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dimanche 7 novembre 2010

Décriminaliser la prostitution, un aimant pour les proxénètes et les clients

par Melissa Farley, chercheuse et psychologue






Écrits d'Élaine Audet



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Témoignage devant le sous-comité de l’examen des lois sur le racolage, le 30 mars 2005.

Je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître devant vous. Je vous suis reconnaissante de l’occasion qui m’est donnée de vous parler de ce que j’ai appris sur la prostitution après avoir étudié le sujet pendant 10 ans.

Je dédie mes observations aujourd’hui à une jeune femme autochtone qui nous a dit ceci, à Jacqueline Lynn et à moi-même, dans un parc de Vancouver : « Nous ne parlons pas beaucoup. »

Si je ne m’abuse, l’objectif du sous-comité est de prévenir la violence à l’endroit des femmes. Malheureusement, une fois que l’on comprend ce qu’est la prostitution, il devient bien évident que ce ne peut pas être une occupation sûre pour les femmes.

La prostitution est une stratégie de survie qui suppose l’acceptation de risques déraisonnables. Le harcèlement sexuel est une caractéristique même de l’emploi. Il est tout simplement impossible de protéger une personne que son travail expose à la possibilité d’être violée en moyenne une fois par semaine.

J’aimerais citer une survivante :

    Je ne peux qu’exprimer mon grand regret de voir que des organismes en faveur de la prostitution cherchent à décriminaliser l’achat d’une personne à des fins sexuelles. Je ne peux tout simplement pas exprimer par des mots l’intense souffrance et douleur que m’a causée le fait de m’être adonnée à la prostitution.

    J’ai choisi de travailler comme prostituée parce que je croyais n’avoir aucun autre choix. Je me suis adonnée à la prostitution parce que je connaissais de grandes difficultés affectives et financières et parce que je ne pouvais pas compter sur le soutien de ma famille.

    J’ai pu travailler dans des salons de massage « de luxe » ... On se trompe totalement en pensant que la violence n’existe pas dans les bordels. J’ai connu des bordels où l’on a essayé d’étrangler et de maintenir par la force des filles. Les clients de ces bordels enlevaient volontairement leur condom malgré le fait que la prostituée souhaitait qu’ils le conservent...

    Je défends maintenant le droit des prostituées à se libérer des forces qui les empêchent d’abandonner la prostitution. Je presse toutes les bonnes âmes à consulter les données et la recherche portant sur les désirs des femmes, des hommes, des enfants et des transgenres qui s’adonnent à la prostitution.

Ce témoignage montre que ceux qui sont favorables à la prostitution comme occupation constituent une très, très petite minorité.

Je crois que les gens ne savent vraiment pas comment faire face à ce qu’ils comprennent instinctivement comme les méfaits de la prostitution. Les gens m’ont demandé si la situation ne serait pas un peu meilleure si la prostitution était décriminalisée ? Cela permettrait-il de réduire la stigmatisation et d’accroître la protection des prostituées ? La réponse est non.

Décriminaliser la prostitution ne réduit pas la stigmatisation des prostituées et ne les protège pas mieux.

Lorsque les gens parlent des méfaits de la prostitution, ils ne pensent habituellement qu’aux méfaits physiques comme le risque de contracter le VIH, le risque de viol, le risque d’agression physique et le risque de meurtre, qui sont exceptionnellement élevés dans le monde des prostituées.

J’ai étudié le cas de personnes qui acceptent volontairement de se prostituer pour se rendre compte plus tard que ce métier est beaucoup plus dangereux et nocif qu’elles ne le pensaient au départ. La prostitution est une institution dans laquelle une personne a le pouvoir social et économique de transformer une autre personne en l’incarnation vivante d’un fantasme masturbatoire. Lorsqu’il y a prostitution, les conditions qui rendent le consentement véritable possible sont absentes : sécurité physique, pouvoir égal des clients et véritable choix. La prostitution n’est pas le choix tel que nous concevons le terme. Il ne s’agit pas d’une option parmi d’autres.

Une femme à Amsterdam a décrit la prostitution comme « esclavage volontaire », expression qui, à mon avis, décrit bien cette apparence de choix qui revient à un choix forcé.

Un acte de déshumanisation

Les chercheurs et les spécialistes de la santé publique ne parlent pas normalement des méfaits psychologiques de la prostitution. La prostitution cause des méfaits psychologiques parce que, comme Michelle Anderson l’a dit, la prostitution est un acte de déshumanisation sexuellement invasif comme le viol et l’inceste.

Le public est beaucoup moins sensibilisé au traumatisme que causent la prostitution et le trafic du sexe qu’il ne l’est au sujet du traumatisme que causent l’inceste, le viol et la violence conjugale. À la différence du viol, de l’inceste et de la violence conjugale, la prostitution présente un avantage financier pour les personnes qui y sont liées. Comme nous le savons tous, les sommes en jeu sont énormes. Le fait que la prostituée reçoive de l’argent rend son exploitation sexuelle invisible et le fait qu’on prenne des photos d’elle lorsqu’elle se prostitue transforme son humiliation en divertissement sexuel pour quelqu’un d’autre.

Je fais des recherches sur la prostitution depuis longtemps, mais j’ai mis des années à comprendre que le plus grand tort que cause la prostitution n’est pas physique, mais psychologique. Parmi toutes les personnes chez qui on a étudié ce problème, c’est parmi les prostituées que le taux de prévalence du syndrome de stress post-traumatique, SSPT, est la plus élevé. Nous avons interviewé plus de 850 personnes s’adonnant à la prostitution dans neuf pays, dont le Canada, et nous avons constaté que le SSPT chez les prostituées était comparable à ce qu’il est chez les femmes battues, les survivantes de viol et les anciens combattants. Les prostituées connaissent des taux extrêmement élevés de dépression, de toxicomanie, de dissociation mentale, de traumatisme crânien et de tentative de suicide.

Mauvais traitements familiaux et fugues

Nous avons interviewé des homosexuels et des transgenres au Canada et dans d’autres pays et nous avons constaté que les raisons qui poussent les femmes vers la prostitution sont les mêmes que celles qui poussent les jeunes homosexuels et transgenres à se prostituer également, à savoir la négligence familiale, les mauvais traitements familiaux et les fugues. Une fois qu’ils se prostituent, les jeunes homosexuels et transgenres sont traités de la même façon que les filles et les femmes qui se prostituent.

Est-il mieux que la prostitution ait lieu en établissements plutôt qu’à l’extérieur ? Certaines données semblent indiquer que la violence est moins élevée en établissements, mais cela est relatif. Le fait que les méfaits de certains types de prostitution semblent être plus marqués que d’autres ne signifie pas qu’il y a certains types de prostitution inoffensifs. C’est un raisonnement faux que tiennent certaines personnes.

Le mythe de la prostitution "à l’intérieur"

Une étude qui a été récemment effectuée à San Francisco a révélé que 62% des femmes d’origine asiatique travaillant dans les salons de massage de cette ville avaient été agressées par leurs clients. Or, cette étude n’a porté que sur la moitié des salons de massage de la ville. Les proxénètes et les trafiquants qui contrôlent le reste des salons de massage de San Francisco ont refusé l’accès aux chercheurs. Je suppose que les femmes qui travaillent dans ces salons subissent une violence encore plus grande. Le taux d’agression physique s’élevait à 62% dans les salons de massage où la prostitution se pratique à l’intérieur.

Des chercheurs Néerlandais - comme vous le savez, la prostitution est légale aux Pays-Bas - ont découvert qu’il y a deux facteurs auxquels on peut attribuer une violence accrue dans le monde de la prostitution. Plus la pauvreté est grande, plus la violence est grande, et le risque de violence est aussi proportionnel au nombre d’années pendant lesquelles on a pratiqué la prostitution.

Les femmes ne se prostituent pas seulement dans un seul endroit. Elles ont des téléphones cellulaires. Grâce au téléphone cellulaire, une prostituée peut travailler dans la rue et peut aussi travailler pour une agence d’escortes... Le téléphone cellulaire permet différents types de prostitution. La prostitution se pratique dans différents endroits, tant en établissements qu’à l’extérieur. Il n’existe pas de distinction absolue entre la prostitution qui a lieu en établissements et celle qui a lieu à l’extérieur.

D’après de nombreuses études, les taux de violence psychologique sont comparables que la prostitution ait lieu en établissements ou à l’extérieur.
La prostitution en établissements accroît la sécurité et le confort du client, mais cela ne fait rien pour diminuer le traumatisme psychologique des prostituées elles-mêmes. En fait, l’invisibilité sociale de la prostitution en établissements peut en accroître le danger.

Connaissant les dommages terribles qu’entraîne la prostitution en établissements, un proxénète hollandais a déclaré : « On ne peut pas avoir d’oreiller dans un bordel ; c’est un instrument de meurtre. » Avant que les femmes dans ces établissements puissent atteindre le bouton d’alarme et que l’on enfonce la porte, elles sont déjà gravement blessées, à en croire les gorilles en Australie, où la prostitution est décriminalisée. On ne peut jamais répondre suffisamment vite à un appel au secours pour empêcher la violence. Les boutons d’alarme dans les bordels ne sont pas plus utiles que les boutons d’alarme chez les femmes battues.

Des recommandations édifiantes

Écoutez bien cela ; ce n’est pas une plaisanterie. Les lignes directrices australiennes concernant la sécurité en milieu de travail des femmes dans le secteur de la prostitution recommandent que celles qui se lancent dans ce secteur prennent des cours sur les négociations en cas de prises d’otage. Voilà ce qu’il faut apprendre si l’on se lance dans la prostitution dans un contexte décriminalisé.

Une organisation sud-africaine a recommandé que lorsqu’elle se déshabille, la prostituée fasse comme si elle ne faisait pas exprès d’envoyer une chaussure sous le lit et, en allant la récupérer, regarde s’il n’y a pas de couteau, de menottes et de corde. Ceci fait partie de la vie quotidienne d’une prostituée.

À San Francisco, la prostitution en établissements et les bordels de massage sont décriminalisés de facto. Récemment, un groupe de défense des droits des prostituées a recommandé que les femmes sachent toujours où se trouvent les issues, qu’elles portent des chaussures qui leur permettent de courir et qu’elles ne portent jamais de colliers, d’écharpes ni quoi que ce soit avec lequel on puisse les étrangler.

La prostitution est une institution qui systématiquement fait de la discrimination contre les femmes, les jeunes, les pauvres et les groupes subalternes du fait de leur ethnie. Au Canada, la recherche que j’ai menée avec Jackie Lynn et Ann Cotton incluait un grand nombre de jeunes filles et de femmes des Premières nations qui n’avaient pas beaucoup d’autres possibilités de survie économique que la prostitution. Ceux qui défendent la décriminalisation de la prostitution ne se penchent que très rarement sur la pauvreté, la race et l’ethnie, qui rendent les femmes encore plus vulnérables et qui font qu’elles sont encore plus en danger quand elles se prostituent.

Pourquoi les femmes des Premières nations sont-elles surreprésentées parmi les prostituées au Canada ? C’est une question brûlante à laquelle il faut répondre, me semble-t-il.

Je voulais vous donner quelques conclusions préliminaires sur les recherches que j’ai faites auprès de clients, mais je n’aurai pas le temps de le faire, à moins que quelqu’un m’interroge là-dessus.

Tout d’abord, permettez-moi de dire que nous avons certains exemples de ce qui se passe...

Conclusion

Je conclurais donc en vous parlant de ce que nous savons qu’il se passe lorsque la prostitution est décriminalisée parce qu’il existe des tas d’exemples dans différentes régions du monde.

Décriminalisée, la prostitution devient un aimant pour les proxénètes et les clients. La prostitution décriminalisée leur offre un passeport légal qu’ils sont tous prêts à accepter. Le résultat, c’est que la prostitution, légale autant qu’illégale, augmente sensiblement lorsqu’on la décriminalise. Cela devient simplement un autre achat de produit, comme le dentifrice ou le maïs soufflé.

Le trafic de femmes à destination du Canada augmenterait. Une bonne stratégie commerciale pour les proxénètes consiste à envoyer les femmes et les enfants dans des pays où il n’y a pas d’obstacles juridiques au commerce du sexe.

Le crime organisé prend de l’ampleur. La Nouvelle-Zélande a été mentionnée par quelques personnes ce matin. La prostitution a été décriminalisée dans ce pays depuis à peine plus d’un an et demi, et nous constatons une augmentation considérable du crime organisé. C’est un phénomène qu’il faut examiner de très près.

Enfin, la prostitution des enfants augmente partout où la prostitution est décriminalisée.

Un café, une conversation ou un condom ne suffisent pas pour aider ces femmes, pas plus qu’un syndicat d’ailleurs. Quatre-vingt-quinze pour cent des prostituées que nous avons interviewées au Canada nous ont déclaré qu’elles voulaient échapper à la prostitution et nous ont même dit ce dont elles avaient besoin. Elles ont besoin d’un logement stable. Elles veulent s’affranchir de la prostitution. Elles n’ont pas dit qu’elles voulaient échapper à la prostitution illégale ou à l’extérieur d’établissements ; elles ont dit qu’elles voulaient s’affranchir de toute forme de prostitution. Elles ont indiqué aussi qu’elles voulaient suivre des traitements de désintoxication, une formation professionnelle et une thérapie.

Source : Témoignage devant le sous-comité de l’examen des lois sur le racolage, le 30 mars 2005.

On peut consulter les articles de Melissa Farley sur le site Prostitution Research Education.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 16 septembre 2005.



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Melissa Farley, chercheuse et psychologue
Prostitution Research

Chercheure féministe engagée de San Francisco et psychologue depuis 35 ans, Melissa Farley a publié 25 ouvrages et a mené depuis une décennie des recherches de terrain sur la prostitution dans 10 pays, y compris le Canada. Son travail et celui de 30 autres chercheur-es figurent dans un ouvrage récent, Prostitution, Trafficking and Traumatic Stress, Haworth Press, 2004. Son analyse - résolument féministe - est fondée sur l’écoute du vécu et des revendications de plus de 850 femmes, hommes, transgenres et enfants piégés dans le réseau prostitutionnel ou ayant réussi à y échapper. On peut consulter ses articles sur le site Prostitution Research.



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