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dimanche 17 juin 2012 Prostitution - Affirmer le droit des femmes de vivre sans prostitution Un avis du Conseil du statut de la femme
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La députée bloquiste Maria Mourani (Ahuntsic) a exprimé récemment une vérité que presque tout le monde connaît, mais que presque personne n’ose dire. « Le Grand prix de Formule 1 est l’Eldorado des proxénètes, des touristes sexuels et de toute l’industrie de l’exploitation sexuelle, a-t-elle écrit sur sa page Facebook. Cela nous rapporte moins que cela nous en coûte socialement, économiquement et humainement. » La députée aurait dû se taire à cause de son "devoir de réserve", selon le chef du Bloc québécois, Daniel Paillé. Trop de gens, qui détiennent pourtant le pouvoir de parler et d’agir, se prétendent contraints au silence par un "devoir de réserve" imaginaire et bien commode. Une attitude complaisante à l’égard du pouvoir de l’argent rend difficile la lutte au crime organisé qui contrôle une grande partie de la prostitution et de la traite des femmes et des mineur-es. Dénoncer la marchandisation du sexe et le système prostitueur, c’est nuire aux intérêts financiers d’événements populaires autour desquels gravitent les prostitueurs, qui sont aussi des électeurs. C’est nuire au dieu profit en protégeant les proxénètes qu’on a tendance de plus en plus à considérer comme faisant partie de l’économie. Donc comme des intouchables. Le Conseil du statut de la femme (CSF) vient de publier un avis sur la prostitution qui, fort heureusement, ne s’incline pas devant la banalisation et le relativisme ambiants. Il assume ainsi pleinement son rôle d’aviseur du gouvernement du Québec sur les questions relatives à la condition des femmes. Si, dans l’avis qu’il publiait en 2002, le CSF proposait une réflexion inachevée au point de ne pouvoir répondre à la question qu’elle posait (La prostitution : profession ou exploitation ?) (1), l’organisme se montre plus affirmatif dans le récent avis, La prostitution : il est temps d’agir. « La prostitution prend racine dans des traditions patriarcales... », écrit le CSF, elle « n’est pas une fatalité ni une réponse adéquate aux pulsions sexuelles des hommes », et « vouloir baisser les bras devant la prostitution, sous prétexte de réalisme, n’est pas une position défendable sur le plan humain. » Le CSF adopte une position abolitionniste non ambiguë, qui s’appuie sur un contexte historique, sur les aspects juridiques, sociaux et économiques de la prostitution et de la traite dans plusieurs pays du monde ainsi que sur nombre de recherches et de témoignages. Il préconise, comme plusieurs féministes le font depuis quelques années, que le gouvernement du Canada imite le gouvernement de la Suède, en décriminalisant les personnes prostituées et en pénalisant l’achat de "services sexuels". Je salue la cohérence et la détermination du CSF qui expose, en plus de 150 pages, des vérités sur le système prostitueur et ses victimes, que certains milieux préfèrent taire. Cet avis, dont la recherche et la rédaction ont été confiées à une chercheuse d’expérience, Yolande Geadah (2), a bénéficié d’études abondantes, diversifiées et rigoureuses publiées au cours de la dernière décennie, et de la prise de parole de "survivantes". L’analyse confirme ce que nombre de féministes soutiennent depuis 30 ans : la prostitution, et sa soeur jumelle, la pornographie, sont en soi de la violence ainsi que des obstacles majeurs à l’égalité et à la liberté des femmes. L’égalité hommes-femmes dont le Québec se targue d’être un modèle. Faits, mythes et analyse Le CSF n’esquive pas le fait que l’opinion publique et les féministes soient divisées, et que les débats soient passionnés et polarisés à l’extrême sur le sujet. Mais l’esclavage existerait encore aujourd’hui si l’on avait attendu pour agir que tout le monde soit en faveur de son abolition. Le plus urgent est d’abord de décriminaliser les personnes prostituées, ce sur quoi à peu près tout le monde s’entend, car ces personnes sont davantage victimes qu’artisanes de leur situation. Dans la pure tradition féministe, le CSF oppose les aspects sociaux collectifs (les conséquences de la banalisation de la prostitution sur la vie des femmes et des jeunes, sur les rapports hommes-femmes, sur la société entière), soutenus par les féministes abolitionnistes, à l’argument individualiste et libéraliste des réformistes (féministes ou non). Pour les réformistes, des changements majeurs dans les lois, voire l’élimination des lois sur la prostitution, réduirait "les méfaits" et améliorerait la sécurité des femmes prostituées. La prostitution est un méfait en soi, il ne suffit donc pas seulement de réduire ce méfait, une société doit se donner les moyens de l’éliminer. Même si cela doit prendre des siècles tout en espérant que ce ne soit pas le cas. Le CSF fait un sort au mythe du « plus vieux métier du monde » qui traîne encore dans la majorité des articles des journaux. Plusieurs journalistes auraient besoin de mettre à jour leur connaissance du dossier... L’avis du CSF accorde une place importante à la situation concrète des femmes prostituées, et il donne la parole à plusieurs de celles qui s’en sont sorties. Je souhaiterais - mais je m’illusionne - que les prostitueurs et ceux/celles qui voient dans la prostitution un "divertissement" comme un autre lisent ces témoignages, notamment « le cas de Marie » (p.40). Si les propos de ces femmes ne les touchaient pas, c’est qu’ils/elles auraient une pierre à la place du cœur. Quant à l’argument du "libre choix" de la prostitution, il y a longtemps qu’il ne tient plus la route. Non seulement grâce à ce que nous ont appris les femmes qui ont fait l’expérience de la prostitution, mais aussi à cause des recherches nombreuses qui indiquent que l’âge moyen d’entrée dans la prostitution se situe à environ 14 ans. Les demandeurs (prostitueurs) à l’origine de la prostitution – on l’oublie trop souvent - exigent des corps de plus en plus jeunes, conformes aux critères définis par la pornographie, ce qui tend à réduire l’âge moyen auquel le système proxénète met le grappin sur les jeunes filles. Certain-es parlent aujourd’hui de 12 ans. Ces faits sont largement connus - tout comme les agressions physiques, les problèmes de santé et les dangers multiples que rencontrent les femmes prostituées. Pourtant, des gens de mauvaise foi continuent d’affirmer qu’elles sont libres de choisir (des enfants de 12 ou 14 ans, parfois fugueuses, victimes de violence dans la famille, sous l’emprise de garçons plus âgés ou d’adultes, libres de se prostituer, vraiment ?) et que les lois contre le proxénétisme et la prostitution entravent la liberté individuelle. Si on éliminait ces lois, le sort de ces « travailleuses » en serait amélioré, prétend-on. Comme si l’abolition des lois sur le viol ou la violence conjugale pouvait améliorer le sort des victimes. Le CSF aborde les liens entre la prostitution et la traite locale et internationale à des fins sexuelles. Il mentionne des cas de traite au Québec et au Canada, et note que l’accès à des "services sexuels" est d’une facilité déconcertante dans un contexte de banalisation de l’exploitation sexuelle. En exposant l’état du droit canadien en matière de prostitution et de traite, le CSF fait une analyse critique du récent jugement Bedford (Cour supérieure de l’Ontario) qui invalide les lois sur la prostitution, ainsi que d’autres contestations des lois, dont le jugement sur la danse contact qui a eu des effets désastreux sur la vie des danseuses de bars. Il explique également les modèles de réforme d’autres pays, dont l’Australie et la Suède, les causes de leurs échecs et de leurs réussites. Le document fait état d’initiatives intéressantes et, semble-t-il, efficaces pour aider les personnes prostituées et sensibiliser différents milieux, dont les intervenants sociaux et policiers, aux méfaits de la prostitution. On connaît, par exemple, le travail de la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES) à Montréal et celui de la Maison de Marthe dirigée par Rose Dufour à Québec. Le Service de police de la Ville de Montréal, section ouest, a mis aussi sur pied en 2009 le projet Les Survivantes qui rassemble une équipe de six enquêteurs dont l’objectif est d’épingler les proxénètes au lieu de s’en prendre aux femmes et aux filles prostituées. En Montérégie, depuis septembre 2008, le projet Mobilis a réuni dans un même objectif les intervenant-es de tous les secteurs pour « contrer l’exploitation sexuelle des jeunes filles et des jeunes femmes par les gangs de rue. » « Rendre la prostitution socialement inacceptable » Enfin, le CSF recommande de criminaliser l’achat des « services sexuels », comme la Suède l’a fait après des années de sensibilisation de la population. Une telle décision devrait s’accompagner d’un ensemble de mesures sociales, économiques et de services de santé appropriés pour aider les personnes prostituées à ré-orienter leur vie. Au Canada, les lois criminelles sont adoptées et modifiées par le gouvernement fédéral, mais rien n’empêche le ministre de la Justice du Québec de faire des représentations auprès d’Ottawa dans le sens des recommandations du CSF. Le CSF adresse une demande spécifique à la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine : « Que la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine mette en oeuvre la mesure 86 de son plan d’action pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2011-2015 : "Sensibiliser la population pour prévenir l’exploitation sexuelle et venir en aide aux femmes qui veulent quitter le milieu de la prostitution". Pour ce faire, qu’une enveloppe financière suffisante soit dégagée. » Le CSF voudrait que l’État soutienne des services d’hébergement destinés spécifiquement aux femmes prostituées ainsi que des initiatives comme Les Survivantes et le projet Mobilis, afin d’aider les femmes à quitter la prostitution et les adolescentes à échapper aux gangs de rue. Il faudrait un changement de paradigme - « affirmer le droit des femmes de vivre sans prostitution » - et rendre, par des campagnes d’information, la prostitution « socialement inacceptable », dit le CSF. Pour que cela advienne, je pense qu’il faudra d’abord de fortes pressions de la population en général et des féministes en particulier, comme ce fut le cas en Suède avant que le gouvernement n’adopte un ensemble de lois sous le vocable de la « Paix des femmes ». Celles et ceux qui voudraient que l’on donne carte blanche au proxénètes et aux prostitueurs ne liront probablement pas l’avis du CSF (ni cet article) : leur idée est déjà faite. Mais les autres, les gens qui doutent, qui s’interrogent, qui se sentent interpellés par ce problème social, qui sont sensibles à la prostitutionnalisation galopante de la société, trouveront dans cet avis un état de faits éclairant, des réponses à de nombreuses questions et, peut-être, une incitation à participer au débat public. Je souhaite ardemment voir les féministes québécoises imiter les féministes françaises dans leur lutte contre le système prostitutionnel. Le 8 mars dernier, 44 associations féministes et groupes communautaires mixtes (3) sont descendus ensemble dans les rues de Paris pour dénoncer ce système d’exploitation comme une violence extrême faite aux femmes. 44 groupes, des centaines de femmes et d’hommes ont réclamé que l’État français adopte des lois pour abolir la prostitution. Il est permis de rêver. Il y a toutes sortes de "printemps", à notre époque… Pourquoi n’y aurait-il pas un "printemps féministe abolitionniste" ? La prostitution : il est temps d’agir, Conseil du statut de la femme, Gouvernement du Québec, 31 mai 2012.
1. La prostitution : Profession ou exploitation ? Une réflexion à poursuivre, 2002, à télécharger en format PDF. Je vous recommande : – De lire et de faire lire l’avis La prostitution : il est temps d’agir. À télécharger ici en format PDF. – De visionner et de faire voir l’excellente vidéo de l’entrevue de La Gazette des femmes avec la présidente du Conseil du statut de la femme, Julie Miville-Dechêne, sur l’avis La prostitution : il est temps d’agir. Lien. Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 juin 2012 |