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jeudi 24 novembre 2005


Projet de réforme des services de garde au Québec
Un recul, un affront, un geste politique inacceptable

par Nancy Neamtan, présidente du Chantier de l’économie sociale






Écrits d'Élaine Audet



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Voici la position présentée, le mardi 15 novembre 2005, par Mme Neamtan devant la commission parlementaire chargée d’étudier le Projet de loi 124 sur la réforme des services de garde au Québec.

Pourquoi tant insister pour témoigner devant cette commission parlementaire ? Je vais être franche avec vous : pour moi, ce projet de loi et tout le processus ayant mené à son dépôt constituent un des gestes politiques les plus inacceptables de ce que j’ai pu observer depuis fort longtemps. Et, devant un tel constat, je ne peux pas rester silencieuse. Car ce projet de loi constitue non seulement un recul pour la société québécoise mais aussi un affront direct aux milliers d’hommes et de femmes qui se sont battus, qui ont donné des heures, des journées et des années de leur vie pour construire un réseau de centres de la petite enfance, qui fait l’envie de tous à travers le Canada et ailleurs dans le monde.

La réforme que propose la ministre* suggère un virage à 180 degrés par la simple prestation de services de garde, voire de services de gardiennage, et ouvre la voie à la commercialisation de ces services. D’un seul coup, toutes les composantes du projet social et éducatif portées par les CPE depuis 1997, qui ont assuré leur succès, sont évacuées avec, pour seul prétexte, une économie d’échelle guidée, à mon avis, par une vision dogmatique.

À travers ce projet de loi, je crois que la ministre s’attaque à ce que nous avons de plus précieux au Québec, un projet mobilisateur qui permet à la société québécoise d’offrir ce qu’elle a de mieux aux générations actuelles et futures. Comme des dizaines de milliers d’autres personnes, je ressens une profonde tristesse et une très grande colère devant ce projet que la ministre semble vouloir imposer à tout prix pour des raisons que je n’arrive pas à deviner.

Mais si je ne peux pas comprendre pourquoi la ministre s’attaque avec autant d’ardeur à un acquis collectif qui s’est construit pendant 30 ans, je vais profiter de ces quelques minutes pour vous donner les dix raisons pour lesquelles ce projet de loi, à mon avis, est irrecevable, et pourquoi il faut le rejeter.

La meilleure forme d’organisation

 Première raison : je fais partie de ceux et celles qui se sont mobilisés, dans les années 70, et qui ont contribué à la mise en place des garderies populaires. Ce modèle de prise en charge par les parents et la collectivité est à l’origine des CPE, et si nous considérons que ce modèle est encore la meilleure forme d’organisation, ce n’est pas par nostalgie. Toutes les études internationales démontrent la supériorité de ce type de services de garde. Et ce constat ne date pas d’hier. Je me permets, d’ailleurs, de vous rappeler que le plan Bacon mis en place par un gouvernement libéral dans les années 70 donnait priorité aux garderies sans but lucratif.

 Deuxième raison : je fais partie des parents québécois qui ont vécu l’expérience de chercher désespérément des services de garde de qualité pour leurs enfants. Mon mari et moi avons élevé quatre enfants et avons vu la différence entre les garderies sans but lucratif, où nous avions notre mot à dire, le travail au noir, qui était très présent, ou la garde en milieu familial sans supervision, où nous pouvions simplement espérer que notre enfant se retrouve entre bonnes mains.

Penser que la ministre veut faire revivre cela aux parents en créant des mégastructures qui encadreront en moyenne 700 enfants, tout en sabrant dans les ressources de soutien pédagogique dépasse ma capacité de compréhension en tant que mère.

 Troisièmement : je n’arrive pas à concevoir que la ministre puisse mettre en péril ce projet merveilleux qui a fait consensus lors du Sommet sur l’économie et l’emploi en 1996.

En tant que présidente du Groupe de travail sur l’économie sociale, j’ai eu le privilège de présenter la proposition de concertation inter-régionale des garderies du Québec en vue de créer les CPE. Nous avons été témoins des nombreuses étapes ayant mené à la construction du réseau à travers la mobilisation massive des parents, travailleuses et communautés de partout au Québec. Presque dix ans plus tard, c’est avec fierté que je constate les progrès réalisés. Bien sûr, tout n’est pas parfait, mais est-ce une raison suffisante pour dénaturer totalement ce projet ?

Quel bilan négatif ?

 Quatrième raison : je ne peux pas partager le bilan négatif qu’utilise la ministre pour défendre son projet basé sur des anecdotes, à défaut d’études scientifiques. À l’automne 2002, le Chantier de l’économie sociale a mené un processus de bilan, cinq ans après l’adoption de la politique familiale. Pour ce faire, nous avons organisé une tournée dans 16 régions durant laquelle nous avons tenu des assemblées publiques et échangé avec plus de 1300 personnes, parents, travailleuses, élus locaux et autres. J’ai constaté jusqu’à quel point ce réseau de CPE était indispensable non seulement pour les parents et les enfants mais pour une foule d’acteurs locaux et régionaux, d’intervenants dans les domaines de la santé et des services sociaux, de l’éducation et bien d’autres.

Encore une fois, tout n’était pas parfait, c’est bien sûr, mais personne ne questionnait la mission éducative et le projet social à la base du réseau.

 Cinquième raison : je considère que le projet de loi 124 trahit les promesses du Parti libéral. En 2003, j’ai été ravie de voir qu’un des sujets de la campagne électorale concernait les centres de la petite enfance. Les critiques du Parti libéral se résumaient à dire que le développement ne se faisait pas assez vite. Comme citoyenne, j’ai pensé que les CPE étaient entre bonnes mains, que, peu importe les résultats, je n’avais pas de raison de m’inquiéter. Comment donc justifier ce projet de loi qui vide le réseau de sa mission fondamentale ?

 Sixième raison : je n’accepte pas que la ministre démolisse un acquis qui a donné tant d’espoir aux intervenants préoccupés par la petite enfance, non seulement au Québec mais à travers le Canada.

Je sais que mes collègues dans les autres provinces seront abasourdis par ce projet de loi. J’ai eu le privilège de prendre la parole devant 800 personnes réunies à Winnipeg l’année dernière et de pouvoir constater à quel point le modèle québécois faisait l’envie du reste du Canada. Comment expliquer, surtout après la récente entente fédérale-provinciale que nous saluons, que la ministre se prépare maintenant à vider le réseau de sa portée éducative et sociale ?

Des conséquences concrètes

 Septième raison : je sais que les conséquences de ce projet de loi seront de réduire l’accessibilité pour des enfants ayant des besoins particuliers. Sans soutien pédagogique, il est évident que les responsables des services de garde ne pourront assumer les défis liés à l’intégration et à la prise en charge de ces enfants. Nous nous privons ainsi, comme société, d’un outil puissant d’intégration. Le coût individuel et collectif à moyen et à long terme n’a certainement pas été calculé.

 Huitième raison : je considère que ce projet de loi nous prive d’une possibilité inestimable de faire de la vraie prévention en santé et en services sociaux. Des partenariats de plus en plus développés entre le réseau de la santé et des services sociaux et les CPE au niveau local, l’entente-cadre signée par les ministères de la Famille et de la Santé, l’Association des CLSC ainsi que l’Association québécoise des centres de la petite enfance, seraient mis en péril.

Pourtant, toutes les études internationales démontrent que le dépistage précoce constitue un moyen formidable pour prévenir des problèmes sociaux et, logiquement, pour réduire des coûts. Est-ce que la ministre se rend compte des impacts de son projet de loi sur une question aussi stratégique ?

Refus de dialoguer

 Neuvième raison : je considère que l’ensemble du processus menant au dépôt de ce projet de loi a été caractérisé par un refus de dialogue de la part de la ministre et que les résultats en témoignent.

Personne ne peut ou ne veut prétendre que tout est parfait dans le réseau des CPE, mais pourquoi avoir refusé systématiquement toute proposition venant de l’axe CPE pour trouver des solutions réalistes ? Il me semble que si la ministre avait comme but d’améliorer les services de garde au Québec, elle avait un devoir de travailler d’une manière constructive et concertée avec les principaux intéressés afin de trouver des solutions.

Mon métier, depuis 20 ans, a été de construire des passerelles entre les entreprises, des syndicats, des organismes communautaires, les élus, les milieux sociaux et bien d’autres dans des situations fort complexes afin de revitaliser des quartiers, créer de l’emploi, développer l’entrepreneurship collectif et social, réduire la pauvreté et contribuer au développement des collectivités à travers le Québec. Mon expérience a démontré qu’il est toujours possible, quand la bonne volonté y est, de trouver des solutions à travers la concertation et le dialogue. Au nom des enfants et des parents du Québec, pourquoi n’avons-nous senti aucun véritable effort en ce sens ?

Pourquoi la confrontation et le refus de discussion ?

 La dernière raison pour ajouter à ce projet de loi est de nature très personnelle. Depuis un peu plus d’un an, j’ai le privilège d’être grand-mère et, comme toute grand-mère, je réfléchis à l’héritage que nous laissons à nos petits-enfants. Le réseau des CPE [...] représente l’une des choses dont je suis la plus fière comme Québécoise : pouvoir léguer ce réseau à mes enfants et petits-enfants, en ayant contribué comme des milliers d’autres à son édification est une source de grande fierté. Il est inconcevable pour moi qu’on puisse détruire cet héritage bâti.

Voilà donc les dix raisons qui m’amènent devant cette commission pour vous demander de faire le choix logique dans les circonstances : refuser le projet de loi et se remettre de nouveau autour de la table dans un esprit concerté de recherche de solutions réalistes qui nous permettront de répondre, collectivement, le mieux possible aux besoins des enfants et de leurs parents.

Source : Le site de l’Assemblée nationale du Québec, voir Commission des Affaires sociales, Mémoires et documents déposés. On peut écouter en direct les délibérations de la Commission sur le projet de loi 124, Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance et télécharger les mémoires. Publié également dans Le Devoir, le 24 novembre 2005.

* Carole Théberge, ministre de la Famille, gouvernement du Québec.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 24 novembre 2005.

Lire également

 « Une coordination à grande échelle a des effets bénéfiques ».
 Jacqueline Phélip, Le Livre noir de la garde alternée, Dunot, Paris, 2006, préface du Dr Maurice Berger, 226 pages.



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Nancy Neamtan, présidente du Chantier de l’économie sociale

L’auteure de ce mémoire est présidente et directrice générale du Chantier de l’économie sociale, au Québec..



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