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samedi 28 février 2015 Niqab, burqa et tchador sont des signes d’infériorisation des femmes, non des symboles religieux
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À la lumière de la décision rendue par la Cour fédérale, le 6 février dernier, dans la cause opposant Mme Zunera Ishaq, une immigrante d’origine pakistanaise de Mississauga depuis 2008, au gouvernement fédéral qui a interdit le port du voile intégral (niqab) lors de l’assermentation de citoyenneté, et suite aux nombreuses demandes qui m’ont été adressées depuis pour clarifier la question du voile, j’estime utile de partager un texte de fond qui demeure brûlant d’actualité et que j’avais signé dans La Presse le 15 janvier 1994, sous le titre "Voile : les femmes musulmanes ne sont pas un groupe monolithique". Ce texte est donc paru pour la première fois dans le contexte de "l’Affaire Moussiyine", une cause dans laquelle un juge québécois avait été accusé d’avoir exclu une femme musulmane de la cour de justice pour cause de foulard. Après un examen rigoureux des faits, j’en suis arrivée à la conclusion que le juge, accusé, à tort, de raciste, n’avait jamais exclu une justiciable musulmane pour cause de foulard "dit" islamique. Cet incident avait fait couler beaucoup d’encre et m’avait amené à publier les résultats de mon enquête dans un texte paru dans La Presse du 11 janvier 1994 sous le titre "L’Affaire Moussiyne : une interprétation exagérée des faits ?", suivi, trois jours plus tard, d’un 2ème article intitulé " Voile : les femmes musulmanes ne sont pas un groupe monolithique. Je publie à nouveau aujourd’hui ce deuxième texte sous le titre "Le Niqab, la Burka et le tchador sont des signes d’infériorisation des femmes et non des symboles religieux".
Les trois religions monothéistes - juive, chrétienne et musulmane - ont montré un souci particulier pour le comportement des femmes quant à leur modestie et la décence de leurs parures vestimentaires. Chez les juifs orthodoxes, les femmes doivent se couper les cheveux et les dissimuler sous une perruque. Alors que les femmes sépharades ont porté traditionnellement des foulards et des coiffes aux couleurs locales de leur pays respectif. Saint Paul, l’Apôtre des gentils, six siècles avant l’avènement de l’islam, s’est penché sur la question du voile dans son Épître aux Corinthiens. Dans ce texte éloquent, le voile est imposé aux chrétiennes en tant que signe de leur subordination à l’homme dans l’Église. Une recherche documentaire permet de retracer à suffisance les images, les illustrations et les peintures représentant la Vierge Marie et les femmes de son époque portant de grandes étoffes couvrant leurs cheveux et une partie de leur corps. L’icône de la Vierge à l’Enfant dite de Vladimir (XIIe siècle) avec son châle noir aux bordures dorées est assez éloquente, à cet effet. Étymologiquement, le "hijab", du verbe "hajaba", signifie cacher, dérober au regard. Le voile est appelé différemment selon les modes et les façons de le porter. Les termes les plus souvent utilisés en arabe classique sont le "hijab" (voile couvrant les cheveux), le "khimar" (châle), le "niqab" ou "litham" (voile cachant le visage), sans compter les multiples dénominations qu’on retrouve dans les autres langues comme le persan (tchador), le turc (tcharchaf) et les multiples parlers locaux (haïk, djellaba, etc...). Le Coran a fait mention du voile dans des contextes assez particuliers. Les versets 16 et 17 de la sourate IXX, intitulée "Marie" (La Vierge), confirment que le voile est antérieur à l’islam : "Parle dans le Coran de Marie lorsqu’elle se retira loin de sa famille dans un endroit à l’Est (de Jérusalem). Elle se couvrit d’un voile (hijab) qui la déroba à leurs regards". Les premiers exégètes musulmans qui ont écrit les commentaires sur le Coran, tel que Tabari (839-923) dans son célèbre ouvrage l’Histoire (Tarikh), volume III, réfèrent à la "descente du hijab" dans le sens de "rideau" (sitr). Il s’agit ici du verset 53 de la sourate XXXIII qui instaure le hijab dans le sens d’un "rideau" devant marquer le respect à l’égard des épouses du Prophète Mohamed. Le verset fait référence à un incident où des invités au mariage du Prophète avec sa cousine Zaynab s’étaient attardés indûment dans sa chambre nuptiale la nuit de ses noces. Avec l’instauration du système dynastique en 661, le hijab au sens de "rideau" a été institutionnalisé par le Khalife Omeyyade, Mouawiya ibn Abi Soufyan. Désormais, le hijab marquera la distance à la fois spatiale et sociale entre les gouvernants et les gouvernés. Le hijab est également évoqué dans le sens de "rempart" entre le paradis et l’enfer. La sourate 88 s’intitule "le voile" (Al-Ghachiya) et fait référence au jour du jugement dernier. Cette idée est confirmée par le verset 46 de la sourate VII intitulée "l’Enceinte du paradis". "Un voile (hijab) sépare les bienheureux des réprouvés (..)". Le hijab s’est abattu sur les femmes à Médine en l’an 5 de l’hégire (627) dans un contexte de "fitna" (désordre social). Les puissantes tribus de la Mecque, attachées à leurs nombreuses divinités et au prestige socio-économique qu’elles leur conféraient, avaient très mal reçu le message du Prophète les invitant à croire en un Dieu unique et à adhérer à une religion qui réglemente leur vie publique et privée. Les tribus se sont coalisées et ont décidé de lui faire la guerre, ce qui l’incita à émigrer avec un groupe de compagnons en 622 vers Yathrib, devenue depuis "Madinat-an-Nabi" (la ville du Prophète, Médine). C’est l’hégire, le début du calendrier musulman et de l’organisation politique de la "oumma" (communauté). Le Prophète venait de perdre la bataille d’Uhud, en l’an 3 de l’hégire (625) et se préparait à défendre "sa" Ville, Médine, dans la célèbre bataille du fossé. Dans ce contexte de guerre civile - comme dans toutes les guerres - les femmes paient malheureusement les plus lourds tributs. Esclavage et prostitution C’est ainsi que les femmes de Médine se faisaient attaquer et violer selon une stratégie bien orchestrée par les clans opposés au Prophète, qui les capturaient, les réduisaient à l’esclavage et les forçaient à la prostitution (Ta’arrud). L’un de ces opposants, surnommé la "tête des hypocrites", Abdullah ibn Oubey ibn Saloul, vivait justement de ce genre de "commerce" que le Coran avait interdit. C’est également ce même personnage qui a calomnié Aïcha, l’épouse du Prophète, en l’accusant d’avoir commis l’adultère, alors qu’elle avait perdu son collier dans le désert, lors d’une expédition où elle accompagnait le Prophète, et qu’elle fut ramenée par Safouan, un cavalier de l’arrière-garde. Pour justifier la pratique du "Ta’arrud", les clans rivaux alléguaient qu’ils ne pouvaient distinguer les femmes libres des esclaves. Le dilemme sera tranché par le verset 59 de la sourate XXIII (Les Coalisés) : "O Prophète, dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de rabattre un pan de leur voile sur leur visage (Jalabibihinna), cela est plus à même de les faire distinguer (des esclaves) et à leur éviter ainsi d’être importunées. Dieu est infiniment Absoluteur et Miséricordieux". Le verset 31 de la sourate XXIV, "La Lumière" (An-Nour), sur lequel les islamistes fondent l’obligation du port du voile, doit être situé dans ce contexte de guerre qui a caractérisé l’an 5 de l’hégire. L’enjeu était de taille : il fallait de toute urgence assurer la sécurité des femmes, ramener la paix dans la cité et asseoir l’autorité du Prophète en tant que chef militaire, religieux et politique. Le verset 31 de la sourate XXIV énumère les personnes devant lesquelles les femmes musulmanes seraient dispensées de se voiler et s’adresse au Prophète en ces termes : "Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de préserver leurs parties intimes, de ne laisser voir de leur parure que ce qui est en évidence. Qu’elles se fassent de leur voile (khomourihinna) un écran sur leur gorge (...)". En soi, ce verset 31 n’a qu’une valeur morale et éthique tout comme la plupart des versets coraniques. D’ailleurs, la Charia ne prévoit aucune disposition qui fait du port du foulard "dit islamique" une obligation légale, ni aucune peine pour non respect de cette obligation. Par contre, la sourate XXIV, "La Lumière", s’ouvre sur des versets qui traitent de l’adultère (zina) et qui précisent avec une extrême rigueur les conditions et les châtiments corporels prévus pour ce pêché. Ces dispositions coraniques en rapport avec l’adultère ont été intégrées au droit pénal musulman, dont l’application varie aujourd’hui d’un pays à l’autre, selon leur degré de tolérance religieuse. Le Coran a donc instauré le hijab, en l’an 5 de l’hégire, dans un contexte particulier, celui d’une ville assiégée, Médine, dans un climat d’agitation politique et sociale grave, dans le but de protéger les femmes du viol et, partant, de l’adultère, un acte sévèrement puni par la flagellation. Ce contexte, d’aucuns tentent de le faire oublier en développant une fixation obsessionnelle sur la corrélation hijab-zina (voile-adultère). Selon cette interprétation intégriste prévalant chez les islamistes radicaux, les femmes musulmanes non voilées seraient une menace potentielle pour l’ordre social, puisqu’elles incitent les hommes à commettre un acte répréhensible appréhendé : l’adultère. L’un des ardents partisans du port du voile, le 2e khalife, Omar Ibn Al-Khattab (634-644), a eu fort à faire pour l’imposer aux musulmanes de l’époque. Certaines - dont Sakira bint al-Hussein, l’arrière petite-fille du Prophète - ont manifesté ouvertement une vive opposition à l’institutionnalisation du hijab. Pas de "foulard islamique" universel Depuis, le débat est ouvert. Chose certaine, il n’existe pas de "foulard islamique" universel ou de tenue caractéristique et généralisée à l’ensemble des femmes dans le monde musulman. Exception faite de l’Arabie Saoudite, de l’Iran et de l’Afghanistan où règne l’islamisme radical, chaque pays, et à l’intérieur de chaque pays, chaque région, témoigne d’un patrimoine vestimentaire intégré à la culture locale. Le "haïk" dans les pays du Maghreb, côtoie la "djellaba", la "sabniya" (foulard de soie brodé), tout autant que le tailleur ou le jeans. Le débat sur la pertinence du voile a donné lieu dans les pays musulmans à des prises de positions fort tranchées. Des théologiens et des juristes ont soutenu la lutte d’émancipation des femmes. Tahar Haddad, dans son célèbre ouvrage La femme dans la charia et la société, publié à Tunis, en 1929, plaide en faveur de la libération des femmes comme condition préalable à la modernisation de la société. Un an auparavant, l’Égyptien Kacem Amin a publié au Caire un ouvrage-choc intitulé la libération de la femme où il démolit la fameuse relation de cause à effet entre le voile et l’adultère. "Si les hommes redoutent de voir les femmes succomber à leurs attraits masculins, pourquoi n’ont-ils pas instauré le port du voile pour eux-mêmes (...). Le fait d’interdire aux femmes de se montrer sans voile exprime la crainte qu’ont les hommes de perdre le contrôle d’eux-mêmes... chaque fois qu’ils se trouvent face à une femme non voilée. Les implications d’une telle institution nous amènent à penser que les femmes sont considérées comme plus à même de résister que les hommes" (Kacem Amin, The liberation of the Woman, Le Caire, 1928, p. 65). Des gestes éminemment symboliques ont contribué à faire tomber le voile des musulmanes. La politique de laïcisation amorcée en Turquie, dans les années 20, ont mené à l’abolition de la polygamie et à la réforme du code vestimentaire. En 1932, "Miss Turquie" a été déclarée "Miss Monde". Cet événement a marqué le conscient collectif féminin tant en Turquie que dans les autres pays musulmans. En Iran, la reine et les princesses ont décidé d’abandonner le voile à compter de 1936. Au Maroc, c’est le Roi Mohamed V lui-même, également commandeur des croyants qui, en 1943, posa le geste audacieux de présenter en public sa fille, la princesse Aïcha, tête dévoilée. Mais au delà des symboles, c’est la généralisation de l’enseignement public qui a provoqué la "révolution tranquille" des femmes musulmanes. Des bancs d’école, elles ont réussi - l’espace d’une génération - à investir la vie publique jusque-là réservée aux hommes. Pas étonnant que l’une des principales mesures adoptées par la République islamique de l’Ayatollah Khomeiny, en 1979, fut la "tchadorisation" massive et généralisée des Iraniennes. Depuis, la campagne du foulard "dit islamique" bat son plein. Le voile comme carte d’identité politique Les femmes musulmanes ne constituent donc pas un groupe monolithique quant au choix de leur tenue vestimentaire. Elles sont des millions à se battre actuellement, au péril de leur vie, contre le fanatisme religieux et ses symboles. Et c’est là où le voile devient une carte d’identité politique, érigée par les intégristes pour affirmer leur présence et leur visibilité. Ce phénomène est apparu dans le sillage de la révolution islamique en Iran et a donné lieu à une industrie fort lucrative. Les intégristes ont réussi le coup de force de "prendre l’islam en otage", de l’interpréter à travers leur lunette politique qu’ils tentent d’imposer à coup de propagande et de guerre des symboles. En France, par exemple, lors de la controverse du foulard "dit islamique", en 1989, les intégristes sont parvenus à récupérer l’incident et en faire une "guerre de symboles" au nom de la liberté religieuse et des droits de la personne. Ils ont montré leur force en organisant une manifestation monstre où les Françaises converties à l’islamisme radical étaient sur la ligne de front portant des banderoles sur lesquelles on pouvait lire "Le voile est notre identité". L’un des leaders de cette tendance, Daniel Youssouf Leclerc, alors président de la Fédération nationale des musulmans de France, un cadre polygame, avait une idée bien arrêtée sur le voile : "Je suis favorable à un voile complet. Mais alors, complet ! Pas le Tchador que portent les musulmanes en ce moment et qui met en valeur les yeux et une partie du visage. Il ne faut aucun regard possible. D’abord, c’est plus moral, ensuite c’est plus excitant pour les relations sexuelles conjugales. Quand je vais en Algérie, je suis sevré pendant un mois à cause de toutes ces femmes cachées. Mettez-vous à la place d’un bon musulman qui arrive en France. Toutes ces filles nues... comment voulez-vous qu’il ne se sente pas provoqué ?" (L’Événement du jeudi, 22 au 28 novembre 1990). Du Pakistan en Algérie, en passant par l’Iran, l’Égypte, l’Arabie saoudite, le Soudan, le Nigeria, etc. ... les manifestations de violence et d’intolérance impliquant l’"exigence" du voile se multiplient. Maniant la carotte et le bâton, les intégristes, dans leur "grande générosité", offrent des hijabs gratuitement, et dans certains cas, ils sont même allés jusqu’à payer pour le faire porter par des universitaires. Dans plusieurs pays musulmans, l’importation du hijab "dit islamique" fait une concurrence déloyale à la tenue vestimentaire traditionnelle, mais ce sont les jeunes femmes, principalement les étudiantes et les professionnelles, qui constituent la cible privilégiée de cette propagande. Dans cette grande marche des intégristes vers la création de la "République islamique mondiale", il ne faut pas s’étonner si un jour vous entendez parler de la "barbe islamique", car c’est le sujet de l’heure dans certains milieux où la guerre des symboles - en l’absence d’une véritable réflexion théologique - a réduit les mosquées, ces superbes "maisons de Dieu, à de véritables succursales des mouvements politiques sous couvert de religion". J’ai écrit ce texte sur le voile, il y a vingt ans. Je le relis aujourd’hui à la lumière de la décision de la Cour fédérale qui interdit à Ottawa d’interdire le port du niqab lors de la cérémonie d’assermentation de la citoyenneté. Je ne peux m’empêcher de demander combien de fois faut-il tendre l’autre joue avant de comprendre qu’il ne s’agit pas ici de liberté de religion mais bien d’assaut orchestré par des islamistes contre la Charte canadienne des droits et libertés. Sinon, comment peut-on ériger un niqab, une burqa ou un tchador en "dogme religieux" auquel doit se soumettre le gouvernement du Canada alors que l’islam, auquel on attribue cette pratique, ne l’exige même pas ? Sommes-nous en présence d’un sacre du relativisme culturel ? Ce cas et bien d’autres démontrent, à suffisance, l’importance d’avoir des balises claires pour outiller les gouvernements et les institutions publiques à faire face aux dérives de l’intégrisme qui instrumentalise toutes les religions, l’islam en particulier. Le projet de loi 491 que j’ai déposé à l’Assemblée nationale, le 12 février 2014, propose une réflexion et des pistes de solution approfondies et non partisanes. Certaines ont été reprises par Ottawa ou par Québec. Il reste maintenant à poser le chaînon manquant, celui de la neutralité religieuse de l’État. – Ce texte a été reproduit sur Sisyphe avec l’autorisation de l’auteure, que nous remercions. – Suivre Fatima Houda-Pepin sur Facebook Mis en ligne sur Sisyphe, le 21 février 2015 |
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