Conférence organisée par les Verts, Parlement européen, le 5 juillet 2007.
« Même un chemin de 1000 lieues commence par un pas », le proverbe japonais s’applique bien au combat des femmes : à petit pas ou à grandes enjambées, je pense en particulier aux lois qui, entre 1965 et 1970, ont fait passer les Françaises mariées de l’état de mineures du code Napoléon aux femmes autonomes, actrices de leur vie, responsable de leur désir d’enfants et ayant autorité sur eux dans le code civil actuel en France.
Depuis 50 ans, les droits des femmes dans les pays signataires du traité de Rome puis dans tous ceux qui les ont rejoints dans l’aventure de l’Europe ont vu une formidable avancée dans l’égalité en droit des hommes et des femmes, même si dans les faits la persistance de stéréotypes continuent a ériger des barrières psychologiques. L’autonomie des femmes, rendue possible par leur accès au travail salarié et par la maîtrise de leur désir d’enfant, dépend fortement de leur émancipation par rapport aux religions et donc de la séparation du religieux et du politique dans les Etats d’Europe.
Les combats féministes auxquels je participe activement depuis 1968 sont révolutionnaires. Mettre en place un monde paritaire, dans lequel les deux formes que revêt l’espèce humaine, hommes ou femmes, peuvent, en fonction de leurs talents, aptitudes et goûts, avoir à un égal accès aux responsabilités dans les sphères familiales, professionnelles et politiques, en changeant les lois pour changer les mentalités.
Nous pensions que le changement serait irréversible. Les représentations des rôles sexués évoluaient dans tous les pays du monde, pas seulement en Europe, les femmes, les citadines particulièrement, accédaient à l’instruction et revendiquaient l’accès aux droits universels pour elles et pour toutes les femmes vivant dans leur pays. Or aujourd’hui, en Europe, nous observons des tentatives de régression des droits des femmes. Je vais donc articuler mon propos en trois parties :
1- Alliance des différentialistes et des intégristes contre les droits des femmes
2- Confusion entre culture et traditions
3- Egalité entre les hommes et les femmes, principe universel fondamental
1- Alliance des différentialistes et des intégristes contre les droits des femmes
Le partenariat, la solidarité avec les combattantes de l’émancipation des femmes partout dans le monde est un des objectifs de Regards de Femmes. En 1999, en réponse aux demandes d’associations du Burkina Faso qui luttaient contre les mutilations sexuelles féminines et d’associations qui luttaient contre ces pratiques en France, Regards de Femmes avait organisé un colloque international contre les mutilations génitales. Naïvement, nous pensions que la protection des enfants contre ces mutilations concernait toutes les fillettes, ici et ailleurs.
Nous avons alors observé le soutien des « différentialistes », ceux qui pensent que toutes les personnes n’ont pas les mêmes droits, aux intégristes, ceux qui refusent les droits démocratiques à leurs coreligionnaires, sous prétexte que ces droits ont été obtenus par le combat des « Occidentaux ».
À quel titre, nous dont les parents ou grands-parents auraient été des colonisateurs, nous nous permettions de dénoncer la « culture » des pays ex-colonisés ? Ces différentialistes tentaient de nous culpabiliser pour nous empêcher de relayer les combats des hommes et femmes de ces pays, alors qu’eux-mêmes sont les porte-parole des fractions les plus régressives. Prenant partie dans les luttes intérieures des pays africains pour celles et ceux qui veulent perpétuer ces traditions, source de violences et non pour celles et ceux qui voulaient protéger les fillettes de ces mutilations traumatisantes et douloureuses.
Pourquoi n’aurions-nous pas le droit, plutôt le devoir, de soutenir celles et ceux qui veulent faire accéder les femmes -donc leurs familles et leurs communautés - aux droits pour lesquels nous nous battions pour les femmes d’Europe ? Condorcet, le grand féministe, soulignait déjà en 1794 « Ou aucun individu de l’espèce humaine n’a de véritable droit, ou tous ont les mêmes droits. Et celui qui vote contre le droit d’un autre, quels que soit sa religion, sa couleur ou son sexe a dès lors abjuré les siens. »
Les différentialistes ne considèrent pas l’accès des fillettes et des femmes africaines comme un droit fondamental et indivisible. Ils font ainsi le jeu et sont les alliés utiles des intégristes qui refusent les principes fondamentaux de la démocratie, en particulier que chaque individu soit sujet de droit.
Leur désir d’enfermement dans les origines des uns et des autres érige des murs dans la société. Ceci empêche la construction des liens sociaux indispensables à une société harmonieuse qui relie toutes ses composantes, toutes les parties de la mosaïque de nos sociétés métissées par les lois communes décidées et votées par les hommes et les femmes représentants le peuple. Comment savoir et vouloir vivre ensemble si on se recroqueville dans ses coutumes et exacerbe ce qui différencie ?
Les mêmes régressifs, dans le monde entier, instrumentalisant religions et traditions, considèrent que tous les maux de la société contemporaine proviennent de l’émancipation des femmes. Le retour à la hiérarchie patriarcale, les femmes à la disposition du mari pour lui donner des fils et accomplir les tâches domestiques, s’appuie sur des interprétations des religions pour faire croire aux femmes que leur soumission est voulue par leur dieu et procèderait d’un ordre naturel. C’est ainsi que les femmes acceptent la soumission à des ordres divins décrétés par des hommes, une servitude volontaire dénoncée depuis La Boétie par toutes celles et tous ceux qui se battent contre tout assujettissement volontaire ou forcé des êtres humains.
Les tentatives de régression des droits des femmes passent par l’instrumentalisation de la religion : la foi serait supérieure au droit. On observe la même démarche en Irlande, en Pologne et à Malte pour refuser aux femmes le droit à une sexualité non reproductive.
2- Culture ou traditions patriarcales ?
Cette démarche s’appuie sur une instrumentalisation des mots, une confusion volontaire entre la culture et les coutumes ou traditions.
Certains osent appeler « culture » l’enfermement dans des normes différentialistes immuables, concernant le boire, le manger, les habitudes vestimentaires, l’habitat et évidemment les rapports entre les sexes ainsi que la religion, toutes normes imposées simplement parce que « né quelque part ». Les intégristes revendiquent pour leur groupe des règles particulières et fragmentent la société. Les différentialistes, oublieux des droits universels indivisibles et de leur application à chaque personne, tolèrent ces pratiques.
Or la culture est ouverture de l’esprit, interrogation sur soi-même, sur le monde qui nous entoure, sur les autres. Elle favorise la construction de soi par la connaissance de l’autre, la compréhension du monde par les lois scientifiques qui le régissent, la confrontation avec la création et l’expression artistique de l’humanité. Le partage mutuel des cultures permet la transmutation du petit humain réalisé à partir d’une dotation génétique en une personne rendue singulière par la pluralité de ses rencontres, capable d’adaptation et d’évolution.
C’est le rôle des écoles où tous les enfants se côtoient, partagent savoirs, jeux et nourriture, apprennent à savoir et vouloir vivre ensemble dans le respect mutuel des différences qui ne doivent pas être perverties en différence des droits. Faire la différence entre ce qui relève de l’intime, des habitudes et croyances personnelles auxquelles chaque individu peut adhérer dans le cours de sa vie et en changer et ce qui relève des lois communes à tous et toutes pour pouvoir être libres ensemble. Parmi les principes qui font l’Europe, l’égalité entre les hommes et les femmes est primordial.
3- Egalité entre les hommes et les femmes, principe universel fondamental
Les tenants de l’islam politique, pour faire accepter la soumission de leurs filles et femmes, décrète que ce serait un impératif divin. Oublieux de toutes celles et ceux qui depuis leur prophète jusqu’à aujourd’hui, en passant par Averroès, Qasim Amin, Hoda Charawi et Tahar Haddad considèrent que « Cette déchéance de la femme est, chez nous, l’obstacle majeur à notre marche au bien-être ».
Les jeunes filles de filiation musulmane réussissait à l’école, lieu d’émancipation et devenait ensuite autonome, elle risquait même d’épouser un non-musulman. Cette peur panique a amené les prédicateurs salafistes à reprendre la technique qu’ils avaient employée avec succès en Egypte la décennie précédente : voiler leur fille pour les enfermer dans les schémas traditionnels de partage des rôles sexués. L’apparition du voile en France procède du refus de considérer les femmes de confession ou de filiation musulmane comme des adultes autonomes.
Il s’est passé un phénomène ahurissant. En jouant de la victimisation, les intégristes ont trouvé des compassionnels pour tolérer leur vision patriarcale des rapports sociaux de sexe et accepter que les fillettes de filiation musulmane deviennent les porte-drapeaux de l’islam politique, sous prétexte de relativisme culturel.
Ce relativisme est du racisme puisque selon cette notion les personnes de confession ou de filiation musulmane seraient incapables de jouir des droits humains fondamentaux. En son nom, il faudrait laisser les chefs de l’islam politique opprimer tranquillement leurs coreligionnaires, à commencer par les femmes.
Aujourd’hui, des jeunes filles assimilent les schémas patriarcaux que nous pensions archaïques, en particulier leur infériorité par rapport aux garçons. Elles ne se reconnaissent plus comme des adultes autonomes en devenir, mais se sentent avant tout membre d’un groupe ethnique ou religieux, et ce de manière quasi exclusive. Ignorant les principes universels des droits humains et a fortiori la notion de citoyenneté. Ignorant également que dans les pays d’origine les femmes se battent pour faire évoluer le droit. Il est plus difficile pour les marocaines d’expliquer les modifications de la moudawana à leurs compatriotes d’Europe que du sud du Maroc.
Les atteintes à l’égalité en droit, en France, comme dans les autres pays d’Europe, des femmes et de fillettes de filiation musulmane sous prétexte de traditions religieuses, imposées par leur mari ou père, leur famille, le voisinage se multiplient. L’enfermement des femmes de confession musulmane, l’apartheid sexué, les mariages sous contraintes, forcés, la répudiation, la polygamie (30000 familles en France), les violences psychologiques et physiques dues aux traditions religieuses entraînent des troubles de l’ordre public et font que toutes les femmes en Europe n’ont pas les mêmes droits ! C’est intolérable.
Conclusion
Nous sommes bien dans le combat entre traditions archaïques et théocratiques patriarcales et l’idée moderne de laïcité, héritière des Lumières (Taslima Nasreen : nous avons besoin des Lumières, nous avons besoin de la laïcité) : reconnaître à chacun la même dignité, n’exiger nulle dévotion en contrepartie mais l’adhésion librement consentie à un contrat et à des devoirs de la part de consciences autonomes et libres, c’est-à-dire éclairées, aptes à juger et capables de vouloir.
Nous qui avons eu la chance de naître dans des pays de droit positif nous devons assurer de notre soutien indéfectible les femmes ici et ailleurs qui se battent pour obtenir les mêmes droits. Les femmes demeurant en Europe peuvent prétendre à être protégée par la loi du pays de résidence, en cas de conflits familiaux, comme en Suède et en Espagne.
Face aux difficultés pour que le principe d’égalité hommes/femmes soit respecté dans tous les pays de l’Union, le 4 octobre 2005, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe a voté une résolution exhortant les Etats membres à protéger pleinement toutes les femmes vivant sur leur territoire contre toute violation de leurs droits fondée sur ou attribuée à la religion.
Ne soyons pas dupes : « Le secret des dieux et des rois c’est que les hommes - et les femmes - sont libres et qu’ils ne le savent pas »(Sartre). Le refus de l’Occident par les intégristes concerne le refus de la démocratie et non celui de la société de consommation. Ce n’est pas le clash des civilisations qu’il faut craindre, mais bien la guerre des incultures.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 11 octobre 2007.