Lorsque j’ai appris que la Gazette des femmes avait l’intention de publier un dossier sur l’hypersexualisation de la mode, j’ai eu chaud. Encore ! me suis-je exclamée. Il me semblait que le sujet, qui nous avait fort bien occupées, merci, ces dernières années au Québec, était derrière nous. Qui plus est, le Conseil s’était prononcé en 2008 sur la sexualisation de l’espace public dans l’avis Le sexe dans les médias : obstacle aux rapports égalitaires *. Il était clair, pour le Conseil, que le phénomène allait entraîner des répercussions sur les adolescentes et les adolescents québécois, et influer plus particulièrement sur leurs comportements sexuels et leur façon de s’engager dans des rapports amoureux. Par conséquent, il était impératif de planifier des mesures pour en contrer les effets néfastes. Une série de recommandations avaient donc été formulées au gouvernement. Mais, comme le dit l’adage, cent fois sur le métier... Et en ce qui a trait à la manière de percevoir et de traiter le corps des femmes, je crois bien que la répétition sera nécessaire pour venir à bout des stéréotypes les plus récalcitrants…
Été 2010. L’actualité nous offre matière à réfléchir. Un site de rencontres en ligne qui s’adresse à des personnes esthétiquement choyées annonce la création d’une banque de sperme pour beaux enfants. Pas de garantie d’intelligence ; simplement la certitude d’une apparence physique conforme à certains standards de beauté. Quelques semaines auparavant, le Collège des médecins rendait publique son intention d’encadrer la chirurgie esthétique de mesures et de règles plus serrées ayant pour but de mieux assurer, lors des interventions, la protection des patients – et des patientes, faut-il le préciser, car le recours aux diverses techniques médicales à des fins esthétiques est très populaire auprès des femmes. Et j’ajouterais que l’objectif est aussi de limiter les dégâts, c’est le cas de le dire, puisque « le nombre de plaintes dans ce champ d’activité aux fins d’indemnisation auprès d’avocats spécialisés dans le droit de la santé est en croissance importante », rapportait le Groupe de travail sur la médecine et la chirurgie esthétiques dans son rapport final de mars dernier.
Pas de doute, nous vivons dans une société obnubilée par son image corporelle. Et dans la tête d’une féministe, l’image corporelle renvoie inévitablement aux femmes. Elles qui, de tout temps, ont été ravalées au rang d’objet par les hommes, jugées et utilisées sur la base d’une potentielle marchandisation ou appropriation de leur corps. En témoignent les nombreuses années pendant lesquelles les Québécoises ont été confinées à leur rôle de procréatrices, mais aussi les femmes qui subissent l’emprise de la prostitution et de la pornographie, voire celle du port obligatoire de signes religieux ostentatoires. Sans compter les femmes victimes de la traite au Canada.
S’il existait un remède, une panacée à la dictature du corps parfait, je souhaiterais l’inventer. Comme le disait la féministe américaine Gloria Steinem, fondatrice du Ms. Magazine : « Si le soulier ne vous fait pas, faut-il changer votre pied ? » [traduction libre] Pourquoi en est-il autrement des seins, par exemple ? Comment se fait-il que le corps de la femme soit davantage apprécié, voire valorisé s’il est sexy ? Ce sont les mentalités et les pratiques qu’il faut s’attarder à transformer. Une partie de la solution consiste à intensifier notre lutte contre les stéréotypes sexuels et sexistes. Car si l’analyse féministe a démontré que le sexisme et la discrimination systémique étaient la cause de la persistance des inégalités entre les sexes, la production – ou la reproduction – des stéréotypes en constitue une manifestation que l’on gagnerait à cerner pour parvenir à des rapports égalitaires exempts de domination. Du coup, on pourrait libérer les femmes – et nos filles – des diktats culturels qui les emprisonnent.
Pour contrer les stéréotypes sexistes et les utiliser comme outils de lutte contre les discriminations femmes-hommes, il est important d’en prendre conscience, de les repérer et de les décoder dans le choix des mots, des thèmes, des images. Cela me fait penser aux politiciennes qui sont plus sévèrement critiquées pour leur apparence physique et les vêtements qu’elles portent que ne le sont leurs confrères. Pourtant, ce que nous pensons et ce sur quoi nos agissons n’importe-t-il pas davantage que ce qu’on se met sur le dos ?
D’où la nécessité d’agir auprès des adultes de demain afin que notre projet de société égalitaire, déjà bien amorcé au Québec, soit à leur portée.
La sexualisation de la mode et de l’image corporelle… nous n’avons pas fini d’en parler.
Christiane Pelchat,
Présidente du Conseil du statut de la femme
– Le mot de la présidente, Gazette des femmes, septembre-octobre 2010, en ligne le 2 septembre.
– Conseil du statut de la femme : Site.
* « Le sexe dans les médias : obstacle aux rapports égalitaires »
Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 août 2010
Suggestion de Sisyphe
La mode hypersexualisée, par Mariette Julien, publié en janvier 2010, aux Éd. Sisyphe. Votre libraire peut commander ce livre pour vous s’il ne l’a pas en main. Plus de détails sur cette page.