Plus d’une cinquantaine de dirigeants politiques, chefs d’États, de gouvernements et ministres des affaires étrangères doivent prendre la parole le 12 novembre 2008 devant l’Assemblée générale de l’ONU consacrée à la promotion d’un dialogue global sur les religions, les cultures et les valeurs communes. La réunion officiellement baptisée « Réunion de haut niveau sur la culture de la paix » s’inscrit dans la continuité de la conférence organisée par les rois Abdullah d’Arabie Saoudite et Juan Carlos d’Espagne en juillet 2008 qui avait regroupé des personnalités de confessions musulmane, chrétienne, juive, des hindouistes, des bouddhistes, et des représentants d’autres religions.
On ignore si des représentants de l’athéisme ou de l’agnosticisme seront invités à donner leur point de vue lors de ce synode œcuménique destiné à promouvoir la compréhension entre les diverses croyances et les multiples cultes qui existent sur la planète.
Si l’intention paraît généreuse - qui pourrait rejeter l’idée d’une réunion sur la culture et la paix ? - l’événement ne manque pas cependant de susciter une certaine perplexité tant par la qualité de ses promoteurs que par ce pourrait être la teneur de ce dialogue. De fait, la question première qui se pose à l’énoncé de la réunion est savoir de quel dialogue les religions sont-elles capables ? Il paraît difficile de concilier des dogmes et des doctrines divergentes, ou au moins différentes, qui portent sur des conceptions métaphysiques par essence irréconciliables. Il ne s’agit donc que faire accepter aux uns et aux autres la nécessité de cohabiter pacifiquement et de se tolérer mutuellement. On voit donc mal un « dialogue » aller au-delà d’une déclaration de principes fondée sur le pluralisme d’opinions, la liberté de pensée et le respect des différences. En d’autres termes, il ne s’agira ni plus ni moins que de réaffirmer ce qui constitue la base de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et, ce qui est en soit absolument respectable, de confirmer l’impératif de démocratie en tant que fondement des relations internationales.
Spiritualité et politique
Or c’est précisément à ce niveau que le bât blesse, avec ironie... La défense et l’illustration d’un dialogue mondial des cultures apparaissent comme le credo paradoxal de dirigeants politiques qui interdisent toute expression dans leurs propres pays. Ainsi l’un de ses principaux architectes de la réunion de New York est le roi d’une monarchie orientale particulièrement liberticide qui n’a d’autre légitimité qu’un pouvoir héréditaire fabriqué par les géostratèges de l’Intelligence Service. Ce roi s’arroge le droit de parler au nom de l’Islam, qui ne reconnaît nul pontife, alors même qu’aucune consultation démocratique ne l’a délégué à cette fin et qu’il ne dispose d’aucun magistère connu.
De la présentation de cette réunion, il ressort que des hommes politiques dotés de moyens considérables s’immiscent dans le champ de la spiritualité. Ils s’engagent dans cette voie pour, disent-ils, désamorcer des conflits et réduire les radicalismes violents et les incompréhensions culturelles qui minent les relations mondiales. Noble intention. Encore faudrait-il être certain et convaincu que la violence, qui revêt toutes les formes, soit de nature essentiellement religieuse et qu’elle n’ait d’autre fin que d’instaurer la dictature d’une seule pensée et d’un seul dogme. L’échec des politiques de développement, quand il y en a eu, l’exclusion, l’arbitraire et la domination sont les carburants hautement énergétiques de la contestation d’un ordre mondial injuste et brutal. Que la religion soit le corpus moral et philosophique dans lequel se reconnaissent bien des déshérités n’a rien de surprenant. Toutes les idéologies « modernes » ont démontré leur inanité, et leur seule vocation a été de servir de cache-misère à des systèmes de pouvoir aussi injustes que ceux auxquels ils se substituaient.
Le dialogue et les manipulateurs
Ceux qui utilisent de manière éhontée la religion dans sa version la plus bornée voudraient se poser en hérauts de la tolérance universelle. Est-il besoin de rappeler à ces despotes que c’est bien de leur matrice dictatoriale, de leur volonté de préserver des privilèges derrière les archaïsmes, qu’est né et a prospéré le terrorisme ? C’est de leur intolérance politique que découle tous les extrémismes. La prétention de la monarchie pétrolière à vouloir instaurer un dialogue inter-religieux atteint des sommets d’incongruité quand on sait que c’est de la capitale saoudienne et à partir de ses relais médiatiques qu’est menée la campagne virulente contre le Chiisme. Les sponsors arabes du dialogue voudraient discuter avec les autres croyances alors qu’ils n’ont de cesse de fracturer leur propre communauté. Les porte-voix de la haine poussés à plein régime contre le Hezbollah en pleine guerre contre l’armée israélienne et les manipulations éhontées contre les musulmans chiites sont dans toutes les mémoires. Les Algériens sunnites depuis des siècles ont entendu avec stupéfaction les tombereaux de mensonges proférés par des clercs dévoyés chargés de faire diversion et de nourrir de faux clivages. La légitimité de ces milieux à défendre des relations apaisées entre les religions est à cet égard plus que discutable.
Alors de quelle réunion s’agit-il donc ? D’une tentative de réplique à la fumeuse guerre des civilisations promulguée par les théoriciens de l’hégémonie impériale ? De désamorcer la propagande « culturaliste » dans les médias occidentaux ? On peut en douter. La vraie contradiction qui divise le monde n’est pas de nature religieuse, elle oppose les partisans de l’ordre injuste actuel à ceux qui le contestent. Cette confrontation de l’oppression à l’aspiration des peuples à la justice n’est pas non plus de nature culturelle. Le conflit du Moyen-Orient n’oppose pas le judaïsme à l’Islam, c’est une confrontation entre l’idéologie sioniste et le peuple palestinien spolié, l’invasion de l’Irak n’est pas le fait du prosélytisme chrétien mais bien des impérialistes soucieux de pérenniser leur mainmise sur le Moyen-Orient. On n’apprendra rien à personne en observant que dans le désordre du monde, le radicalisme terroriste islamiste, vide de sens politique, est le meilleur allié des va-t-en guerre néoconservateurs.
La guerre des civilisations que semble accréditer en creux cette réunion est un subterfuge destiné à violer les consciences et à manipuler les opinions. Cette thèse sert à occulter le déficit de liberté et de démocratie qui caractérise les relations internationales et sur lequel sont construits bien des régimes alliés de l’Occident. Il n’est pas prévu qu’une déclaration commune vienne clôturer ces débats. Il pourrait être suggéré à cette docte assemblée de réaffirmer solennellement que la coexistence pacifique et les échanges fructueux entre les hommes, les nations et les cultures ne peuvent exister valablement que dans le cadre du droit et de la liberté. De tous les droits et de toutes les libertés.
Reproduit sur Sisyphe avec l’autorisation de Montray Kreyol.
Source : montraykreyol.org, le 18 novembre 2008.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 23 novembre 2008