Du 12 au 15 septembre, nous allons subir la visite en France du pape Benoît XVI, l’Allemand Joseph Ratzinger. Officiellement, il s’agit d’une visite pastorale à l’occasion du 150e anniversaire des hallucinations de Bernadette Soubirous (le terme est d’Émile Zola), hallucinations qui sont à l’origine d’une gigantesque industrie touristico-mystique (l’enrichissement personnel de Raymond Zambelli, recteur des sanctuaires de Lourdes, n’est probablement que l’arbre qui cache la forêt).
Pourtant, dès son arrivée, le pape sera reçu à l’Élysée pour une cérémonie de bienvenue et une rencontre avec le Président de la République. Ces deux-là savent parfaitement mélanger la politique et le religieux. Le pape, en jouant sur son double statut de chef de l’église catholique romaine et de chef du micro-État du Vatican. Le Président de la République, en piétinant la loi de séparation, d’abord comme ministre de l’Intérieur en s’ingérant dans l’organisation du culte musulman et en mettant sur pied la commission Machelon, puis, depuis son accession à la présidence, en enchaînant les déclarations et les discours officiels (discours de Latran, de Ryad, etc.) qui cherchent à réintroduire la religion dans le jeu politique.
S’il s’agit d’une visite apostolique, que tout membre de tout clergé est libre d’effectuer, alors aucun contact avec un représentant de l’État ès-qualité ne devrait avoir lieu, et aucun service de l’État ne devrait être mis à contribution, hormis ceux qui assurent la sûreté. Mais c’est un chef d’État qui prétend régir nos vies privées et nos comportements que le Président de la République s’apprête à accueillir.
Et cela, les forces progressistes et laïques ne peuvent que le dénoncer et s’y opposer.
Cette visite doit être replacée dans le contexte particulier de notre pays laïque. Sous l’omniprésidence de Nicolas Sarkozy, le gouvernement s’affaire à mettre à sac le contrat social républicain et la protection sociale solidaire pour les remplacer par le modèle néolibéral anglo-saxon. Ainsi, pour la première fois depuis plus d’un siècle, nos gouvernants ont besoin de l’appui des religions, et donc des églises, pour appliquer leur projet politique. Comme seules les classes aisées peuvent espérer de lui, le Président appelle la religion à la rescousse pour offrir l’espérance au reste du peuple. Et comme sa politique entraîne toujours plus de pauvreté et de précarité, il cherche à sous-traiter aux religions au travers de la charité l’application des cataplasmes nécessaires pour atténuer les dégâts sociaux de ses contre-réformes.
Pourtant, cette connivence se heurte à la réalité sociologique de notre pays : toutes les enquêtes d’opinion démontrent l’attachement des Français à la laïcité et à la loi de séparation des églises et de l’État. Ainsi, une enquête publiée en mars 2008 indique que les Français placent la laïcité en deuxième position parmi les grands principes républicains les plus importants (derrière le suffrage universel et devant la liberté syndicale, la liberté d’association et la libre constitution des partis politiques). 71 % déclarent que l’on doit garder telle qu’elle est la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’État. 87 % affirment que les religions peuvent créer des tensions au sein de la société.
Pour tous ceux qui s’accommoderaient ou banaliseraient la visite du pape, il faut leur rappeler qui il est. Pendant 23 ans à la tête de Congrégation pour la doctrine de la foi, héritière de l’Inquisition, il n’a eu de cesse de condamner tous ceux qui, au sein de l’Eglise, ont voulu agir au profit des plus défavorisés, et tous ceux qui ont tenté de la faire évoluer pour s’adapter à l’évolution des mœurs et à l’émancipation des femmes. Il a avec une rare constance affiché ses convictions homophobes et anti-avortement. Ratzinger ne fera pas passer son prédécesseur pour un progressiste, mais il le surpasse dans la mise en œuvre d’un projet pour rétablir et entretenir une ligne réactionnaire et traditionaliste au sein du clergé catholique. Et pour cela, il a, dès sa désignation, entrepris un rééquilibrage des forces en faisant revenir dans le giron vaticanesque des traditionalistes schismatiques tels que l’abbé Laguérie, avec comme contrepartie la publication du motu proprio Summorum Pontificum le 7 juillet 2007 qui réhabilite le rite tridentin.
Pour s’inscrire dans la durée, tout projet doit s’appuyer sur les jeunes générations. Le pape ne peut rêver meilleur contexte que celui que lui offrent en France Nicolas Sarkozy et son gouvernement, celui de la mise à sac de l’école de la République et des cadeaux à l’enseignement privé, à plus de 90 % confessionnel. Et les déclarations du Président sur l’instituteur qui ne pourra selon lui jamais remplacer le curé ou le pasteur deviennent franchement insupportables replacées dans le contexte que nous venons d’exposer.
Alors que les intégrismes et les communautarismes menacent le monde, nous allons assister à une manifestation ostentatoire de la nouvelle alliance de l’écharpe tricolore et du goupillon contre le meilleur rempart à ces dangers, le seul capable démocratiquement de les contenir, la laïcité.
Au regard de ce qui précède, les initiatives pour souhaiter la malvenue au pape paraissent bien ridicules. On ne peut que regretter la faiblesse des réactions et l’absence d’un véritable front laïque capable d’opposer les principes de la République laïque et sociale aux connivences du néolibéralisme avec les religions.
– Lien permanent de cet article publié dans la Lettre 59, le 9 septembre 2008.
– Le site de l’Union des familles laïques.
La laïcité ne doit pas plier devant Benoît XVI
Appel autour de la venue de Benoit XVI en France du 12 au 15 septembre.
Signer l’appel - Voir les signataires.
Le pape a le droit de venir en France. Loin de nous l’idée de nous y opposer parce que nous sommes laïques. Mais cet accueil officiel, sur un mode révérenciel et sur fonds publics, ne va pas de soi. [...]
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Premiers signataires
André Bellon, ancien Président de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale - Gilles BON-MAURY, Président d’HES (Homosexualités et Socialisme) - Olivia CATTAN, Présidente de Paroles de Femmes - Martine Cerf, Présidente d’Egale - Chahla CHAFIQ, Écrivaine - Antoine Détourné, Président du Mouvement des Jeunes Socialistes - Caroline Fourest, journaliste et essayiste - Christophe Girard, maire adjoint, Paris - Bernard Graber, Secrétaire général de l’Union rationaliste - Catherine Kintzler, Philosophe, mezetulle.net - Safia Lebdi, Présidente ’Les Insoumis-es’ - Jacques Miquel, responsable du CCMM Roger Ikor - Patrick Pelloux, président de l’Association des Médecins Urgentistes de France - Henri PENA-RUIZ, Philosophe, écrivain, ancien, membre de la Commission Stasi - Marie Perret, Philosophe - Yves Pras, Président d’Europe et laïcité - Jean-Baptiste Prévost, Président de l’UNEF - Louis ROGER, président de l’Union mondiale des Libres Penseurs - Françoise SELIGMANN, Présidente d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme - Bernard Teper, président de l’UFAL - Monique Vézinet, Secrétaire nationale de l’UFAL - Arlette ZILBERG, Laïcité Ecologie Association
Organisations signataires
ProChoix - Union des FAmilles Laïques (UFAL) - Laïcité Ecologie Association, Paroles de femme - Les Insoumis-es - CCMM Roger Ikor - Fédération française des Centres LGBT - Comité IDAHO (International Day Against Homophobia) - An Nou Allé (association des noirs LGBT de France) - Quazar, cultures et libertés homosexuelles - Planning familial des bouches du rhône - TJENBÉ RÈD ! Mouvement civique pour l’action & la réflexion sur les questions noires, métisses & LGBT - Couleurs Gaies, le Centre LGBT de Lorraine Nord.
– Lire aussi : "Manif anti-pape : samedi oui, vendredi NON !"
Mis en ligne sur Sisyphe, le 11 septembre 2008