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jeudi 22 mars 2012 Ana Pak, féministe iranienne en exil : "S’unir dans la classe des femmes" Propos recueillis par Olampe
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Ana Pak, exilée politique iranienne et militante féministe, fait partie du collectif Lesbiennes-Féministes-ba-ham (CLFBH), créé en février 2012. Dans cet entretien, elle nous présente le collectif, ses origines, ses objectifs. Pourquoi avez-vous créé ce collectif ? En 2008, lors d’un débat à l’Université de Columbia aux États-Unis, Ahmadinejad déclara qu’ "en Iran, il n’y a pas d’homosexuels !"(sic). Bien évidemment en Iran, comme partout dans le monde, il y a des lesbiennes et des homosexuels. En 2010, des lesbiennes, des homosexuels et des transexuels ont voulu créer un mouvement d’exilé-e-s LGBT d’Iran. Très rapidement, les lesbiennes féministes, qui d’ailleurs étaient à l’origine de ce mouvement, se sont rendu compte que ce n’était pas possible de lutter contre le patriarcat dans un mouvement mixte. C’est pourquoi, en novembre 2010 à Frankfort, nous avons tenu notre première rencontre internationale des lesbiennes d’Iran. En France, depuis quelques années, nous avons constaté qu’il y avait une vague d’exilées en raison de leur lesbianisme. Afin de rompre l’isolement dû à la brutalité de l’exil, nous avons voulu créer un espace d’accueil. Car si une personne qui est dans les mouvements politiques sait et est consciente du danger et des risques qu’elle prend, deux femmes qui s’aiment et vivent leur amour dans la clandestinité totale ne se doutent parfois pas des risques et des menaces. Il y en a pourtant beaucoup. Par exemple, le régime islamiste de Téhéran, à cause des dénonciations, tend des guets-apens aux lesbiennes qui se rendent à de micro-rencontres chez les unes et les autres. Celles qui ont réussi à s’échapper ont cru au début qu’il leur suffirait de partir quelque temps de chez elles, de leur quartier et de leur ville, ou d’aller dans un pays voisin pour être en sécurité. Mais en réalité, elles n’ont pas pu rentrer et ont été forcées, sans y être préparées, de tout quitter du jour au lendemain. C’est pourquoi, l’exil est très douloureux et brutal. Tout en se battant pour régulariser leur situation administrative ici, elles sont dans l’espoir d’un retour prochain chez elles. Nous voulons être là, les accueillir, les écouter, lorsqu’elles arrivent en France. Pourquoi avoir nommé ce collectif Lesbiennes-Féministes-ba-ham ? Lesbiennes-Féministes se prononcent de la même manière en persan et Ba-ham signifie ensemble en persan. Nous sommes pour la plupart nées et avons grandi en Iran (avec toutes ses montagnes, neiges, ressources, couleurs, ses déserts, roses, grenades... qui continuent de nous rappeler le pays de l’enfance et à nous faire rêver). Nous voulions montrer le mensonge et le ridicule des propos d’Ahmadinejad et du régime islamiste qui dit qu’"en Iran il n’y a pas d’homosexuel-les", tout en refusant de se revendiquer d’une quelconque nationalité. Ce dilemme nous a retardées plus d’un an pour lancer le mouvement. Mais cette réflexion était utile, car en tant que féministes nous refusons d’adhérer à n’importe quelle fiction inventée par des mâles : race, religion, nation, culture, couleur politique.... Nous ne voulons nous revendiquer d’aucune de ces institutions du patriarcat. Car celles-ci n’existent que pour enfermer et diviser les femmes. Comment se dire iranienne, française ou d’un quelconque pays, lorsque sur la planète entière seulement 1% des terres appartient aux femmes, et que les femmes n’ont aucun pouvoir politique ? Nous pensons que les femmes n’ont pas de matrie (comme disent les persophones), ou bien de patrie (comme disent les francophones). Le persan étant une langue commune parlée en Iran et dans une bonne partie d’Afghanistan et du Tadjikistan, nous avons décidé de nous organiser autour d’une communauté langagière persophone. La langue a été forgée par nos oppresseurs. Nous devons créer notre propre langage afin de nous réapproprier la langue. Tout comme nous devons nous réapproprier notre corps qui a été marqué au fer rouge du patriarcat. En Iran, nous étions condamnées à porter le voile qui nous a déformé le corps et l’esprit. Pour ma part, il m’a fallu beaucoup de temps pour me réapproprier mon corps. Peut-être aussi est-ce pour cela que je suis restée aussi longtemps étrangère à moi-même. Comment sont reçues les lesbiennes exilées d’Iran en France ? Depuis l’élection de Sarkozy, l’accueil des demandeuses et demandeurs d’asile en France est inhumain. Cela touche aussi les lesbiennes exilées. Le manque de moyens par lequel l’État français contraint les travailleuses-eurs sociaux d’accueillir les demandeuse-eurs d’asile est lamentable. L’attente pour l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) est très longue. Et parfois les demandes sont rejetées. En ce qui concerne des associations françaises, il n’y a pas grand-chose, à part le RAJFIRE (Réseau pour l’Autonomie Juridique des Femmes Immigrées et Réfugiées) et surtout l’ARDHIS (Association pour la Reconnaissance des Droits des Personnes Homosexuelles, Transexuelles à l’Immigration et au Séjour), qui aide à la régularisation des situations administratives des femmes lesbiennes. L’Association des Femmes Iraniennes pour la Démocratie (LFID) accompagne les femmes dans leurs démarches administratives, santé.... Sur le plan politique, il y a un manque d’intérêt, d’échange, de curiosité et de solidarité de la part de la communauté lesbienne française envers les problématiques des femmes d’ailleurs et des nouvelles arrivantes. Quelle est la situation des femmes en Iran et en Afghanistan ? Comme partout dans le monde, les femmes subissent la violence des hommes, la contrainte au mariage, à l’enfantement et à la maternité, à l’hétérosexualité, le viol, la prostitution... Il y a en plus la violence de la religion, institutionnalisée par l’État islamiste. L’apartheid sexiste imposé aux femmes. La loi soumet les femmes à un statut de mineures à vie. Une fille peut être légalement contrainte au mariage dès 9 ou 13 ans, sous le contrôle du père. Une fois mariée, la femme perd toute liberté en passant sous le tutorat de son mari : légalement elle ne peut ni voyager seule, ni étudier, ni travailler sans l’accord du mari. Une femme seule (=sans homme) ne peut pas dormir à l’hôtel. La part d’héritage d’une fille est moitié de celle de son frère. Le témoignage en justice de deux femmes égale celui d’un homme. Un homme peut tuer son épouse en prétextant qu’elle est adultère. Alors qu’une femme qui tue pour se défendre d’un violeur sera condamnée à mort par la justice. Dans ces pays, les femmes accusées d’adultère sont lapidées. Puis il y a des violences qui sont plus spécifiques : en Afghanistan, les Talibans menacent, attaquent et torturent les petites filles qui vont à l’école. Ils les brûlent par l’acide, leur coupent le nez, l’oreille... En Iran, une femme mariée à un étranger, même vivant dans le pays, ne peut transmettre sa nationalité et ses droits à ces enfants. Or en Iran il y a 4 millions de personnes afghanes exilées et immigrées, et beaucoup de mariages mixtes. Les enfants des femmes iraniennes sont privés d’école ! En Iran, la première violence est le voilement obligatoire de toutes les femmes. Nous le condamnons et luttons contre le voile de toutes nos forces. Le voile est le drapeau de l’appropriation par les hommes, du corps des femmes. Le voile est comme l’étoile jaune que les nazis obligeaient les juifs à porter. En même temps que le voile cache les femmes, il les désigne comme le "Sexe", et par là même les sexualise. Dès neuf ans, une petite fille a un corps sexué, sexualisé et est obligée de disparaître sous le voile. Par conséquent, elle peut être obligée au mariage. Ainsi, dans ces deux pays, la pédocriminalité est légalisée : les petites filles sont mariables, à partir de 9 ou 13 ans. Les corps des femmes sont les champs de batailles des hommes : ils les voilent, violent, rendent invisibles, achètent, vendent, torturent, lapident... Et la situation des lesbiennes ? Les lesbiennes et les homosexuels sont l’objet de violences spécifiques. Si quatre hommes témoignent de l’homosexualité d’une femme ou d’un homme (relation intime entre deux personnes de même sexe), la personne est condamnée à mort. Exécutions, tortures, viols, emprisonnements, persécutions, mutilations psychologiques et corporelles (électrochocs, injections d’hormones et de psychotropes, culpabilisation fondée sur les croyances religieuses...) menacent la vie des hommes et femmes homosexuelles depuis plus de 30 ans en Iran. En Iran, le « changement » de sexe est largement imposé et pratiqué par tout l’appareil d’État islamiste (Ayatollahs, médecins, administrations...). Car le régime islamiste dit que si une femme en aime une autre, c’est qu’elle aurait dû naître homme (c’est donc une erreur de la nature qu’il faut corriger ! Mais, d’un clin d’œil, le dieu disparaît et la nature prend sa place et devient fautive). Donc il oblige la lesbienne à prendre l’apparence d’un homme : par des injections hormonales, ablation des seins... Si un homme en aime un autre, il aurait dû naître femme, donc, par les hormones, ils lui font gonfler les seins, on lui enlève le pénis... À la fin, ils créent des individu-es sans aucune identité. Ces personnes ne peuvent plus avoir de quelconques relations sexuelles, car leur corps est marqué par les bistouris chirurgicaux. À la place du sexe, on leur a laissé des trous. Des personnes qui ne savent qui elles sont. Elles n’ont aucun accès au marché de travail, rejetées par leur famille et la société, elles se retrouvent sur le "marché" de la prostitution. Et malheureusement dans beaucoup de cas, elles finissent par le suicide. Tout cela parce que, dans la société islamiste, ils ne veulent pas sortir du schéma homme-femme, ils ne veulent pas remettre en question la construction sociale des sexes. Pour eux, la société est faite des femmes et hommes marquées et chargées sexuellement dans une relation hétéro-androcentrique. Quels sont vos objectifs ? Nos buts sont : . Rendre visibles les lesbiennes nées dans les pays persophones. . Accueillir de nouvelles arrivantes contraintes à l’exil. Leur offrir un espace d’écoute, d’entraide et d’échanges afin de rompre l’isolement dû à la brutalité de l’exil. . Les accompagner, informer et soutenir : traduction de documents, information sur les droits, accompagnement dans les démarches administratives (régularisation, santé, logement, recherches de formation et de travail). . Dénoncer l’apartheid sexiste dans ces pays : en premier lieu, la lutte des femmes de là-bas pour se libérer du voile et de ses conséquences. . Faire prendre conscience aux femmes et aux féministes d’ici du danger de l’islamisme rampant en Europe. Et leur demander de soutenir la lutte des femmes contre l’apartheid sexiste : le voile, le mariage forcé, la mutilation sexuelle, crimes dits d’"honneurs", le viol, le trafic des enfants et des femmes à des fins de prostitution vers les pays riches (Europe de l’Ouest, pays arabes du Golfe Persique, Amérique du Nord). • Relayer ici les luttes féministes de là-bas. • Faire connaître les éventuels soutiens des féministes d’ici aux luttes des femmes de là-bas. Quelles sont vos revendications politiques ? • Lutter contre la misogynie et la haine des lesbiennes ici et là-bas. . Dénoncer et lutter contre les violences des hommes contre les femmes. Violences basées sur la religion. Violences légalisées par l’État islamiste. . Dénoncer les violences spécifiques contre les lesbiennes et les homosexuels. . Créer un espace d’échanges, de réflexions et de revendications politiques pour lutter contre toutes les institutions du patriarcat ainsi que ses outils. Quel message souhaites-tu adresser aux lesbiennes en France ? Tant que les femmes ne se constitueront pas en classe des femmes, on ne pourra pas se débarrasser du patriarcat et de ses institutions qui organisent les violences des hommes contre les femmes. Tant que nous adhérerons à toutes les fables et fictions (pays, nation, culture, tradition, religion, institutions, mariage, État, patrie, race, partis politiques etc…) inventées par les hommes, pour visser, diviser et subdiviser les femmes, rien ne changera pour elles. En adhérant à leurs fictions, elles se soumettent à la politique des hommes contre l’intérêt de notre propre classe. Nous n’enlèverons nos chaînes que lorsque nous ne nous retrancherons plus derrière les fictions des hommes, fictions qu’ils ont inventées pour nous aliéner. Comment peut-on se dire contre le patriarcat et en même croire à ses fictions ? Si des lesbiennes, comme des homosexuels continuent à revendiquer le mariage, la GPA, si elles rejettent les unes et les autres femmes et féministes au nom de "blanches" "racialisées" ? Qu’est-ce qu’elles ont compris du fonctionnement du patriarcat, et par conséquent, de la lutte contre lui ? C’est le patriarcat qui a inventé la notion de "race" pour justifier la traite, l’extermination et la colonisation d’autres humains. Sinon comment la couleur de peau ou la religion peut-elle constituer la "race" ??! Femmes ! Laissons ces fictions de côté ! Unissons-nous dans la classe des femmes. Pour changer le monde ! Comment vous contacter ? Vous pouvez nous écrire cette à adresse pour vous tenir informées. Nous vous communiquerons plus tard l’adresse de notre blogue. Nos moyens sont très limités, c’est pourquoi il faut être patiente. Propos recueillis par Olampe. Février 2012 Mis en ligne sur Sisyphe, le 1 mars 2012 |