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jeudi 19 mai 2005 Trois positions dans le débat sur la décriminalisation de la prostitution
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On veut protéger les clients dans l’affaire de la prostitution juvénile à Québec. Prostitution - Des failles dans le processus de réflexion amorcé au sein de la FFQ Prostitution : Un consensus à l’arraché La prostitution, un métier comme quel autre ? Bientôt des proxénètes et des bordels subventionnés ? La prostitution est une forme de violence Le prix d’une femme |
Depuis son origine, le patriarcat a cherché à garder les femmes dans l’ignorance et la misère afin de les maintenir sous la dépendance des hommes et à leur service. Le système prostitutionnel et la montée des fondamentalismes religieux, à l’échelle mondiale, se chargent aujourd’hui de remettre les femmes à leur place et d’annuler tous les acquis féministes conquis de haute lutte à travers les siècles. Ainsi, dans la mondialisation des industries du sexe, les intérêts du patriarcat, du néolibéralisme et du crime organisé se confondent. Il n’est pas rare aujourd’hui de retrouver des textes en faveur de la libéralisation du "travail du sexe" sur des sites progressistes. Décidément, on n’a plus ni les féministes ni la gauche qu’on avait ! De Marion Boyd du NPD, qui recommande l’instauration de tribunaux islamiques au Canada, à Libby Davies, du même parti, qui veut légaliser la prostitution pour soi-disant diminuer la violence envers les femmes prostituées, on est confronté à une même logique de légitimation du patriarcat. Le sous-comité parlementaire pour l’examen des lois sur le racolage (1), qui poursuit ses audiences depuis décembre 2004 et devrait déposer un rapport en juin prochain, s’inscrit dans ce contexte. Les témoignages entendus par le sous-comité se divisent essentiellement en trois positions : défense du statu quo, décriminalisation totale de la prostitution, décriminalisation des personnes prostituées, mais criminalisation des clients et des proxénètes. Éliminer la violence par la décriminalisation ? Lors de l’audience du 16 mars, Agnès Connat, de l’Association des résidant-es du Faubourg à Montréal, a souligné qu’elle ne pensait pas qu’il soit écrit « violeur » ou « pédophile » sur le visage du client qui a des intentions violentes. La personne prostituée peut discuter pendant 10 minutes avec le client, dit Mme Connat, si ce dernier a des intentions violentes, celle-ci n’est pas nécessairement en mesure de les déceler. Pour Marc Drapeau, du Projet Intervention Prostitution Québec (PIPQ), qui a témoigné à la même date, la prostitution est au service exclusif des hommes et on n’entend jamais parler de programme pour rejoindre ces derniers. "Pourtant, dit-il, ce sont les principaux demandeurs et ce sont eux qui produisent la prostitution. Les agents producteurs de prostitution sont surtout les clients ». Les hommes ont une réflexion à mener, dit Marc Drapeau. Un point de vue qui suppose une attitude différente de la part des services policiers et des différents paliers de gouvernements qui devront sévir contre les véritables responsables de la prostitution, soit les proxénètes et les clients, et mettre à la disposition des intervenant-es des budgets suffisants pour aider réellement les femmes à s’en sortir. Les chiffres comparatifs entre les sexes pour l’année 2003-2004 montrent que 17 hommes et 198 femmes ont reçu une peine d’emprisonnement aux termes de l’article 213. C’est donc dire que 92 p. 100 des personnes incriminées étaient des femmes. Que se produirait-il, demande le député Hanger, si ceux qui recherchent ces services cessaient de payer parce qu’ils craignent d’être accusés ou parce qu’ils craignent d’être dénoncés publiquement ? A-t-on omis d’examiner cet élément de l’équation qui est pourtant le plus important ? M. Hanger rappelle également, lors de l’audience du 16 mars, que certaines des femmes prostituées qui ont été assassinées à Vancouver avaient accompagné le meurtrier en série à sa ferme. Elles y sont allées en groupe, de leur propre gré, et plusieurs d’entre elles le connaissaient. Elles ont eu le temps de l’évaluer, alors on ne voit pas comment, dans un tel contexte, la décriminalisation permettrait aux femmes de mieux évaluer les clients et les dangers potentiels. Au cours de la même séance, Diane Matte de la Marche mondiale des femmes, a déclaré qu’il faudrait surtout remettre en question l’indifférence générale de la société face à la violence faite aux femmes. Pour elle, il faut voir la prostitution ou l’expansion de l’industrie du sexe « sous l’angle de l’exploitation sexuelle, de l’asservissement des femmes les plus pauvres, du racisme et de la division internationale du travail ». « [...] Malgré les liens très clairs qui existent entre le trafic et la prostitution, affirme Diane Matte, il y a une forte résistance à s’attaquer à ces liens et surtout à s’attaquer à la demande. Il est utile de rappeler que déroger à l’une ou l’autre de ces institutions patriarcales [mariage, maternité, hétérosexualité et prostitution] signifie pour les femmes s’exposer à de la répression, à de la violence. En fait, conclut la militante, la violence envers les femmes peut se définir comme l’outil ultime de répression lorsque les femmes refusent d’être au service des hommes ». On ne saurait mieux définir les enjeux d’une décriminalisation totale de la prostitution. Dissocier la prostitution locale de la traite mondiale Il y aurait beaucoup à dire sur la présence inopinée, lors des audiences, du député bloquiste d’Hochelaga-Maisonneuve, Réal Ménard, favorable à la décriminalisation et même à la légalisation de la prostitution, et surtout sur ses commentaires agressifs à l’égard de certaines personnes venues présenter leur témoignage devant le sous-comité. À l’entendre, on pourrait croire que la prostitution ne compte aujourd’hui que des femmes qui ont fait ce choix volontairement. Le député affirme que, dans son comté, il n’y avait ni proxénètes ni danseuses étrangères "importées" aux fins de prostitution. Ne reculant devant rien pour défendre son "grand projet", le député prend à partie Richard Poulin, qui a mis en évidence, dans son livre La Mondialisation des industries du sexe, les liens entre la prostitution locale et la traite mondiale des femmes aux fins de prostitution. Ce livre a reçu un très bon accueil des médias et a contribué à faire prendre conscience de l’ampleur des problèmes soulevés par le commerce mondial des femmes et des enfants et par la banalisation de la pornographie. « Ne me parlez pas de M. Poulin (2), clame le député bloquiste, on parle de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Entre nous, les organismes chargés de l’application de la loi n’ont pas ces données. Comment les groupes communautaires peuvent-ils se présenter devant nous pour nous parler du trafic sexuel ? » La coordonnatrice de la Marche mondiale des femmes, Diane Matte, trouve intéressant que Réal Ménard conteste les chiffres de M. Poulin, alors qu’il est prêt à accepter sans preuve les chiffres qui lui semblent démontrer que la légalisation a tout réglé en Australie et aux Pays-Bas, y compris la violence envers les femmes. M. Ménard affirme qu’il a demandé à une personne, dont il tait le nom, de faire une recherche qui a duré deux mois, et il conclut : « On n’a pas de chiffres sur la filière canadienne du trafic sexuel. On a seulement des chiffres à l’état embryonnaire. Si on les a, j’aimerais qu’on les dépose. Colette Parent, avec Mme Bruckert, a reçu un mandat du solliciteur général, mais c’est très embryonnaire. Alors, ne confondons pas le trafic sexuel et la prostitution de rue. Je ne dis pas qu’il ne faut pas s’en préoccuper, mais je dis qu’il faut se baser sur des données réelles ». Le mandat de Mmes Parent et Bruckert, connues pour leur position favorable à la décriminalisation totale de la prostitution, serait-il de démontrer qu’il n’existe pas de liens entre la prostitution et la traite des femmes et des enfants aux fins de prostitution ? Est-ce pour donner un vernis universitaire à la position défendue par les groupes de travailleuses du sexe que le sous-comité a invité à deux reprises, en 2003 et 2005, ces deux mêmes chercheuses à venir témoigner ? Les propos de Mme Parent, lors de sa comparution devant le sous-comité, le 9 mars 2005, laissent présager de l’orientation de la future enquête dont parle le député bloquiste : « Pour nous, il y a le travail du sexe qui peut être exercé au Canada par des femmes qui choisissent ce type de travail, a-t-elle dit, et à mon avis celui-ci devrait être décriminalisé et ces femmes devraient avoir des droits comme travailleuses ». Pour connaître les chiffres réels de la traite des femmes et des enfants à des fins de prostitution au Canada, ne faudrait-il pas plutôt exiger que la Gendarmerie Royale et les autres services policiers rendent ces données publiques, tout autant que le rôle réel que joue le crime organisé dans le développement de la marchandisation mondiale des femmes et des enfants ? Au Canada, le nombre d’hommes, de femmes et d’enfants qui entrent au pays pour fins de prostitution est évalué grossièrement de 8000 à 16 000. Ces personnes proviendraient principalement de l’Asie, de l’Afrique et de l’Europe de l’Est (3). Selon la GRC, le mouvement entre le Canada et les États-Unis se fait dans les deux sens. À preuve, en un an, 12 000 personnes sont passées du Canada aux États-Unis alors que 14 000 ont fait le chemin inverse. On a parlé d’environ un millier de visas accordées ces deux dernières années à des danseuses nues pour répondre à la demande des propriétaires de clubs liés aux réseaux de prostitution et au crime organisé. Un chiffre qui grimpe d’année en année. On se souvient que la ministre et d’autres représentants du ministère de l’Immigration avaient invoqué la pénurie de Canadiennes disposées à accomplir ce "travail" pour justifier l’attribution de visas à des femmes, dont plusieurs étaient mineures (4). Avant Noël 2004, le gouvernement s’est empressé d’étouffer ce scandale, en mettant plutôt l’accent sur le comportement non-éthique de la ministre de l’Immigration J. Sgro. Sa démission a permis de fermer ce dossier compromettant avant que le public ne s’interroge davantage sur les liens entre les fonctionnaires de l’immigration et le crime organisé. Lors de l’audience du 6 avril 2005 du sous-comité consacrée aux témoignages de représentants de l’Association canadienne des chefs de police, M. Ménard a encore réclamé de façon pointilleuse des statistiques non disponibles qui conforteraient ses visées de décriminalisation. Si cela peut rassurer le député bloquiste, un groupe de recherche existe déjà, depuis un an, à l’UQAM pour documenter ce sujet (5). Réal Ménard se dit déçu que les intervenant-es n’envisagent pas de solution alternative : « Il faut arrêter de se comparer aux Pays-Bas. Il y a d’autres pays - la Nouvelle-Zélande, l’Australie, l’Allemagne - où le fait de décriminaliser la prostitution a pu aussi donner des résultats positifs ». Peut-on parler de résultats positifs quand le trafic des femmes et des enfants a grimpé en flèche dans ces pays comme dans tous ceux qui ont légalisé la prostitution ? Aux Pays-Bas, 90% des femmes prostituées proviendraient de l’Europe de l’Est, une infime partie seulement d’entre elles serait enregistrée et paierait des taxes, les unes et les autres étant exploitées à l’os dans la prostitution de rue, dans les eros centers, les agences d’escorte ou les salons de massage, pour répondre aux besoins des différentes classes de clients, des plus pauvres aux plus riches. En Allemagne, seulement une centaine des 400 000 femmes prostituées font partie d’un syndicat, ce qui montre le poids qu’aura la défense des droits des femmes prostituées une fois la décriminalisation acquise. Dissocier la prostitution juvénile de la prostitution adulte Alors que les avocates de la décriminalisation totale de la prostitution affirment qu’il faut séparer la prostitution des mineures de celle des adultes consentantes, et que Libby Davies se réjouit de « la distinction faite, dans le code pénal néerlandais, entre ce qui est qualifié de prostitution volontaire et de prostitution involontaire », Susan Miner, de l’organisme Street Outreach, déclare, lors des audiences à Toronto, le 15 mars : « Je suis ici pour vous dire que 65 p. 100 de nos jeunes n’ont pas terminé leur dixième année, et que certains sont analphabètes ; que 52 p. 100 de nos jeunes ont été victimes d’agressions sexuelles, physiques et psychologiques graves, dont certains depuis la petite enfance, que l’âge moyen auquel les jeunes déclarent avoir commencé à se prostituer et auquel ils estiment avoir pris le contrôle de leur corps est de 15 ans - mais, en réalité, la plupart d’entre eux ont été victimes d’agression bien avant ; que 75 p. 100 des jeunes avec lesquels nous sommes en contact - et lorsque je parle de jeunes et d’enfants, je parle de garçons, de filles, de jeunes hommes, de jeunes femmes et d’adolescents - si un enfant ou un jeune est dans la rue pendant plus de quelques semaines à Toronto, cet enfant y reste pendant quatre à six ans ; que le processus d’abandon du commerce du sexe prend de quatre à six ans ; que pour la plupart des jeunes, le processus suppose un cycle au cours duquel le jeune retourne à des mesures désespérées lorsqu’il est désespéré ; que la toxicomanie, les problèmes de santé mentale et les retards de développement aggravent le cycle ; qu’en 30 ans, j’ai parlé à plus d’un millier d’enfants - je devrais plutôt dire des milliers -, et que pendant toutes ces années, seulement deux m’ont dit qu’ils voulaient se prostituer ». Ce témoignage rejoint ceux recueillis par l’anthropologue Rose Dufour auprès de femmes prostituées et qui montrent que la majorité d’entre elles ont été abusées sexuellement dans leur enfance et acculées à la prostitution (6) dont elles cherchent désespérément à se sortir. Pour sa part, Yolande Geadah ajoute que « l’organisation des droits de l’enfant à Amsterdam estime qu’il existe à présent plus de 15 000 enfants, principalement des fillettes, prostitués aux Pays-Bas, une augmentation de 11 000 depuis 1996, dont 5 000 proviennent d’autres pays non européens, principalement du Nigeria ». Seules les femmes prostituées devraient-elles pouvoir se prononcer sur la réforme des lois ? Les "travailleuses du sexe" devraient être les seules à être entendues, selon les promotrices de la décriminalisation de la prostitution, car elles seraient les seules aptes à décider quel type de réforme serait souhaitable. Mais, en réalité, seules celles qui font partie des groupes qui veulent faire de la prostitution un métier légitime s’arrogent ce droit de parole. Plus de 92 % des femmes prostituées, qui ne voient pas la prostitution comme un choix, ne se prononcent pas publiquement pour diverses raisons dont la peur des représailles. Les seules femmes prostituées qu’on entend sur toutes les tribunes et qui se présentent aux audiences du sous-comité sont celles qui font partie de groupes qui, subventionnés pour lutter contre le SIDA, cherchent à promouvoir la décriminalisation de la prostitution, y compris celle des proxénètes et des clients-prostitueurs. Lors de son témoignage, Valérie Boucher, coordonnatrice du Forum XXX, accuse les opposantes à la libéralisation de la prostitution « de parler des femmes que je côtoie, des centaines, voire des milliers de femmes que j’ai côtoyées durant huit ans, comme de femmes pas intelligentes qui, parfois, devant un large éventail de choix, choisissent quand même de faire du travail du sexe. Je trouve très triste d’entendre parler de ces femmes avec aussi peu de respect, de sensibilité et de clairvoyance par rapport à leur intelligence et à leur autodétermination ». Ces constants procès d’intention lancés sans preuves sont une "marque de commerce" des groupes qui tendent d’imposer la prostitution comme un métier. L’intervention de Valérie Boucher lui a tout de même valu des félicitations enthousiastes de la part de la députée libérale Hedy Fry... À cette culpabilisation systématique de toutes celles qui ne sont pas d’accord avec les points de vue des promotrices du "travail du sexe", Michèle Roy du Regroupement québécois des CALACS répond : « J’emploie le mot "victime" non pas pour infantiliser ou victimiser ces personnes, mais pour reconnaître qui est l’agresseur et qui est la personne qui subit cette agression. De la même façon, on a parlé des femmes victimes de violence conjugale et on n’a jamais considéré que ces femmes n’avaient pas de pouvoir et de possibilités d’agir ». Au lieu de chercher une alternative à la prostitution, les groupes en faveur de sa décriminalisation totale veulent soi-disant en améliorer la pratique, la faire reconnaître comme un métier légitime. Ils font totalement abstraction des rapports sexuels de domination et de la violence qu’ils engendrent, pavant ainsi la voie à l’expansion des réseaux de drogues et de traite mondiale des femmes et des enfants aux fins de prostitution. Un marché qui rapporte dans le monde plus de 72 milliards de dollars, assez pour que le crime organisé s’achète des complicités à tous les échelons de la société. Des mini-bordels à la maison et des centres d’achat érotiques en banlieue Le sous-comité cherche davantage à organiser la prostitution afin qu’elle incommode le moins possible la population qu’à la combattre et à offrir des solutions alternatives aux personnes qui souhaitent en sortir. Lors de l’audience du 16 mars à Montréal, Raymond Viger du Journal de la rue parle de « l’exemple de l’État du Nevada, aux États-Unis, qui a légalisé la prostitution. Las Vegas, une grosse ville touristique, avec casinos et grands spectacles, refuse la légalisation, car ce n’est pas bon pour l’industrie du tourisme. Au centre-ville de Montréal, où il y a plein de festivals, de spectacles, etc., il n’y aura pas de bordels. C’est en périphérie qu’il y en aura. […] La ville à côté de Las Vegas a légalisé la prostitution. Tout se passe en périphérie. Les villes touristiques ne veulent pas légaliser la prostitution, mais elles subissent quand même la légalisation de la prostitution dans la ville voisine ». Par ailleurs, l’octroi de permis aux femmes prostituées pour qu’elles puissent travailler chez elles seules ou en coopératives pourrait être la recommandation vers laquelle s’achemine le sous-comité. Libby Davies, du NPD, rappelle qu’à l’époque du rapport Fraser, en 1985, il avait été recommandé que les femmes puissent "travailler" chez elles. Il ne s’agissait pas vraiment de créer un quartier des prostituées, mais de permettre aux prostituées de "travailler", grâce à un zonage le permettant. Elle se dit d’ailleurs sûre que bon nombre de femmes choisissent déjà cette façon de faire, mais que, pour le moment, c’est tout simplement clandestin. Pour elle, il s’agirait de leur donner la possibilité de "travailler" dans un lieu sûr et peut-être d’émettre un permis de pratique. Une "solution", mise en doute par d’autres, qui évoquent le phénomène de concentration graduelle de ces "coopératives" dans certains quartiers dont le résultat serait de faire fuir les résidant-es et de marginaliser une fois de plus les femmes prostituées. Lors de l’audience du 14 février, Cherry Kingsley, de l’Association of Experiental Women, qui se dit en faveur de la décriminalisation, a cependant l’honnêteté de reconnaître « qu’il n’y a pas de modèle dans le monde qui donne vraiment du pouvoir aux femmes qui font le métier du sexe, que ce soit la légalisation, la tolérance, la décriminalisation, ou l’interdiction pure et simple. Nulle part dans le monde, il n’y a de modèles dans lesquels les femmes sont parfaitement en sécurité et ont les pleins pouvoirs ». Cela étant, n’y aurait-il pas lieu enfin de regarder un peu du côté de ceux qui sont responsables de cette insécurité, comme le proposent plusieurs intervenant-es afin que des mesures soient prises pour empêcher ceux qui exploitent sexuellement les femmes et les enfants, qu’il s’agisse des proxénètes ou des clients, de continuer impunément cette exploitation ? Ne serait-il pas temps d’essayer de mettre fin à toutes les formes d’inégalité qui font des femmes des proies rêvées pour les prostitueurs de tout acabit ? Rejet systématique du modèle suédois Les interventions des membres du sous-comité révèlent que la plupart ont des idées préconçues sur la voie que devrait emprunter le Canada face à la prostitution : ils rejettent systématiquent le modèle suédois qui constituerait un échec total, selon eux, et repousserait les femmes prostituées dans la clandestinité. Peu leur importe, semble-t-il, que des témoignages documentés démontrent le contraire, notamment les témoignages des chercheur-es Yolande Geadah et Richard Poulin, confirmés par de nombreuses études dont les références ont été fournies au comité. Lors de l’audience du 16 mars, les propos de Jennifer Clamen de la Coalition pour les droits des travailleurs et travailleuses du sexe illustrent comment l’opposition au modèle suédois se situe dans une logique purement économique et non en termes d’élimination de la violence envers les femmes, comme le prétendent les partisanes de la décriminalisation : « J’ai entendu à plusieurs reprises des témoins recommander au comité de criminaliser les clients, dit Jeannifer Clamen, et ce sont curieusement des gens de l’extérieur de l’industrie du sexe qui ne comprennent pas forcément l’importance des clients pour les travailleuses du sexe. C’est une question de gagne-pain. C’est une question d’argent gagné au quotidien. C’est essentiel. Et de surcroît, en Suède, où on a appliqué ce modèle, il y a eu une aggravation sensible de la violence. Si l’on envisage de faire obstacle à la violence, ce modèle ne convient absolument pas ». Où sont les preuves de ces assertions que contredisent des sources fiables comme le Comité de la Justice britannique ou l’enquête du Parlement écossais (7) ? Lorsqu’elle a présenté sa position devant le sous-comité, la chercheuse Yolande Geadah a d’ailleurs rappelé que la Suède était auparavant ultralibérale, comme les Pays-Bas, et que c’est en s’apercevant de l’augmentation sensible du niveau de violence à l’égard des femmes prostituées qu’elle a proposé des lois qui réduiraient la demande de prostitution à la base, qui s’attaqueraient à la racine même de la prostitution. Les membres du sous-comité continueront-ils à mettre systématiquement en doute les nombreux témoignages documentés en faveur du modèle suédois ? Persisteront-ils dans leur refus de reconnaître que la loi suédoise sur la prostitution s’inscrit dans un ensemble de lois destinées à protéger les droits des femmes, à décriminaliser les personnes prostituées, à leur offrir un ensemble de services et à lutter contre la prostitution au lieu de se résigner à la considérer comme un pilier de l’économie mondiale ? Ne finiront-ils pas par tenir compte que, fait sans précédent, le gouvernement suédois a réussi à faire prendre conscience à la population que la prostitution est une forme de violence faite aux femmes et qu’elle est socialement inacceptable ? À tout le moins le sous-comité ne pourrait-il réfléchir à cette question au lieu d’écarter du revers de la main toutes données qui pourraient justifier qu’on lutte pour élimer la prostitution au lieu de chercher à s’en accommoder ? D’où vient donc la résistance de la plupart des membres du sous-comité à reconnaître cette réalité incontournable ? De tels préjugés font passer les droits individuels d’une minorité qui prétend parler au nom de toutes les femmes prostituées avant ceux de la majorité d’entres elles et de la collectivité auxquelles elles appartiennent. Des préjugés qui, s’ils devaient se traduire dans la loi, auraient des retombées désastreuses sur les générations à venir, comme le montre l’expérience des pays qui ont décriminalisé et légalisé la prostitution. Peut-on croire honnêtement que la libéralisation de la prostitution favorise l’égalité entre les hommes et les femmes dont se réclame le Canada ? Notes Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 avril 2005. Les positions des partisanes de la professionnalisation du "travail du sexe" ne font pas l’unanimité comme elles veulent le faire croire. Le sous-comité parlementaire a entendu de nombreux témoignages qui prouvent le contraire. Ceux de groupes qui luttent depuis longtemps contre la violence envers les femmes, tels que l’Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel (l’ACCCACS), qui a voté, en avril dernier, contre la décriminalisation totale de la prostitution, la Marche mondiale des femmes, la Concertation contre l’exploitation sexuelle (CLES), récemment créée pour promouvoir une solution s’inspirant de l’expérience suédoise, de nombreux groupes d’intervention sur le terrain tels que le Projet d’intervention prostitution Québec, Street Outreach de Toronto, Prostitution Awareness Fondation d’Edmonton, des organisations charitables qui, à l’instar de l’Armée du salut, travaillent auprès des personnes prostituées de puis des décennies, des chercheur-es comme Yolande Geadah, auteure de La prostitution un métier comme un autre ?, Aurélie Lebrun et Lyne Kurzman du Projet de recherche sur le trafic des femmes au Québec à l’UQAM, l’anthropologue Rose Dufour, auteure de Je vous salue…Le point zéro de la prostitution qui donne la parole à des femmes prostituées, Richard Poulin, auteur de La mondialisation des industries du sexe, Janice Raymond de la Coalition internationale contre le trafic des femmes (CATW), Melissa Farley de Prostitution Research and Education, Jacqueline Lynn à propos des Amérindiennes, Gunilla Ekberg, représentante du gouvernement suédois, les nombreux services municipaux, provinciaux, fédéraux, les services de santé et les services sociaux qui luttent pour la réinsertion des femmes prostituées, et tous ceux que j’oublie ici. |