En temps « normal » les questions démocratiques occupent bien peu de place, alors parler de la réforme du mode de scrutin lorsque les enjeux économiques occupent toute l’attention, et en pleine saison du hockey, est un véritable tour de force. C’est pourtant ce que des centaines de personnes de toutes les régions du Québec s’apprêtent à faire à l’invitation du Mouvement pour
une démocratie nouvelle (MDN), un organisme communautaire non partisan (lien). Elles s’ajouteront à des milliers d’autres qui croient à la nécessité d’aller vers un nouveau mode de scrutin pour que la composition de l’Assemblée nationale soit juste et équitable, et qu’elle respecte les idées de l’électorat.
La baisse de confiance de la population envers les personnes mandatées pour gouverner s’illustre quotidiennement. La désillusion est grande face aux promesses non tenues et à l’immobilisme politique. Les partis et les membres de l’Assemblée nationale connaissent pourtant depuis longtemps les
déficiences du système. Lorsque son vote compte uniquement s’il va à la personne qui remporte le siège de la circonscription, voter demande une motivation que 2,4 millions de personnes n’ont pas eue aux dernières élections québécoises. Ce triste record (42.7 % de participation) a beaucoup fait parler, mais depuis, plus rien. Attendons-nous le lendemain des prochaines élections pour réagir ?
Nous oublions trop vite le vote exprimé pour ne retenir que la polarisation gouvernement v/s opposition. Les élections du 8 décembre 2008 ont à nouveau produit une surreprésentation des uns au détriment des autres. Ainsi, le Parti libéral du Québec et le Parti québécois ont remporté plus de sièges que leur part des voix (le PLQ occupe 53% des sièges pour 42% des voix).
Comme toujours, l’effet contraire affecte les tiers partis. L’Action
démocratique du Québec occupe 5% des sièges plutôt que les 16% des voix recueillies et Québec solidaire occupe moins de 1% des sièges malgré l’obtention de près de 4% d’appui. Quant au Parti vert du Québec, ses 70 685 ne lui valent aucun siège. Ces iniquités doivent être dénoncées, quelles que soient nos allégeances politiques.
Les défauts du système actuel sont récurrents et documentés. Tant aux élections de 2007 que de 2008, les 2/3 des régions ont été représentées exclusivement ou presque par un seul parti politique, au mépris du vote exprimé. Pire, dans 2 régions, le parti ayant obtenu le plus de sièges n’est pas celui ayant eu le plus de voix. Il est facile de prédire le résultat des prochaines élections : la moitié des votes seront perdus, des idées politiques seront exagérément représentées, alors que d’autres seront
évacuées, les femmes seront sous-représentées, la diversité ethnoculturelle sera limitée, l’accès au pluralisme politique et le respect du vote seront inégaux d’une allégeance à l’autre et varieront selon le lieu de résidence.
Qui se sent vraiment représenté dans ce contexte ?
L’ancien directeur général des élections, Me Pierre-F. Côté, avait établi qu’il faudrait 18 mois pour que l’institution mette en place un nouveau mode de scrutin à finalité proportionnelle. En prédisant les prochaines élections pour la fin de 2012, cela laisse jusqu’en juin 2010 pour adopter une nouvelle loi après consultation. Au niveau législatif, ce calendrier est réaliste, car beaucoup a été fait. Pour la population, cela signifie de concentrer nos forces dans la prochaine année, et surtout de ne pas rater le prochain rendez-vous électoral.
Malgré sa lenteur et ses imperfections, la voie politique est nécessaire pour matérialiser les pressions citoyennes. Le 26 février dernier, la Cour Supérieure a été amenée à se prononcer sur la constitutionnalité du mode de scrutin actuel. Le jugement affirme essentiellement que la décision de conserver ou de changer le mode de scrutin ne relève pas des tribunaux, mais
bien du politique. Les témoins présentés par le Procureur général du Québec n’ont pas défendu le système actuel, mettant plutôt en valeur les gestes gouvernementaux visant à réformer le mode de scrutin. Le juge a même relevé que le gouvernement recommandait ce changement, ainsi que Jean Charest le
promettait dans le discours inaugural de 2003 et de 2007. Trois mois après son assermentation, le ministre Jacques Dupuis n’a encore rien dit sur le sujet, ni rencontré le MDN. L’inaction et le silence parlementaire ne peuvent plus être justifiés par l’existence de procédures juridiques.
En mettant ses actions en valeur, le gouvernement a revendiqué la responsabilité de terminer les travaux commencés, travaux auxquels tous les partis ont participé. Le gouvernement a tout en main pour présenter un projet de loi corrigeant les problèmes de l’avant-projet de loi de 2004 : conclusions des États généraux sur la réforme des institutions démocratiques (2003-2004) et consultation de la Commission spéciale sur la loi électorale
(2005-2006), rapport non partisan produit par le Directeur général des élections (2007), etc.
Aux trois mille personnes et organisations ayant participé aux consultations des dernières années, il faut ajouter plus de 20 000 signataires de la pétition « Pour un nouveau mode de scrutin », initiée il y a deux ans par le MDN et d’autres groupes réformistes. Plusieurs occasions, mais un seul message : la nécessité d’un mode de scrutin respectant la volonté populaire
et le pluralisme politique, peu importe son lieu de résidence, assurant l’importance des régions, et permettant une juste représentation des femmes et de la diversité ethnoculturelle.
Pourquoi tolérer les problèmes du système alors qu’il est possible d’aller vers un nouveau mode de scrutin ? Le MDN demande au gouvernement d’assumer ses responsabilités en posant un geste courageux, de cesser d’avoir peur du changement et d’agir pour l’intérêt de la démocratie. Dans l’intervalle, des personnes de toutes les régions vont s’informer et se préparer et elles voudront être entendues des membres de l’Assemblée nationale. Leur voix ne doit plus être ignorée.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 24 mars 2009