D’entrée de jeu, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) tient à souligner son accord avec le principe d’« accommodement raisonnable » puisqu’il est bien circonscrit et fonctionnel ; cet outil a beaucoup aidé et aide encore les personnes handicapées et les femmes notamment en milieu de travail. (1)
Le débat actuel porte sur l’évolution de la société québécoise
La Commission Bouchard-Taylor a tenu suffisamment d’audiences maintenant pour qu’on comprenne que le débat actuel ne porte pas sur les accommodements raisonnables mais bien sur l’évolution de la société québécoise. Or, notre société évolue vite, très vite, dans ses mentalités comme dans sa composition.
Mondialisation néolibérale oblige, la conjoncture internationale a un impact important pour nous en tant que société d’immigration. Depuis le 11 septembre 2001, le monde s’est à nouveau divisé, mais sur une base dite « religieuse ». Les identités « religieuses » ont pris
le pas sur les identités « nationales » ou « ethniques » et on assiste de ce fait à une montée des intégrismes religieux. L’histoire nous enseigne que, de tout temps et quelles que soient les sociétés parmi lesquelles ces intégrismes se sont installés, les femmes, les minorités ethniques et les gais et lesbiennes ont servi de boucs émissaires et ont été sévèrement opprimées, voire éliminées, pour qu’advienne la pureté morale, identitaire, sociale et religieuse mise de l’avant par les intégristes. Évidemment ces chambardements, qui s’additionnent à l’insécurité économique, provoquent souvent chez-nous de l’inquiétude, tout à fait compréhensible, parfois le rejet de l’autre, des nouveaux arrivantEs, des communautés culturelles, des autres religions. On comprendra que la FFQ tout en partageant cette inquiétude en dénonce ce rejet.
Étonnamment, le réflexe de rejet semble parvenir fréquemment d’endroits où il n’y a pratiquement pas de diversité culturelle ou religieuse, et les cris les plus hauts en faveur des femmes proviennent de ceux qui n’ont jamais auparavant défendu l’égalité entre les femmes et les hommes. Cherchez l’erreur.
La Fédération des femmes du Québec veut défendre les droits de toutes les femmes
Loin de nous l’idée de rejeter les acquis et les
nouvelles conquêtes féministes mais nous nous devons d’évoquer que les femmes du Québec ne sont pas toutes blanches, catholiques et de classe moyenne. Or, la FFQ a pour mission de défendre les droits de toutes les femmes, en chair et en os, sans les fractionner en ingrédients d’une recette quelconque : 1 tasse de sexe, 1/2 tasse d’origine ethnique, 1/2 tasse de langue, 1/3 tasse d’occupation, 1/4 tasse de religion, 1 pincée d’orientation sexuelle... Tous ces éléments sont combinés en une seule et même entité à respecter et, par conséquent, plusieurs droits à défendre d’un même souffle. Le croisement des discriminations liées au sexe, à l’origine ethnique, à la couleur, à la religion, au handicap, à l’orientation sexuelle, entraînent notamment pour les femmes issues de groupes ethnoculturels et de minorités visibles des
situations de vulnérabilité et d’exclusion encore plus importantes que pour l’ensemble des femmes. L’analyse féministe inclut donc et nécessairement la lutte contre le racisme et les préjugés.
Nous voyons poindre le danger de l’exclusion économique, sociale, politique et culturelle de
certains groupes minoritaires menant à une ghettoïsation ou un communautarisme à outrance. En plus de remettre en question un projet collectif de société et l’identité québécoise elle-même, la ghettoïsation de certains groupes risque d’engendrer des conflits
plus importants au sein de la société et un enfermement identitaire qui maintiendrait de façon rigide, une culture ou des traditions d’origines souvent défavorables aux femmes et par conséquent contraires à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Nous avons besoin de l’application des droits que nous avons déjà.
La Charte canadienne des droits et libertés, la Charte des droits et libertés du Québec ainsi que le droit international doivent être appliqués. L’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés garantit à tous les individus le droit à la protection et au bénéfice de la loi indépendamment de toute discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. Ces droits
inscrits dans la Charte peuvent être sujets à des limites dites raisonnables. Cependant, l’article 28 stipule que les droits sont garantis également aux personnes des deux sexes, ce qui signifie que toute loi entraînant une discrimination fondée sur le sexe ne peut être considérée comme « raisonnable ». Ainsi, l’article 28 peut être considéré comme un outil
privilégié garantissant l’égalité des sexes pour l’ensemble des droits, sans compter la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) adoptée en 1979 par les Nations Unies et dont le Canada est signataire et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), l’un des cinq instruments de la Charte internationale des droits de l’homme des Nations Unies.
Nous avons besoin de l’intégration des immigrantEs.
Comme chacun sait, il n’y a pas de tour de passe-passe qui aboutisse à l’intégration. C’est simple, c’est l’emploi. Ce qui n’est pas simple, c’est d’obtenir un emploi quand on est immigrantE, « noirE » ou « brunE »... Le taux de chômage en 2001 pour les femmes immigrantes était de 12,4%, ce taux était plus élevé que pour l’ensemble de la population active féminine québécoise qui se situait à 7,7% et aussi plus élevé que celui affectant l’ensemble de la main-d’oeuvre masculine qui était de 11% chez les hommes immigrants, et de 8,7% dans l’ensemble de la main-d’oeuvre masculine au Québec. Là encore, le décalage était de 4,7% pour les femmes immigrantes alors qu’il était de 2,3% pour les
hommes immigrants. Les politiques du gouvernement québécois doivent viser l’insertion au travail de la population immigrante. En outre, rien de plus solide à offrir, après l’emploi, qu’un socle commun de valeurs à
partager par l’ensemble des QuébécoisEs : l’égalité entre les femmes et les hommes, la démocratie, le fait français, la laïcité de l’État et la diversité.
Nous avons besoin d’une laïcité complète de l’État québécois.
Le lent processus de laïcisation n’est pas encore terminé. La déconfessionnalisation des institutions scolaires publiques constituera ainsi en 2008 une étape fondamentale de ce processus de laïcisation. Pour nous, la laïcité est importante car les religions, quelles
qu’elles soient, comportent en elles des éléments constitutifs d’une atteinte à l’égalité entre les hommes et les femmes et ce, même si la majorité des pratiquantEs des différentes religions adhèrent de tout coeur au principe d’égalité entre les hommes et les femmes.
Toutes les religions ont établi une hiérarchie hommes-femmes en recourant à des explications d’ordre naturel et en prônant la soumission des femmes. Malgré l’ouverture des religions à la modernité, l’oeuvre des fondamentalismes religieux reste importante et s’est
développée dans le contexte d’un néolibéralisme dominant partout dans le monde. Les femmes ont besoin de défendre la laïcité parce que, tout en protégeant la liberté de culte et de religion, la laïcité sépare la sphère publique et la sphère privée et est nécessaire afin d’échapper à l’emprise des intégrismes religieux.
Nous avons besoin d’une égalité réelle.
Les documents de la Commission : un autre signe de l’égalité inachevée.
Enfin, le document de consultation de la Commission Accommodements et différences. Vers un terrain d’entente : la parole aux citoyens, nous a permis de constater une invisibilité des femmes, tant dans le contenu que dans la forme ainsi qu’une quasi absence
du principe de l’égalité entre les hommes et les femmes. Les termes n’y sont pas féminisés et toutes les statistiques données sont non sexuées ; pourtant ces statistiques existent bel et bien et l’analyse différenciée selon les sexes a fait l’objet d’engagements précis du gouvernement à cet égard.
D’autre part, aucune des politiques québécoises en matière de condition féminine, par exemple la récente politique Pour que l’égalité de droit devienne une
égalité de fait lancée en décembre 2006, n’est citée aux côtés des textes fondamentaux (Chartes québécoise et canadienne), et de politiques (immigration et intégration). Le document de consultation vise uniquement « les Québécois d’origine canadienne française ». Hormis les femmes oubliées, les québécoisEs d’autres origines ne seraient ainsi pas concernéEs, y compris les autochtones et les anglophones du Québec. Pourtant, certaines craintes exprimées en matière d’égalité entre les sexes n’émanaient pas seulement des québécoisEs d’origine canadienne française. Cette vision ne fait qu’accentuer à notre avis, le fossé entre le « nous » et le « eux ».
Le droit à l’égalité entre les sexes va au-delà de l’égalité formelle et vise une égalité réelle. Cette égalité de fait demeure donc encore un objectif à atteindre. Comme les documents de la Commission nous le font constater à nouveau, l’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas encore une réalité. Des inégalités politiques, économiques et culturelles ainsi que la violence à l’égard des femmes persistent. Le taux de chômage des femmes est plus élevé, elles subissent davantage le temps partiel imposé, elles touchent les salaires les plus bas et elles constituent la majorité des pauvres et des chômeurs.
En conclusion
Aujourd’hui, il est important pour toutes les femmes de réaffirmer haut et fort que le principe d’égalité entre les femmes et les hommes reste pour nous non négociable et que les Chartes québécoise et canadienne, ainsi que le droit international, restent les références importantes à faire valoir dans ce cadre.
Nous voulons vivre ensemble dans un Québec pluraliste autour de valeurs communes qui sont l’égalité entre les femmes et les hommes, la démocratie, le fait français et la diversité.
Nous réclamons également la laïcisation complète de l’État québécois afin de protéger à la fois les droits des femmes et la liberté de religion.
Nous dénonçons l’utilisation et la récupération par la droite du discours féministe sur l’égalité entre les femmes et les hommes afin de diviser les femmes et la population québécoise et de justifier un discours raciste.
Nous dénonçons les politiques, les intégrismes ainsi que toutes les formes d’exclusion qui favorisent le développement d’une ghettoïsation ou d’un communautarisme culturel ou religieux défavorable aux femmes et par conséquent contraire au principe d’égalité entre les femmes et les hommes.
Note
1. Rappelons que les demandes d’accommodement pour motifs religieux ne dépassent pas les 4% de l’ensemble des demandes. Les divers « arrangements » réalisés notamment par un YMCA, un CLSC et un service de police avec des membres minoritaires au sein de certaines communautés religieuses récemment ont démontré l’incompréhension quasi-générale de la notion « d’accommodement raisonnable ». La Fédération des femmes du Québec, malgré ses nombreuses interventions publiques n’a pu atténuer les réactions d’un discours public qualifiant ces « arrangements » d’« accommodements raisonnables ou déraisonnables » qui menaçaient les acquis des femmes et le principe d’égalité entre les sexes.
Fédération des femmes du Québec. le 19 octobre 2007
110, rue Ste-Thérèse, bureau 309
Montréal, Québec.
H2Y 1E6
Courriel.
Site Web.
Source : Document en PDF sur le site de la FFQ.
On peut lire la version intégrale du mémoire de la FFQ, Document en PDF sur le site de la FFQ.
– Pour lire d’autres mémoires et interventions : Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, que nous nommons en raccourci "Commission Bouchard-taylor", des noms de leurs présidents.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 27 octobre 2007.