Pendant que la Cour d’appel de l’Ontario examine la décision d’un tribunal de première instance qui abrogerait les lois du Canada contre la prostitution, la population canadienne est apparemment confrontée à deux positions extrêmes. D’une part, les trois intimées tentent de présenter la prostitution comme un métier qui peut être rendu plus sûr. D’autre part, le gouvernement fédéral soutient qu’il n’encourt aucune obligation de protéger les personnes qui font le « choix économique » de s’engager dans ce qui pourrait être un comportement périlleux.
Mais au lieu de se rallier à l’une ou l’autre de ces positions – qui vont certainement exposer encore plus de femmes aux risques de la traite des personnes – la Cour d’appel a aujourd’hui l’occasion d’amener le Canada à embrasser une démarche juridique fondée sur les droits humains et les droits des femmes : il s’agit du modèle nordique, originaire de Suède et qui s’est propagé à des pays comme la Norvège, l’Islande, les Philippines et la Corée du Sud.
Appuyer un modèle juridique qui décourage la demande de sexe vénal serait une démarche cohérente avec le dossier canadien en matière de droits de la personne, lequel jouit d’un respect international.
Premièrement, les pays qui décriminalisent ou légalisent la prostitution adressent aux trafiquants d’êtres humains un signal clair à l’effet que ceux-ci sont les bienvenus pour mener des « affaires » dans leur pays. En effet, ces politiques créent des conditions juridiques qui s’avèrent accueillantes pour la traite des personnes, et les pays, qui ont légalisé ou décriminalisé la prostitution, assistent à une augmentation spectaculaire de la demande de prostitution et de l’incidence de la traite sexuelle qu’elle alimente.
Des études soulignent également la violence inhérente que constitue la prostitution. Melissa Farley, de l’organisme Prostitution Research and Education, a conclu de ses recherches que la prostitution se construit sur une base de violences, qui ont le plus souvent débuté dans l’enfance des personnes prostituées. Celles-ci sont ensuite achetées et soumises à d’autres violences dans un contexte sexuel. Madame Farley en a conclu que les personnes soumises à la prostitution souffrent énormément des actes répétés de violence vécus dans l’industrie du sexe.
Deuxièmement, la prostitution est le plus souvent une pratique de discrimination sexuelle, dans laquelle les filles et les femmes sont la cible de violences sexuelles. C’est une injustice sociale découlant de l’inégalité la plus ancienne du monde, celle entre les hommes et les femmes, et la perpétuant. Les femmes les plus marginalisées par la discrimination raciale et ethnique comptent parmi les plus vulnérables à l’exploitation sexuelle commerciale. La prostitution est aussi inextricablement liée à la traite. Décriminaliser la prostitution équivaut à banaliser les inégalités sociales sous-jacentes qui donnent lieu à l’exploitation sexuelle et contrevient fondamentalement à l’objectif de l’égalité des sexes.
La façon de traiter une injustice n’est pas de la rendre plus tolérable mais de l’éradiquer complètement. Le moyen le plus efficace pour remédier à cette plus vieille oppression est de créer les conditions juridiques, politiques et sociales qui donnent aux femmes une alternative à la prostitution plutôt que de travailler à les maintenir dans l’industrie du sexe. En d’autres termes, la politique sociale doit refléter le droit de ne pas être prostituée.
N’agissons pas pour rendre les cages plus confortables, éliminons entièrement ces cages. Le Canada devrait décriminaliser les personnes prostituées et confronter la demande en pénalisant les acheteurs.
Cette approche, le modèle nordique, est basée sur la reconnaissance que la prostitution est une violence contre les femmes, et que les femmes sont des êtres humains qui ne peuvent pas être achetés ou vendus à des fins d’exploitation sexuelle commerciale. Ce modèle criminalise l’industrie du sexe et ses clients, tout en dépénalisant les personnes exploitées dans le commerce du sexe. En criminalisant l’achat d’un acte sexuel, la loi identifie et pénalise les responsables du préjudice inhérent à la prostitution. C’est la seule approche qui permettra de réduire la traite des personnes à des fins sexuelles.
Norma Ramos est directrice générale de la Coalition internationale contre la traite des femmes (CATW).
Source : Globe and Mail, 28 juin 2011.
Traduction : Martin Dufresne
Publié et traduit avec l’autorisation de l’auteure.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 28 juin 2011