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dimanche 15 janvier 2006


Réseau juridique canadien VIH/sida
Feu vert aux proxénètes et aux prostitueurs

par Élaine Audet et Micheline Carrier






Écrits d'Élaine Audet



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Dans un document publié le 13 décembre 2005 et intitulé Sexe, travail, droits/changer les lois pénales du Canada pour protéger la santé et les droits humains des travailleurs et travailleuses du sexe, le Réseau juridique canadien VIH/sida (1), un organisme communautaire, formule dix recommandations en faveur de la décriminalisation totale de la prostitution. La recherche s’étalant sur deux ans a pu être réalisée grâce au financement obtenu de l’Agence de santé publique du Canada.

Le Réseau dit avoir tiré ses données des témoignages de « travailleuses et travailleurs du sexe » ainsi que de « recherches fiables ». En réalité, il n’a consulté que les données fournies par les seuls organismes et chercheur-es universitaires qui légitiment le « travail du sexe » et proposent de le réglementer. Il ne pouvait donc parvenir qu’aux mêmes conclusions que ses « sources ».

Le document du Réseau juridique canadien VIH/sida fait totalement abstraction de l’opinion de 92% des femmes prostituées qui ne voient pas la prostitution comme un choix ou une profession, mais voudraient obtenir de l’aide pour en sortir, et qui ne peuvent intervenir publiquement de peur des représailles du milieu. Bref, la « recherche » ne s’intéresse pas aux besoins de la grande majorité des femmes prostituées. Elle ne fait pas davantage mention des positions exprimées publiquement par les quelques organismes qui aident des femmes et des adolescent-es à quitter "l’industrie du sexe" (2), tels le Projet Intervention Prostitution Québec (PIPQ), l’Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel, dont les CALACS du Québec, le CASAC de Colombie-Britannique et du Yukon, ou encore, les groupes d’aide aux femmes prostituées à Toronto et dans d’autres grandes villes canadiennes.

Pas un mot n’est dit, non plus, du comité consultatif de recherche composé de « survivantes » de la prostitution, qui a guidé l’étude de la Prostitution Awareness and Action Foundation d’Edmonton. Le message de ce groupe est clair : "Visez les clients, visez les souteneurs, visez les narcotrafiquants ; aidez-nous à guérir et à couvrir les nécessités de la vie, par exemple, nourriture et logement ; aidez-nous à créer un avenir plus positif pour nous-mêmes et nos enfants" (Quinn, 2005). Un appel dérangeant pour la cause de la décriminalisation que défend le Réseau juridique canadien VIH/sida et auquel ni les gouvernements ni les médias n’ont jusqu’ici répondu.

La « recherche » à l’origine de ce soi-disant « rapport » repose donc sur des données pour le moins sélectives... Quelques centaines de personnes, au Canada, prétendent parler pour les dizaines de milliers de femmes et de filles vendues, échangées, détruites, au nom de l’inviolable et incontesté droit des hommes au pouvoir, au profit, à la propriété et au plaisir. Un droit absolu, que le document du Réseau ne remet aucunement en question.

Place au marché libre

Pour le Réseau juridique canadien VIH/sida, ce sont les lois actuelles, non la prostitution en soi avec la violence et les risques de tous ordres qu’elle comporte, qui sont responsables des conditions de vie des personnes prostituées. Il réclame donc l’abrogation des quatre articles du Code criminel qui rendent illégales les "maisons de débauche" (art. 210), illégal de transporter ou de diriger une personne vers une maison de débauche (art. 211), illégal le proxénétisme et de "vivre des produits de la prostitution" (art. 212), illégale la communication aux fins de prostitution (art. 213).

Au Canada, il existe un consensus pour décriminaliser les personnes prostituées, leur fournir tous les services dont elles ont besoin et faire en sorte que les policiers les protègent au lieu de les harceler. C’est sur la décriminalisation des proxénètes et des clients prostitueurs, sans qui la prostitution n’existerait pas, qu’il y a débat (art. 210-211-212). Pour vraiment aider les personnes prostituées et neutraliser le système prostitutionnel, il est possible de modifier les lois en criminalisant les proxénètes et les clients (art. 213).

Le retrait de l’article 210 sur les « maisons de débauche » signifierait la légalisation de la prostitution dans les bordels, le domicile des personnes prostituées, les hôtels, les salons de massage et les diverses « maisons de passe » à l’usage des services d’escorte. Pour justifier l’abrogation de cet article, le document invoque la possibilité pour « les travailleuses et travailleurs du sexe d’exercer leur métier à l’intérieur, dans un lieu où ils auraient plus de contrôle sur leur sécurité ». Pourtant, de nombreux témoignages de chercheur-euses, notamment celui de la psychologue Melissa Farley, ainsi que les témoignages de femmes prostituées montrent que la prostitution intérieure est plus risquée en raison de l’isolement, la femme étant seule à la merci des exigences des clients et des proxénètes.

Le document du Réseau juridique canadien VIH/sida réhabilite le proxénétisme en faisant ressortir ses soi-disant « aspects positifs » : « La loi est trop large, dans sa définition du ’proxénétisme’ ; elle ne reconnaît pas que les travailleuses et travailleurs sexuels peuvent avoir divers arrangements de travail. Un ’proxénète’ qui amène un adulte à se prostituer pourrait (ou non) exploiter cette personne. [Il pourrait] protéger les travailleuses et travailleurs sexuels, voir à leur sécurité et s’assurer que les clients paient pour les services rendus. » À l’encontre du témoignage de femmes prostituées, de groupes travaillant sur le terrain et de plusieurs chercheur-euses (3), le Réseau prétend que « la plupart des femmes impliquées dans la prostitution de rue et hors rue, au Canada, ne sont pas contrôlées par des proxénètes. On n’a par ailleurs aucune donnée crédible et vérifiable sur l’implication du crime organisé dans le domaine de la prostitution », affirme le document.

En ce qui concerne « les obligations en droit international des droits de la personne et les droits humains garantis par la Charte canadienne des droits et libertés », rappelons que le Canada a signé différentes conventions, notamment la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), dont se réclame le « rapport », bien que l’article 6 de cette convention stipule que « les États signataires doivent prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer toutes les formes de traite et d’exploitation des femmes par la prostitution ».

Le Canada est également signataire de la Convention contre la criminalité transnationale organisée, dite « Convention de Palerme ». Dans son protocole additionnel, le Canada s’est engagé à lutter contre la traite des personnes et reconnaît que cette dernière est liée, entre autres, à l’exploitation de la prostitution d’autrui, c’est-à-dire au proxénétisme et au crime organisé qui, justement, "organisent" la traite à l’échelle mondiale (4). Les recommandations du Réseau juridique canadien VIH/sida vont donc à l’encontre de cet engagement du Canada : le groupe ne reconnaît pas que la violence, l’oppression et l’exploitation sexuelle des femmes sont inhérentes au système prostitutionnel, et que ce dernier est une violation flagrante des droits fondamentaux de la personne et du droit des femmes à l’égalité reconnu par la convention.

Le document essaie de justifier la décriminalisation totale de la prostitution par le fait que les lois actuelles « accroissent les risques et les préjudices » et renforcent « l’opinion que les travailleurs sexuels ont ce qu’ils méritent lorsqu’ils sont agressés et tués ». Selon les auteurs, les lois (les articles 210 à 211) et « la manière dont on les applique poussent les travailleuses et travailleurs sexuels dans des situations qui mettent en danger leur santé et leur sécurité, et qui les exposent à l’opprobre, à la discrimination, à la violence et à la possibilité de contracter le VIH. »

Les responsables de ces « risques et préjudices » ne seraient-ils pas plutôt les hommes (clients prostitueurs et proxénètes), qui se croient tout permis et auxquels on permet tout, y compris le mépris et la stigmatisation hypocrite inscrite dans le vocabulaire de toutes les langues, dans leurs rapports avec des femmes qu’ils prostituent ?

Comment l’abrogation des lois sur la prostitution pourrait-elle diminuer, par exemple, les risques pour les femmes prostituées de contracter le sida, puisque seules celles qui « travailleraient » dans des bordels légaux subiraient éventuellement des examens médicaux, alors que les hommes (clients et proxènètes) seraient toujours libres d’exiger d’elles des rapports non protégés, sans jamais être tenus responsables de la propagation de la maladie ?

Loin de renforcer le respect, la dignité, l’intégrité physique et psychologique des personnes prostituées ainsi que l’égalité à laquelle elles ont droit, la pratique de la prostitution, qu’elle soit décriminalisée ou non, en constitue la totale négation et expose à la violence, à la maladie, à la toxicomanie, à un stress post-traumatique plus grand que ceux vécus par les militaires du Vietnam et de la guerre du Golfe, ainsi qu’à un taux de suicide plus élevé que celui du reste de la population.

Le RJCVIH/sida réclame également d’inclure la reconnaissance du « travail sexuel » en tant que travail, dans les normes sur l’emploi et en vertu des lois sur la santé et la sécurité au travail.

Reconnaître la prostitution comme un métier assujetti au Code du travail, comme tout autre travail social, ce serait normaliser la violation des droits fondamentaux de la personne et autoriser le système selon lequel un groupe d’êtres humains, en l’occurrence les femmes, est mis en servitude sexuelle par et pour un autre groupe, les hommes. Il s’agirait de mettre à la disposition des hommes un « marché » de femmes et d’enfants de plus en plus vaste, sans même s’interroger sur la légitimité d’une telle exigence masculine et sur les retombées qu’elle pourrait avoir pour l’ensemble de la société. Ce serait également priver de tout recours les personnes qui réclament de l’aide pour quitter la prostitution.

La décriminalisation de la prostitution, que propose le Réseau juridique canadien VIH/sida, aurait pour conséquence de perpétuer la violence responsable de la dégradation de la santé des femmes prostituées. Maintes études l’ont démontré : la prostitution a les mêmes conséquences que le viol sur la santé mentale et physique des personnes qui la pratiquent. Alors que la société a fini par pénaliser le viol, reconnaissant que rien ne peut justifier l’agression et la destruction d’une personne, comment peut-on réclamer la décriminalisation totale du viol tarifé subi, jour après jour, par les femmes prostituées ?

Les gouvernements subventionnent la promotion de la prostitution

Le Réseau juridique canadien VIH/sida a pu mener sa « recherche » concluant à la nécessité de décriminaliser la prostitution grâce à une subvention de l’Agence de santé publique du Canada. Le programme de lutte contre le sida de la même agence fédérale avait déjà octroyé, au printemps 2005, une somme de 270 000$ au groupe Stella, de Montréal, pour organiser une rencontre internationale de personnes prostitué-es d’une durée de quatre jours, un événement qui avait peu à voir avec la lutte contre le sida. En effet, le Forum XXX avait pour objectif affirmé « l’élaboration de stratégies pour faire progresser les attitudes sociales en faveur de la décriminalisation de la prostitution ».

L’emploi, en tout ou en partie, de subventions destinées à la lutte contre le sida pour promouvoir la légalisation ou la décriminalisation de la prostitution n’est pas chose nouvelle ni propre au Canada. Les organismes subventionnaires sont généralement au courant de cette pratique. En 2002, un rapport indiquait que l’Union européenne avait accordé des dizaines de millions d’euros à des organismes qui soutiennent ouvertement l’industrie du sexe, sous le couvert de la lutte contre le sida, tout en faisant la promotion de la prostitution comme un droit des femmes. Des études rapportent, par ailleurs, qu’au plan international des complicités se tissent à tous les échelons institutionnels et médiatiques pour faciliter l’attribution de subventions à des groupes liés à l’industrie du sexe.

Lors de la conférence qu’elle donnait à Montréal, en 2005, la chercheuse Melissa Farley (3) a souligné que le Comité Durbar Mahila Samanwaya (DMSC), un groupe de défense des droits des « travailleuses et travailleurs du sexe » basé à Kolkata en Inde (groupe qui a d’ailleurs collaboré à l’organisation et à l’animation du Forum XXX à Montréal), reçoit chaque année des millions de dollars de la Fondation Bill & Melinda Gates, "officiellement" pour lutter contre le sida. Grâce à cet argent, le groupe fait la promotion de la légalisation de la prostitution et il contrôle un complexe de bordels lié à la traite et abritant 60 000 filles et femmes. Comme ailleurs, la lutte contre le sida sert donc de paravent à la légitimation de l’industrie du sexe et du crime organisé qui en est le maître d’œuvre. Pourtant, les femmes prostituées que la chercheuse Farley a interviewées dans 9 pays « veulent plus que des condoms et un syndicat, elles veulent sortir de la prostitution. Elles veulent un revenu stable, un logement, des solutions alternatives à la prostitution, des soins médicaux et des thérapies de désintoxication ». Mais qui se soucie de cela ?

Un document biaisé

À la lecture de ce document, on peut se demander comment le sort des personnes prostituées pourrait être amélioré si on donnait le feu vert aux proxénètes et aux clients pour continuer à traiter ces femmes comme de simples marchandises jetables et contre qui toutes les violences sont permises à condition d’y mettre le prix. Devons-nous comprendre qu’il est contraire à la sécurité, à la liberté et au mieux-être des personnes prostituées de lutter pour une société sans prostitution, tout en sachant qu’un tel objectif ne peut être atteint à court terme ni sans volonté politique ?

Le document du Réseau juridique canadien VIH/sida, que l’on qualifie de « rapport » - destiné en fait aux groupes qui lui ont servi de « sources » et à des antennes gouvernementales complaisantes - se base sur une réalité tronquée. Pour parvenir à ses conclusions, l’organisme a écarté la majorité des recherches qui décrivent les conséquences de la décriminalisation du proxénétisme ailleurs dans le monde. Il a ignoré, par exemple, les données sur la détérioration de la santé et de la sécurité des femmes prostituées dans tous les pays qui ont décriminalisé la prostitution, comme les Pays-Bas, l’Allemagne et l’Australie, sur la prostitution juvénile et le trafic des femmes et des enfants qui y ont grimpé en flèche et sur la proportion infime des femmes prostituées enregistrées, qui paient des impôts et sont soumises à des contrôles médicaux.

Ce document n’apporte rien de nouveau dans le débat actuel : il ne fait que reprendre, pour une énième fois, le discours favorable au système prostitutionnel que soutiennent depuis des années des médias, des groupes pro-prostitution et certains organismes gouvernementaux. Il sera donc pour eux un instrument de propagande utile, comme l’ont été les "consultations" du sous-comité de réforme des lois sur le racolage à la Chambre des communes d’Ottawa dont on attend toujours le rapport. Davantage que les intérêts de la majorité des personnes prostituées qu’il prétend défendre au nom des droits de la personne, le document du Réseau juridique canadien VIH/sida servira les intérêts des "industries du sexe" qui exploitent, avec la complicité des États, les femmes et les enfants comme de la marchandise renouvelable à souhait. Bref, le financement de ce "rapport" par l’Agence de santé publique du Canada représente rien de moins que du gaspillage de fonds publics.

 Lecture suggérée : "Sex slaves for science ?".

Notes

1. Le Réseau juridique canadien VIH/sida travaille à la promotion des droits humains des personnes vivant avec le VIH/sida et qui y sont vulnérables, au Canada et dans le monde, par le biais de recherches, d’analyse juridique et des politiques ainsi que d’initiatives d’éducation et de mobilisation communautaire. Le Réseau juridique est le principal organisme canadien de plaidoyer sur les enjeux légaux, éthiques et des droits de la personne liés au VIH/sida.
2. Rose Dufour, Je vous salue...Le point zéro de la prostitution, éditions Multimondes, Sainte-Foy, 2005. Lire le témoignage de Jadeici.
3. Élaine Audet, Prostitution, perspectives féministes, Montréal, éditions Sisyphe, 2005. Voir, chapitre 2, Les maîtres du jeu.
4. Richard Poulin, La mondialisation des industries du sexe, prostitution, pornographie, traite des femmes et des enfants, Ottawa, L’Interligne, 2004 et lire ce témoignage.
5. Consulter son site très riche en informations dont un rapport du Département d’État américain sur les activités internationales du crime organisé en rapport avec la traite des femmes et des enfants à des fins de prostitution.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 janvier 2006.

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Élaine Audet et Micheline Carrier



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