Jusqu’à présent, trois États et un territoire australiens ont libéralisé les lois sur les rapports sexuels en légalisant des bordels ; dans chaque cas, ce sont des gouvernements travaillistes qui ont adopté ces lois.
L’Australian Labor Party (ALP) est affilié à l’Internationale socialiste (IS) qui comprend des partis politiques socialistes, sociaux-démocrates et travaillistes partout dans le monde.
La gauche australienne appuie sa position sur une lecture de la prostitution basée sur une vision de l’industrie du sexe essentiellement économiste, partisane du libre-marché, et adossée à des arguments libertariens qui font de la prostitution une forme d’emploi comme une autre et y préconisent un accès accru des utilisateurs.
En revanche, de nombreux partis frères de l’ALP au sein de l’IS ont adopté une approche communautaire à large spectre de la prostitution, en réclamant des lois pour mettre fin à l’exploitation sexuelle des gens, à leur réduction à l’état de marchandises et à la traite des personnes à des fins sexuelles.
Le Parti social-démocrate suédois, le Parti travailliste de Norvège et l’Alliance sociale-démocrate islandaise ont tous introduit des lois criminalisant l’achat de services sexuels, tout en dépénalisant la prostitution et en offrant de véritables possibilités de quitter l’industrie, y compris du soutien, des formations et des démarches de recyclage.
Quant au modèle nordique, la Première ministre islandaise Jóhanna Siguröardóttir a déclaré : « Les pays nordiques sont les leaders en matière d’égalité des femmes, du fait de reconnaître les femmes comme citoyennes à part entière plutôt que comme marchandises à vendre. » En 2010, le gouvernement dirigé par Siguröardóttir a amené l’industrie du sexe au bord de la faillite après l’introduction d’un projet de loi interdisant aux employeurs de tirer profit de la nudité de leurs employées. Cette loi a conduit à la fermeture immédiate d’une foule d’établissements allant des clubs de striptease aux bars de danseuses nues.
Plusieurs partis affiliés à l’IS sont favorables à des lois similaires pour aligner la législation de leur pays sur celles du modèle nordique. Ce sont notamment le Parti socialiste français, le Parti travailliste d’Irlande, le Parti travailliste écossais, et les Sociaux-démocrates danois.
L’ALP, par contre, s’en est tenu à une approche superficielle de l’enjeu de la prostitution et n’a pas réussi à réagir aux problèmes sociaux plus vastes qui sont symptomatiques de la légalisation de l’industrie du sexe. Ces problèmes sont notamment l’expansion du secteur illégal qui a accompagné la légalisation de l’industrie du sexe, ainsi que ceux de la traite des personnes et de l’esclavage sexuel.
Selon une étude menée à l’Université de Göttingen en 2012, l’Australie est considérée comme un des pays où la traite des personnes sévit le plus. Après s’être penchés sur la traite dans plus de 150 pays, les auteurs de ce rapport ont constaté que les pays qui ont légalisé la prostitution ont connu une expansion du marché de la prostitution et de plus grands flux de traite des personnes à des fins sexuelles.
Cela démontre que la gauche australienne a eu tort de ne pas prendre ses distances du mantra pro-légalisation et examiner les questions plus vastes de droits de la personne en jeu dans le débat sur la prostitution.
L’ALP a ignoré les voix des personnes prostituées et victimes de la traite et a systématiquement refusé de se pencher sur le modèle nordique, se contentant d’affirmer sa conviction que cette approche ne ferait que repousser l’industrie du sexe dans la clandestinité.
L’ALP n’est pas seul à adhérer aveuglément à un modèle juridique pro-industrie. Les Verts australiens s’avèrent également déconnectés de bon nombre des partis frères auxquels ils sont affiliés par le biais des Verts mondiaux.
La charte des Verts mondiaux stipule que les partis affiliés « œuvreront afin de garantir que tous les hommes, les femmes et les enfants puissent bénéficier de la sécurité économique sans avoir recours aux activités susceptibles de leur porter atteinte, telles que la pornographie, la prostitution et la vente d’organes ».
Les politiques adoptées par les Verts australiens ont souvent apparu déroger à cet objectif, en particulier dans des États comme l’Australie occidentale où les Verts ont préconisé la création de red-light districts. Le leader des Verts de cet État, Giz Watson, a également attaqué les députées libérales en les accusant d’« entretenir des notions illusoires d’exploitation par des tierces parties en matière de prostitution ».
La députée des Verts du New South Wales, Cate Faehrmann, a également défendu l’industrie quand elle a mis en garde les législateurs contre toute réaction musclée aux révélations récentes sur la traite et l’esclavage sexuel des personnes.
Faehrmann s’est opposée aux tentatives du gouvernement du NSW pour créer un organisme de réglementation des bordels, en faisant valoir que la Nouvelle-Zélande et le NSW offraient deux modèles fonctionnels de décriminalisation.
Les Verts australiens utilisent également le vocable de « travail du sexe » dans la formulation de leurs politiques et ils veulent mettre fin à la criminalisation de ce qu’ils appellent le travail du sexe consensuel entre adultes ; ils appuient les acheteurs de services sexuels. La question qu’évite cette politique est de savoir quelle proportion de ce travail est réellement consensuelle ? Et comment les adeptes de cette politique entendent aider les prostitué-es qui sont contre leur gré dans l’industrie du sexe ?
D’autres Verts à l’échelle internationale rejettent la terminologie du « travail du sexe » dont se sert la gauche en Australie. Les Verts des États-Unis, entre autres, estiment que cette expression masque une pratique de traite violente et illégale et affirment que des études continuent à démontrer que seule une minorité des personnes prostituées choisissent réellement d’œuvrer dans l’industrie du sexe.
De la même façon, les Verts français soulèvent un argument intéressant en faisant valoir que le libre choix en prostitution est tout relatif dans une société où l’inégalité entre les sexes est institutionnalisée.
Alors que le débat fait rage en Australie, je trouve frappant le décalage important qui sépare la gauche traditionnelle australienne de ses homologues internationaux.
En adoptant une approche libertarienne de la prostitution, la gauche australienne a promu un concept voulant que l’accès à la gratification sexuelle soit un droit humain et que l’industrie du sexe constitue une dynamique de pouvoir égalitaire et consensuelle.
Des éléments probants recueillis à l’échelle de la planète démentent systématiquement cette croyance en un caractère égalitaire de l’industrie du sexe. En effet, la majorité des personnes prostituées ont connu des taux supérieurs de préjudices, de traumatismes, d’agressions sexuelles et de troubles mentaux.
Les attitudes actuelles de la gauche australienne ne font pas qu’ignorer les problèmes internationaux de la traite, elles constituent une trahison plus large des valeurs traditionnelles de gauche de la solidarité avec les personnes désavantagées ou opprimées.
Cette croyance de la gauche omet aussi de reconnaître qu’un consentement donné en raison d’une vulnérabilité reflète une exploitation et une institution que bon nombre de leurs homologues progressistes australiens considèrent comme une forme d’esclavage.
L’auteur
Matthew Holloway est porte-parole de NORMAC, la Nordic Model in Australia Coalition. C’est un écrivain indépendant et défenseur de la justice sociale basé en Tasmanie, où il s’est présenté aux élections fédérales et de l’État et a cofondé l’organisation “Tasmanians for Transparency”. Après avoir déjà écrit pour les journaux Tasmanian Times et Eureka Street, Matthew vit actuellement à Melbourne, où il travaille en tant que conseiller en santé autochtone et est travailleur social pour un organisme de services sociaux.
Australie, le 21 novembre 2012
– Version originale : "Red-Green politics retrograde on prostitution"
Traduction : Martin Dufresne
Mis en ligne sur Sisyhe, le 30 novembre 2012