Vendredi 23 mai 2008 - À la lecture des 37 recommandations du rapport Bouchard-Taylor, on prend connaissance bien froidement des « conclusions » de cet exercice qui aura duré 18 mois. Toutefois, c’est à la lecture intégrale du rapport que le malaise et l’inconfort se manifestent. En effet, dès l’introduction, il saute aux yeux que l’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas une valeur, et encore moins un droit, qui est à la base de ce rapport.
Alors que la déclaration du premier ministre du Québec et le décret annonçant cette commission faisaient état de trois valeurs communes qui devaient guider ces travaux, en aucun moment dans le document les commissaires n’ont pris la peine de donner un écho à cette prémisse du chef du gouvernement du Québec. Ils réussissent même à éclipser le sujet en tentant d’expliquer le mandat qui a été confié à la Commission en introduction du rapport.
Les commissaires auraient pu se rattraper lorsqu’ils identifient ce qui constitue la « culture publique commune » ou le « cadre civique commun » qui aurait « permis d’instaurer jusqu’ici une vie collective raisonnablement harmonieuse » en mettant à l’avant-plan le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes comme valeur collective. Non, dans ce chapitre, on apprend que la démocratie libérale, le français et la politique d’intégration constituent le fondement des « normes du vivre ensemble », mais pas l’égalité entre les femmes et les hommes. « La valeur d’égalité entre les femmes et les hommes est plus souvent citée entre parenthèses ou au même titre que d’autres repères, mais jamais mise de l’avant comme une valeur partagée par la population et marqueur de l’identité québécoise. C’est désolant ! » a déclaré la présidente du Conseil du statut de la femme du Québec, Mme Christiane Pelchat.
Ce faisant, ce rapport banalise l’importance de cette valeur collective, contrairement à ce qui a été exprimé durant la Commission. L’égalité entre les femmes et les hommes au Québec est une réalité avancée, à hautes luttes, mais encore incomplète. Ce rapport ne tient pas compte des femmes très nombreuses qui ont témoigné du retour du religieux comme entrave à l’égalité entre les sexes et les obstacles toujours présents pour l’atteinte de cette égalité.
Le rapport ne tient pas compte des obligations internationales du Québec en raison de son adhésion à la Convention contre toutes les formes de discriminations faites aux femmes, des obligations législatives que le Québec s’est données dans la Loi sur le ministère de la Famille, des Aînés et de la Condition féminine. De plus, il ignore les engagements récents du gouvernement du Québec concernant la protection et la promotion de l’égalité des sexes, dans la Politique d’égalité entre les femmes et les hommes adoptée en 2006. « C’est comme si ces obligations et engagements vers l’atteinte de l’égalité ne faisaient pas partie de l’environnement politique et légal dans lequel les commissaires ont évolué au cours de la dernière année et demie », a souligné la présidente du Conseil.
Le Conseil tient à rappeler au gouvernement ses engagements qui font de l’égalité entre les femmes et les hommes un principe de vie qu’on ne peut mettre entre parenthèses.
Des conclusions à souligner
Le Conseil souligne l’appui du rapport à l’adoption du projet de loi no 63. Toutefois, les commissaires semblent ignorer les fondements de cette modification, soit la reconnaissance de la valeur collective de l’égalité entre les femmes et les hommes comme balise à l’exercice des libertés individuelles au même titre que la protection du fait français.
Le rapport privilégie la « voie citoyenne » pour gérer les accommodements, plutôt que la voie judiciaire. À cet effet, notons que pour le Conseil, on ne doit pas attendre d’être devant les tribunaux et démontrer un conflit de droit pour que l’égalité entre les femmes et les hommes serve de balises aux accommodements raisonnables.
Le Conseil adhère à la recommandation d’élaborer un livre blanc sur la laïcité qui donnerait l’occasion de définir ce concept. Toutefois, il est impératif que ce livre blanc soit élaboré avec une approche d’analyse différenciée entre les sexes. Les effets de l’adoption d’une définition d’une laïcité commune sont très différents sur le quotidien des femmes et celui des hommes. Le droit à la dignité des femmes dans les sociétés religieuses est de loin le plus souvent enfreint.
Soulignons aussi la recommandation d’interdire le port de signes religieux pour certains agents de l’État. Cependant, la distinction qui est faite entre les fonctionnaires se justifie mal. À notre avis, tous les agents de l’État en relation avec le public devraient s’abstenir de porter des signes religieux ostentatoires afin de véhiculer la neutralité de l’État.
Nous sommes d’accord avec la proposition d’un texte officiel sur l’interculturalisme. Toutefois, contrairement au silence du rapport, cette définition doit affirmer clairement que l’égalité entre les sexes est une valeur identitaire fondamentale du Québec moderne.
Source.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 27 mai 2008.