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mardi 3 mai 2005 Sous-comité parlementaire sur le racolage Le Canada s’apprête-t-il à libéraliser la prostitution ?
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Depuis le 9 décembre 2004, au Canada, un sous-comité parlementaire tient des audiences pour examiner les lois sur le racolage. Il a pour but de proposer une réforme des lois actuelles sur la prostitution, qui mettraient la vie des femmes prostituées à risque, sans donner satisfaction aux résidant-es dont les quartiers sont envahis par le commerce à ciel ouvert d’êtres humains et de drogues. Mais qui a entendu parler de ces réunions ? Pourquoi les médias ne sont-ils pas tenus au courant régulièrement des témoignages instructifs qui y sont donnés et qui concernent un sujet d’intérêt public ?
"Nos participants ont l’impression d’être mal informés sur la façon dont vous allez, en tant que membres d’un sous-comité de la justice, examiner la situation et prendre des décisions, dit Lea Greenwood, coordonnatrice de Sexual Exploitation Education and Awareness Campaign of Toronto, lors de l’audience du 15 mars dans cette ville. C’est par hasard que nous avons appris, par un article du Globe and Mail, que vous veniez à Toronto, et nous nous demandons comment vous informez le public du travail que vous faites dans les villes que vous visitez. De quelle manière tenez-vous les collectivités au courant de votre travail, comment faites-vous pour obtenir ces informations ?" Pour qui lit régulièrement les compte-rendus des séances du sous-comité (1), depuis sa première mouture en 2003 jusqu’à ce jour, il est évident que cette façon d’opérer en catimini ne peut être un hasard. Le ministère de la Justice n’a peut-être pas intérêt à déclencher un vaste débat public sur un sujet aussi controversé. Peut-être préfère-t-il pouvoir, en fin de parcours, proclamer les conclusions du sous-comité en ne fournissant que les noms des universitaires prestigieux-ses entendu-es et le nombre de femmes prostituées qui sont venues y témoigner. Pour qui n’aurait pas suivi le cheminement du sous-comité depuis le début, il serait alors difficile de contester ces conclusions. Une députée néo-démocrate responsable de la mise sur pied du sous-comité C’est la députée néo-démocrate de Vancouver-Est, Libby Davies, qui a demandé en 2003 au ministre de la Justice, Irwin Cotler, de mettre sur pied ce sous-comité. Dans sa lettre au ministre Cotler, Libby Davies souhaitait que le gouvernement fédéral décrète un moratoire sur l’application des dispositions du Code criminel relatives à la communication et à la sollicitation aux fins de prostitution. Selon elle, en forçant les femmes prostituées à prendre des risques pour échapper à la surveillance policière, ces lois auraient favorisé l’assassinat et la disparition d’une cinquantaine de femmes prostituées à Vancouver. La députée néo-démocrate affirme que la mise au ban des femmes prostituées par la société en fait des cibles de choix pour les prédateurs sexuels qui profitent de ce que personne ne se soucie de leur sort et de leurs droits. La députée libérale Hedy Fry soutient constamment les propos de Libby Davies et reconnaît même, parfois, que celle-ci lui enlève les mots de la bouche. Quant à Paule Brunelle du Bloc québécois, elle se contente de délayer les questions des deux autres sur une soi-disant incontournable décriminalisation. Toutes leurs questions tendent à prouver que seule la décriminalisation totale et la reconnaissance de la prostitution comme un travail légitime pourraient améliorer le sort des personnes prostituées. Des femmes qui ont une vision masculine de la prostitution Les trois femmes membres du sous-comité, qui sont majoritaires, ne semblent jamais se préoccuper du fait qu’il s’agit concrètement de mettre à la disposition des hommes un "marché" de femmes de plus en plus vaste et renouvelable. Elles ne s’interrogent jamais sur la légitimité d’une telle exigence masculine ni sur les finalités et les retombées pour l’ensemble des femmes de notre pays. En tant que femmes, elles ferment les yeux sur les rapports sexuels de domination, inscrits en lettres majuscules, et souvent de sang, dans le système prostitutionnel, et examinent la possibilité de laisser des hommes - les clients-prostitueurs et les proxénètes - s’approprier légalement les femmes les plus pauvres et les plus vulnérables pour leur propres profits et plaisirs. Qui imaginerait décriminaliser le viol ou la violence conjugale sous prétexte que les lois n’arrivent pas à les éliminer ? Difficile de comprendre cette logique tordue. En février dernier, dans un article faisant l’historique du sous-comité (2), Sisyphe se demandait si ce dernier n’avait pas déjà opté pour la décriminalisation de la prostitution. C’est l’impression que donnent les interventions des députées libérale, néo-démocrate et bloquiste qui en font partie. Elles ne remettent jamais en question l’existence même de la prostitution et, avant même la fin des consultations, ont l’air de tirer les conclusions qu’on pourrait retrouver dans le futur rapport du sous-comité. Quant au député bloquiste d’Hochelaga-Maisonneuve, Réal Ménard, auteur en 2002 d’un projet mort-né de légalisation de la prostitution, il n’est pas membre du sous-comité sur le racolage, ce qui ne l’empêche pas de se servir occasionnellement de ses privilèges parlementaires pour accroître au sein de ce sous-comité la représentation bloquiste et le nombre de membres favorables à la décriminalisation totale de la prostitution. Force est de constater que c’est un homme, Art Hanger, député conservateur et ex-policier, qui s’oppose seul et fermement à la décriminalisation et à la légalisation de la prostitution. Absence remarquée des groupes de femmes Il est également décevant de constater que, parmi les groupes féministes québécois, seuls les Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) et La Marche mondiale des femmes ont présenté leur position devant le sous-comité. Rien de la part de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) et du Conseil du statut de la femme (CSF), par exemple, qui ont pourtant présenté, ces dernières années, des rapports importants sur la question. Rien non plus de l’R des centres de femmes, de l’AFEAS, des comités de condition féminine des syndicats ni des groupes politiques, comme Option citoyenne ou l’Union des forces progressistes. N’ont-ils pas été informés et invités par le sous-comité ? Comment expliquer cette abstention dans une démarche d’une telle importance pour l’ensemble de la société, en particulier pour les femmes ? Il en va autrement des groupes en faveur de la libéralisation de la prostitution qui ont témoigné en grand nombre, d’un bout à l’autre du Canada, et réclamé du sous-comité qu’il laisse les "travailleuses du sexe" décider elles-mêmes de ce qui leur convient, comme s’il existait une seul groupe dans la société qui fixe lui-même les règles de ses pratiques. Le sous-comité semble sensible à de tels arguments. Lors de ses audiences à Montréal, il s’est d’ailleurs rendu au local du groupe de défense des travailleurs et des travailleuses du sexe, Stella, pour y recueillir des témoignages. Pourquoi ce groupe qui réclame la reconnaissance de la prostitution comme travail ne peut-il, comme les autres, témoigner publiquement ? Faut-il voir dans ce choix un traitement d’exception et la volonté de soustraire ces témoignages à l’attention du public, comme on semble avoir voulu le faire à ce jour des travaux du sous-comité ? Comment pourrons-nous savoir si le sous-comité a rencontré des personnes prostituées autres que celles qui demandent la décrimination totale de la prostitution lesquelles, en fait, ne représentent qu’une minorité de "travailleuses du sexe" ? Loin d’être mort sous l’action des féministes, comme le proclament régulièrement les médias, le patriarcat revient aujourd’hui en force et réclame le droit irréductible des pères sur les enfants ainsi que celui de tous les hommes d’acheter légalement des femmes, réduites au rang de marchandises comme les autres. Que des hommes cherchent à protéger leurs privilèges, il n’y a là rien d’étonnant. Mais que les membres féminins du sous-comité ainsi que la majorité des groupes de femmes ne s’interrogent pas sur ce processus de normalisation de la domination sexuelle me semble incompréhensible, triste et révoltant. La vigilance est de mise Lors du récent congrès du parti libéral du Canada, le chef libéral et premier ministre canadien, Paul Martin, a carrément repoussé la motion des jeunes libéraux en faveur de la décriminalisation totale de la prostitution, ce qui a conduit à la défaite de cette motion. Mais le ministre de la Justice, Irwin Cotler, a tenu à préciser qu’un sous-comité étudiait la question et déposerait bientôt des propositions à la Chambre des communes. Comme on l’a vu, le Bloc québécois et le Nouveau parti démocratique favorisent un projet de décriminalisation et/ou de légalisation de la prostitution, pendant que le Parti conservateur défend le statu quo. Aux dernières nouvelles, le sous-comité s’est vu refuser les fonds qui devaient lui permettre de se rendre en Angleterre, aux Pays-Bas, en Suède et au Névada (EU) afin d’étudier comment on applique les lois sur la prostitution dans ces différents pays. Le sous-comité devrait remettre un rapport au gouvernement en juin. Qu’adviendra-t-il de ce rapport si une élection est déclenchée dans les prochaines semaines ? Les citoyen-nes qui souhaitent faire savoir à leur député-e* leur opposition à la décriminalisation totale ou à la légalisation de la prostitution pourrait profiter de l’occasion pour exiger d’elle ou de lui un engagement ferme en ce sens au cours de la période électorale. Il serait important d’informer l’opinion publique, par tous les moyens à notre disposition, des enjeux déterminants pour les femmes, les enfants et la société en général d’une éventuelle décriminalisation ou légalisation de la prostitution. * Pour trouver les coordonnées de votre député-e, voir Liste des membres de la Chambre des communes. Notes
Mis en ligne sur Sisyphe, le 11 avril 2005. |