la prostitution est une partie normale de la vie et pour cacher toute la violence et l’avilissement infligés aux personnes qui sont prostituées.

« Travailleur du sexe » est une expression totalement choquante, et je ne l’emploierai jamais, sauf pour expliquer pourquoi elle ne devrait jamais être employée.

Il y a aussi l’argument selon lequel parler des femmes et des filles prostituées équivaut à rester piégée dans la vision patriarcale des rôles de femmes.

C’est un argument super quand il est exprimé avec détachement ou imprimé dans une théorie universitaire, mais il évite les réalités de la vie à l’intérieur de la prostitution.

Il y a l’argument que ce sont les hommes qui ont inventé la prostitution et que nous devons rompre avec leurs définitions.

Moi, je propose que l’on se serve des définitions créées par les hommes pour montrer ce qu’elles signifient réellement.

L’adjectif « prostituée » peut être dépouillé de glamour et du mensonge qu’il ne s’agit que d’un divertissement – il nous sert plutôt à dévoiler la torture, les viols si normalisés que le langage échoue à les désigner, la survie recherchée en faisant la morte, et la connaissance que trop, beaucoup trop des femmes prostituées sont constamment anéanties.

Pour moi, les mots « femmes et filles prostituées » embrassent cette réalité, comme pas d’autres mots ne peuvent le faire.

Ces mots correspondent à nos vies et à nos souvenirs, alors apprenez à accepter notre langage.

D’autres mots qui provoquent parfois un mouvement de recul sont ceux de « commerce du sexe » ou « industrie du sexe ».

Il est évident qu’ils suscitent un malaise, mais, encore une fois, regardez en vous-même les raisons qui vous font vous en détourner.

Je trouve tout à fait brillante l’expression « commerce du sexe » : elle dévoile clairement que la majorité des femmes et des filles qui sont dans la prostitution y vivent des conditions d’esclavage.

L’expression « industrie du sexe » met à nu qu’être prostituée, c’est être transformée en bien de consommation, dénuée d’humanité ou d’individualité, ramenée à trois trous et deux mains.

A l’intérieur de l’industrie du sexe, toutes les femmes prostituées deviennent interchangeables. La majorité des profiteurs qui exploitent le commerce du sexe et des consommateurs ne voient pas la femme prostituée comme un être humain, c’est simplement un produit à utiliser et à jeter.

On m’a dit de ne pas employer les mots « commerce du sexe » ou « industrie du sexe », parce que cela rappelle à trop de monde qu’il pourrait y avoir une association au sexe.

Il est évident que la majorité de la prostitution n’est pas du sexe, c’est du viol en série et de la torture sexuelle, mais c’est presque toujours de la violence sexuelle.

Exclure le mot « sexe » est faire un trop beau cadeau aux hommes qui maltraitent et torturent les femmes prostituées. C’est rendre invisible leur colère et leur haine sexuelle.

Les mots peuvent transformer les attitudes et ils le font mais seulement quand ils osent affronter et baliser la réalité de l’enfer où doivent vivre les femmes et les filles prostituées, ou celui qu’elles vivent dans les traumatismes qui adviennent après leur sortie.

Les mots doivent choquer, ils doivent amener leur auditoire à confronter ses préjugés, à devenir inconfortable face à certaines réalités.

Je ne suis pas en train de tenir un discours universitaire ou de créer une théorie pour les femmes sorties du commerce du sexe : nous savons dans notre cœur et notre esprit que, pendant que vous débattez peut-être de questions de langage, des millions de femmes et de filles prostituées sont prises au piège et détruites.

Laissez les femmes sorties de la prostitution employer les mots qui correspondent à leurs réalités, et ne laissez pas votre sentiment d’inconfort vous retenir de faire partie du mouvement pour l’abolition.

Ce texte est bref, car je trouve pénible d’avoir à expliquer pourquoi les mots sont importants.

Version originale.

Traduction : Martin Dufresne



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Rebecca Mott, survivante et écrivaine

Je suis une écrivaine britannique, survivante d’abus sexuels dans l’enfance et de la prostitution. Une partie de la maltraitance que m’a infligée mon beau-père durant mon enfance a été la violence psychologique de me faire regarder de la pornographie hyperviolente. Combinées à la violence sexuelle qu’il m’infligeait, ces images me faisaient ressentir que je n’avais d’autre valeur que celle de servir d’objet sexuel à un homme et que le sexe était toujours associé à la violence et à la douleur. À 14 ans, je suis tombée dans la prostitution et elle était extrêmement sadique. Je ne m’en suis pas détournée pas car j’éprouvais trop de haine de moi-même pour y reconnaître de la violence et du viol - j’avais l’impression que c’était tout ce que je méritais. J’ai fait de la prostitution entre l’âge de 14 ans à 27 ans et, la majorité du temps, les hommes qui m’achetaient tenaient à m’infliger des rapports sexuels très sadiques. Je me suis habituée à des viols collectifs, du sexe oral et anal violent, et au fait de devoir jouer des scènes de porno dure - cela devint mon existence. J’ai failli être tuée à plusieurs reprises, et fait beaucoup de tentatives de suicide, mais j’ai survécu. Quand j’ai réussi à quitter le milieu, j’ai effacé durant 10 ans la plupart de mes expériences. Ce n’est qu’après avoir dépassé le souvenir des violences de mon beau-père que j’ai trouvé l’espace mental pour me souvenir. Se souvenir de la prostitution est terrible, et je souffre d’un lourd syndrome de stress post-traumatique (SSPT). J’ai créé mon blog pour explorer mon SSPT à titre de survivante à la prostitution, pour réclamer l’abolition du commerce du sexe et pour faire état des conditions terribles de la prostitution vécue à l’intérieur. J’essaie d’écrire de la prose poétique, mais je crois que mon travail est de nature politique.



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