|
lundi 6 décembre 2004 Essai d’explication de la violence masculine à l’égard des femmes
|
DANS LA MEME RUBRIQUE Nos gouvernements doivent reconnaître les féminicides À propos de l’impunité des artistes criminels, réflexions autour du cas de Roman Polanski en France Quand les « besoins » sexuels des hommes, même très dangereux, sont plus importants que la dignité et la sécurité des femmes. La Coalition féministe contre la violence envers les femmes (CFVF) rencontre l’ONU Des hommes appuient #Etmaintenant "Vous venez d’insulter une femme, votre bite va se désintégrer dans les trois jours" #EtMaintenant, un geste de solidarité avec toutes les femmes harcelées ou agressées Violences contre les femmes - Refuser la connivence et la léthargie masculines Une culture d’agression #NOUSTOUTES - Fait-on confiance aux femmes ? Colloque "Patriarcat : prostitution, pédocriminalité et intégrismes" La culture du viol est dévastatrice pour notre société et l’avenir de nos enfants "Le sous-financement des maisons d’hébergement pour femmes : facteur aggravant de la marginalisation des femmes immigrantes au Québec", une étude de l’IRIS La prostitution et la culture du viol sont indissociables Le courage des femmes brisées À Justin Trudeau - Pourriez-vous "bousculer les tabous" au Canada aussi ? La solidarité avec les victimes d’agressions sexuelles est incompatible avec l’ambiguïté Agressions sexuelles - Le consentement pour les Nuls Violence sexuelle dans les universités : une culture à changer URGENCE ! Les femmes et les filles victimes de violences sexuelles attendent toujours Ghomeshi - Pourquoi retournent-elles auprès des agresseurs ? Lettre à Jean - Nous, #OnVousCroit Des musiciens super ne sont pas nécessairement des gens super Agressions sexuelles - Invitation aux ministres qui souhaitent que les femmes dénoncent Pour mes petites soeurs de Val-d’Or Nous joignons notre voix à celle des femmes autochtones réclamant justice Peut-on battre une femme en réunion impunément dans la République française ? Colloque "Les émotions au coeur de nos interventions" En première à Montréal : "Aftermath" d’Andrea Dworkin Les agressions sexuelles... brisent des vies Ni silence ni pardon : l’inceste, un viol institué - Interview de Melusine Vertelune Nouvelle loi sur le viol en Californie : silence n’est pas consentement Viol - La campagne "Stop au déni" Le manifeste des mères survivantes Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes : Message de Phumzile Mlambo-Ngcuka, Directrice exécutive d’ONU Femmes Culture du viol dans la danse - Le Sacre du printemps "Les crimes d’honneur : de l’indignation à l’action" - Pour la sécurité des femmes avant tout L’affaire Guy Turcotte, un cas qui n’est pas unique Les violences sexuelles sont un problème de société et de santé publique Viol - Dans un party près de chez vous Le viol de Steubenville - C’est de la masculinité qu’il s’agit "One Billion Rising" - Danser contre la violence (masculine) ou riposter ? Le mouvement masculiniste - dit "des droits des hommes" - ment à propos des femmes Viol en Inde - La prostitution, gage de non-violence envers les femmes ? Le viol a une fonction France : Un mois, quatre familicides « Et les hommes, eux ? » Propos sur la masculinité et les tueries de masse Drame de Newtown - Pourquoi refusons-nous de parler de la violence et de la masculinité en Amérique ? Les meurtres de Newtown - Dire l’indicible De la misogynie au meurtre : une perspective féministe sur la fusillade du Connecticut Nous n’avons plus les moyens du patriarcat et de sa violence Violence - L’AFEAS lance sa campagne Opération Tendre la main (OTM) La nuit et le danger (1979) La rue la nuit, femmes sans peur Le Southern Poverty Law Center désigne les masculinistes comme organisations haineuses Un sauf-conduit pour violer Affaire Shafia - Pour que la mort de Rona, Zainab, Sahar et Geeti ne soit pas vaine Affaire Shafia - La conspiration du silence Un guide pour soutenir l’aide professionnelle aux victimes de harcèlement sexuel au travail Daniel Welzer-Lang et le masculinisme à Nancy La violence contre les femmes : une pandémie mondiale Mon action féministe : resituer le sexe dans le harcèlement sexuel et le viol Journée internationale pour l’élimination de la violence contre les femmes et Polytechnique 1989 Violence conjugale - « Comment aider Marie ? » Take Back our Walk - Ne laissons pas les industriels saloper notre lutte "Slutwalk" - Au sujet des défilés de féministes-en-sous-vêtements L’ "homme debout" (Nelly Arcan) - Inceste, honte et mépris Pourquoi nous n’avons pas participé à la "Slutwalk" (marche des salopes) strasbourgeoise du 1er octobre 2011 Lettre ouverte des Black Women’s Blueprint aux organisatrices de la "slutwalk" (marche des "salopes") Victime d’un pédophile - Je ne peux pas vivre avec ce que mon bourreau m’a fait Verdict odieux pour viol et prostitution d’une adolescente de 14 ans à Carpentras Verdict au procès de Guy Turcotte - Le risque réel de la normalisation de la violence au Québec Attentats en Norvège - Le massacre des Innocents Une femme inconsciente ne peut consentir à des relations sexuelles En France, être maire, sénateur, membre d’un parti politique et condamné pour agressions sexuelles, c’est possible ! Cour suprême du Canada - Il n’y a pas consentement à une relation sexuelle lorsqu’une femme est inconsciente "On est des salopes, pas des féministes !" Où ma relation avec la “Slutwalk” passe un mauvais quart d’heure La "marche des salopes" ("slutwalk") n’est pas la libération sexuelle Violence conjugale - Quand la prison devient une solution de rechange Lorsque la prison devient une solution de rechange M. P. acquitté des viols commis contre Anne, son employée Le contrat sexuel - Contrat… ou trahison ? Culpabilisation des victimes d’agression sexuelle et de violence conjugale L’AVFT lance un appel à soutien pour une femme violée par son employeur Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes La rue, la nuit, femmes sans peur ! Le 24 septembre 2010, faites du bruit ! Affaire Polanski - C’est bon, on a compris. Il n’y a rien de mal à abuser d’une fillette, pourvu qu’on soit un réalisateur célèbre La mort tragique d’Aqsa Parvez - La face meurtrière de l’extrémisme islamique L’AFEAS s’oppose à l’affaiblissement de la Loi sur le Registre des armes à feu Le pape Benoît XVI a imposé le silence sur les crimes sexuels de prêtres et d’évêques La Loi de la Nation, la première violence contre les femmes FNAC - Violence machiste sous le sapin Victime d’inceste et de la théorie du syndrome des faux souvenirs Il y a 48 000 viols de femmes par an en France ! Les femmes victimes des conflits armés Loubna Al Hussein, condamnée au Soudan pour port de pantalon Affaire Polanski - Ne laissons pas banaliser le viol d’enfants L’affaire du violeur Polanski - Refuser d’oublier Femmes en danger Le "dépit amoureux" selon Frédéric Mitterrand Nous soutenons Ségolène Royal, présidente de la région Poitou-Charentes Tueries de masse au masculin, victimes au féminin Au machisme bien-pensant, les Chiennes de garde montrent les dents ! Moi j’s’cap ! Réponse de la rappeuse au rappeur (Orelsan) La photo de Cathy Gauthier - Voir la femme qui souffre Les proches invité-es à dénoncer les cas de violence conjugale Si ça tue, c’est surtout pas de l’amour De nombreuses ressources pour les hommes au Québec et au Canada Pourquoi des organisations nient-elles la responsabilité de l’islam dans les violences faites aux femmes ? Taux de pauvreté et femmes autochtones assassinées - L’ONU demande au Canada de soumettre un rapport France - La violence conjugale tue : 166 femmes au moins en 2007 Témoignage - Moi, la femme de personne La violence faite aux femmes... C’EST ASSEZ ! Une minute de silence de trop ! Plutôt crier que faire silence ! Les femmes, la paix et la sécurité Des violeurs dans les rangs de l’armée Violence - Rassemblement suivi d’une marche de nuit non mixte à Paris Réplique du Dr Michel Dubec aux critiques de son livre Le Plaisir de tuer Une critique des pages sur le viol du livre "Le Plaisir de tuer" Agressions sexuelles - L’importance d’apprendre aux filles à se défendre Le Dr Michel Dubec impose la censure d’une critique de son livre "Le Plaisir de tuer" Crimes d’honneur : une affaire de famille Lettre de protestation contre les propos et l’attitude d’un chanteur Déclaration de la Marche Mondiale des Femmes pour la Journée internationale contre les violences faites aux femmes Tuerie de Virginia Tech - La célébrité au bout du fusil Hommes, porno et prostitution - Dossier Il faut criminaliser la propagande haineuse contre les femmes Le refus de réglementer les jeux vidéos et ses conséquences Jeux vidéo - Qui va faire feu le premier ? Étude de l’Institut de la statistique du Québec sur la violence conjugale : le directeur répond aux critiques La proposition de « loi-cadre contre les violences faites aux femmes » du CNDF (Collectif national pour les droits des femmes) est inacceptable La violence serait-elle devenue un jeu de société ? La violence domestique comme torture - Une guerre de basse intensité contre les femmes ? (1er de 3 articles) La violence serait-elle devenue un jeu de société ? Tuerie de Virginia Tech - La célébrité au bout du fusil Crime et pacifisme Le groupe Amnistie Internationale UQAM souligne la semaine internationale des femmes Le Regroupement des CALACS refuse la décision du Barreau dans le dossier de Me Bureau LE VIOL ou La vengeance au bout du phallus !... Injustice pour une femme violée Maya et le viol sacré Agressée sexuellement, trouve-t-on de l’aide ? Quand le droit des femmes de dire NON sera-t-il inviolable ? Pourquoi tous contre une ? Viol collectif ou profilage racial ? "Écorchées", un roman déchirant sur les femmes en prison Les effets psychodynamiques de la violence (2e de 3 articles) Grandir dans la proximité de la violence : des adolescent-es racontent la violence familiale Logiques sociales de la violence domestique et de la torture (dernier de 3 articles) Si Amnesty international savait parler aux hommes Propos méprisants et haineux envers des femmes au bar "Chez son père", à Québec La Fondation Scelles s’inscrit désormais dans une dimension européenne Refuges pour femmes violentées 2003-2004 Anniversaire de Columbine : quelles leçons en a-t-on tirées ? L’AVFT en campagne contre la loi sur le délit de dénonciation calomnieuse Viol-Secours : un quart de siècle au service des femmes Violences conjugales : le chiffres en Europe Pourquoi on a défiguré le mot "victime" Affaire Cloutier : les préjugés qui restent Sida, la dernière violence faite aux femmes Contre la violence, Opération Tendre la main Violence sexuelle et conjugalité La Journée internationale d’action contre la violence faite aux femmes Vagins bulldozés Violences - Les femmes pour cibles Violences mâles Les politiques du ministère de l’Education nationale en France concernant les violences sexuelles et sexistes - 1995-2003 Les mots du viol Un tribunal reconnaît aux femmes le droit à s’organiser entre elles Il n’est pas suffisant pour nous, en tant qu’hommes, de ne pas être violents Non à toutes les violences contre les femmes - ONU et AI Le machisme tue tous les jours L’homicide conjugal au féminin, le droit au masculin Une fillette de 12 ans jugée responsable de son viol les meurtriers Viol d’enfant : des tribunaux sous influence Lettre ouverte aux député-es de l’Assemblée nationale du Québec Conjoints agresseurs et stratégie masculiniste de victimisation Face aux conjoints agresseurs… La danse avec l’ours Limites et risques de l’intervention psychologisante auprès des batteurs de femmes Conjoints agresseurs et victimisation- témoignages |
Les 7 et 8 octobre 1999, le Conseil de l’Europe a organisé un séminaire sur le thème : « Les hommes et la violence à l’égard des femmes ». Les Actes de ce séminaire, publiés en avril 2000, constituent un dossier important dont Sisyphe vous propose aujourd’hui l’un des textes. Cet article fait une revue critique des théories qui ont tenté d’expliquer la violence masculine à l’égard des femmes. Elles notent que la plupart désignent les femmes (les mères, mais pas exclusivement) comme responsables de la violence masculine. Les chercheuses concluent : « Nous affirmons personnellement que le fait de répartir les responsabilités en fonction du sexe, conformément au schéma traditionnel, est en soi porteur d’une violence extrême ».
Je propose, dans le présent document, une vision partielle de l’analyse secondaire et complémentaire que j’ai effectuée avec Angela Minssen[1]. Notre collaboration - Angela Minssen étant psychanalyste et moi-même sociologue - nous a conduites à étudier un nombre important de documents et d’essais, très différents les uns des autres étant donné nos spécialités respectives ; mais, de manière assez surprenante, nous sommes parvenues à des thèses plus proches que prévu pour expliquer l’inclination masculine à la violence à l’égard des femmes. 1. Continuité et changement En étudiant la violence des hommes à l’égard de femmes qu’ils connaissent (Hearn, 1998), tel que ce phénomène se présente aujourd’hui, nous constatons une double réalité : si, d’une part, les changements sont spectaculaires sur le plan politique (et cette conférence en est une illustration très notable), nous constatons aussi, d’autre part, une très lourde continuité en ce qui concerne l’orientation générale des thèses élaborées sur le sujet. Les grandes avancées effectuées en termes d’élimination des tabous, dans le débat public sur la tendance des hommes à commettre des actes violents à l’égard des femmes, et à divers niveaux politiques, se heurtent à des schémas d’argumentation inchangés au sujet des causes du phénomène - et nous en sommes plutôt choquées. Sur le sujet de cette « inclination masculine », théorie et pratique semblent totalement s’éloigner l’une de l’autre et suivre chacune une évolution autonome. À l’heure actuelle, les points de vue théorique et pratique ne se rejoignent que sur quelques éléments - cette relation pouvant être très négative dans certains cas, comme je m’efforcerai de le démontrer à la fin de cette étude. Lors de l’analyse de la littérature concernée, nous avons d’abord été surprises, puis franchement irritées, de constater à quel point cette violence masculine était totalement considérée comme la responsabilité des mères ou des femmes en général. C’est là un point sur lequel la nouvelle « littérature sur les comportements masculins » et la psychanalyse traditionnelle sont curieusement d’accord. Les thèses psychogénétiques et sociogénétiques avancent l’idée - que nous considérons comme problématique - que l’on peut autoriser les hommes à se présenter comme des victimes plutôt que comme des agresseurs. Il s’agit, sur le plan social, de faire des hommes des prisonniers de leur « rôle masculin » ; et, en termes de psychologie individuelle, ils apparaîtront comme les victimes de mères d’un autre âge mais en tout cas dominatrices. D’après cette thèse de « victimisation » développée sur le plan sociologique, le « rôle de l’homme » est en train de changer du fait de la modernisation progressive de nos sociétés. La fonction masculine traditionnelle est aujourd’hui dépassée, sans que rien d’aussi fort ou rassurant ne vienne s’y substituer. Une partie de la littérature existant dans ce domaine désigne explicitement ou implicitement un « coupable » - à savoir l’émancipation des femmes, qui a provoqué ces nouvelles incertitudes masculines. Du fait que la femme a abandonné la position qu’on lui avait traditionnellement assignée, l’homme a perdu ses repères. Dès lors, la violence masculine apparaît comme une conséquence certes regrettable, mais compréhensible, de cette « crise ». Sur le plan psychologique, le statut de « victime » de l’homme se rattache à une « tradition » déjà plus ancienne. Le jeune garçon ou le jeune homme lié à sa mère dans un état de « symbiose » n’a qu’un moyen d’échapper à cet « étouffement » : c’est de se dissocier de tout ce qui fait le « féminin » ; et la manière la plus constante et la plus sûre d’y parvenir est de dévaloriser la femme. Dans ce contexte, la misogynie en tant que condition préalable à la violence masculine à l’égard des femmes est la résultante obligée de cet amour maternel exclusif que la société exige et conforte tour à tour - comme un élément souhaitable. 2. Le modèle bourgeois des caractéristiques de chaque sexe, et son incidence sur les relations actuelles entre les hommes et les femmes. L’une des idées majeures qui sous-tend la présente étude, sur le plan sociologique, est celle de la privatisation des problèmes sociaux au détriment des femmes. Pour en parler, la théorie féministe a longtemps eu recours à la notion de division du travail « selon des critères de sexe » ou « selon une hiérarchie liée aux deux sexes ». Comme l’ont montré Karin Hausen et d’autres auteurs, à la séparation entre travaux ménagers d’une part, et vie active de l’homme, d’autre part - principe qui s’est affirmé au cours du XIXe siècle - correspondait, sur le plan socioculturel, une polarisation culturelle et affective des « caractéristiques de chaque sexe » séparant les « qualités, capacités et traits aussi bien émotionnels que psychosexuels de chacun d’entre eux » (Hausen, 1978), sur la base de la complémentarité. Cette vision bourgeoise fait des hommes et des femmes deux pôles totalement opposés, n’ayant quasiment rien de commun. Ils diffèrent non seulement sur le plan des travaux qu’ils peuvent accomplir, mais aussi dans la substance même - intellectuelle, affective et autre - de leur « être profond ». Nul n’est censé être à la fois masculin et féminin. Le modèle bourgeois fondamental des relations entre les deux sexes est celui de la rencontre de deux êtres « incomplets », ne pouvant atteindre la « complétude » que grâce à son « contraire ». La dépendance réciproque inhérente à ce modèle débouche de facto sur la domination masculine (2). Si l’on choisit l’analyse psychogénétique, ce modèle n’autorise à chacun qu’une identification avec son propre sexe. Les filles ne peuvent s’identifier à leur père - ni les garçons à leur mère. De même qu’une approche sociogénétique n’envisage en aucun cas des êtres dotés de traits de caractères à la fois masculins et féminins, le point de vue psychogénétique fait apparaître toute ambivalence de ce type comme dérangeante et comme une situation à éviter à tout prix. Cette attitude entraîne la recherche d’une position de contrôle très forte vis-à-vis du milieu ambiant et des exigences ou des incertitudes pouvant y être liées. En ce qui concerne la « masculinité », ce modèle traditionnel associe toute perte du caractère viril à une régression psychologique vers ce que nous appelions plus haut la « symbiose » avec la mère. Cela revient à une peur de perdre son attribution sexuelle. De la même manière, dans le cadre d’une étude plutôt sociogénétique, l’homme craint qu’en ne « contrôlant » pas la femme, il ne perde son statut social. Dans le cadre de l’approche traditionnelle des deux sexes, la règle générale est d’exiger de l’homme qu’il se dissocie de la femme - laquelle se définit comme son « opposé » - et qu’il maîtrise en permanence ce « cloisonnement » fondé sur des catégorisations bien précises. Du fait que, dans la réalité, elle ne cadre pas avec ce schéma, la femme constitue pour l’homme une menace permanente et fait naître en lui des peurs contre lesquelles il doit constamment lutter. En somme, ce type d’attitude vis-à-vis de la femme se caractérise par une peur latente, qui place l’homme - dans son propre regard - en position d’infériorité. Et, dans une large mesure - sinon totalement - cette position psychologique vient contredire l’image sociale du pouvoir masculin. 3. L’ambivalence des sexes et la perte de contrôle, chez les hommes Dans nos sociétés modernes, l’homme fait de plus en plus l’expérience de l’ambivalence (cf. notamment la notion de « vertige sexué », définie par Connell en 1995, et les premiers signes empiriques de cette situation notés, chez les hommes allemands, par Metz-Goeckel et Mueller, en 1986). Toutefois, l’homme est, en l’occurrence, relativement retardataire par rapport à la femme, qui a commencé, dès la fin du XIXe siècle, à s’exprimer sur ce qui lui apparaissait comme un fossé entre la norme sociale et les exigences réelles de la personne, et a continué à le faire avec insistance dans le cadre des nouveaux mouvements féministes - à partir des années soixantes. L’homme ressent l’ambivalence d’une façon différente de la femme. Pour lui, ce n’est pas - semble-t-il - un prolongement ou un développement de sa position, mais plutôt une menace. Ce sentiment fait que l’homme est porté à souhaiter le retour à la situation de « jadis » - à une époque où l’homme était bien l’homme, et où la femme savait rester à sa place. Aujourd’hui, l’homme est placé, fondamentalement, devant deux manières possibles de réagir au fait que la femme assume positivement son ambivalence personnelle - qui se traduit par l’acquisition de nouveaux droits ou le renforcement de droits existants, par le bouleversement des structures fondamentales du patriarcat, par le développement de la représentation sociosymbolique du « féminin », par une politisation de l’inégalité entre les sexes dans nos sociétés, etc. La première réaction masculine est de reconnaître - volontiers ou de mauvais gré - que cette situation nouvelle constitue un potentiel, et de s’engager - timidement ou de manière très franche et très enthousiaste - dans une tentative d’exploitation de ce potentiel à son profit. La seconde réaction possible est de se laisser envahir par la sensation du danger et de rejeter ce nouveau potentiel en s’investissant dans un processus destructif de dépréciation de la femme. La majorité des hommes se situent probablement sur une ligne médiane entre ces deux attitudes ; il se peut aussi que la plupart d’entre eux s’accommodent de la perspective d’un processus évolutif. Nous allons tenter de l’illustrer ici (3). La génération des hommes de 35 à 55 ans, qui a réussi sur le plan professionnel, s’est peut-être - à l’origine - félicité de l’émancipation des femmes, en grande partie du fait que ce phénomène les soulageait d’un ensemble de tensions lié à une masculinité « incertaine ». Mais, en raison même de leur réussite sociale et du temps croissant absorbé par l’activité professionnelle, les hommes n’ont pas, parallèlement, fait les progrès psychologiques qui leur auraient permis de prendre conscience des problèmes liés à chacun des sexes et des questions de parité ; bien au contraire, on assiste à un renforcement de la position masculine traditionnelle et à une volonté, chez les hommes, de rejeter l’exigence constante de modification de la masculinité - que ce soit individuellement ou collectivement. Les hommes parvenus à une position de pouvoir semblent ne plus être capables d’accepter l’« ambivalence », et bon nombre d’entre eux ne souhaitent plus coopérer avec les femmes qui revendiquent la parité. L’idée masculine (qui peut prendre des formes diverses), selon laquelle les femmes sont moins à même que les hommes d’assumer une responsabilité publique (héritage de la philosophie politique bourgeoise), cache en réalité une crainte - celle de voir les femmes faire aussi bien sinon mieux que les hommes. D’où la nécessité de dévaloriser les femmes, en les affublant d’un caractère irrationnel. Et l’on rejoint là l’autre facette de ce rejet des femmes pour des postes publics, à savoir la peur de l’homme de perdre sa position dominante (cf. ci-dessus). Et, même si une femme accède à un poste de responsabilité, on entretient l’illusion que sa réussite est due uniquement à l’aide « invisible » d’hommes de pouvoir qui lui auraient transmis un peu de leur « puissance ». Cette attitude permet à l’homme haut placé de garder son emprise sur l’« objet de sa domination » et de préserver l’illusion de cette domination. Lorsqu’il n’est plus possible de maintenir cette fiction en l’état, l’homme tente de « détruire » l’« objet » par une agression en force. En revanche, une autre manière de surmonter ce « danger » de la « femme de pouvoir » serait de renoncer à la domination et de reconnaître enfin la femme dans sa position. Mais beaucoup d’hommes ne peuvent encore se résoudre à cette idée. Ce serait une façon d’agréer à ce que l’écrivain Virginia Woolf a formulé il y a déjà longtemps : la femme ne peut se refléter dans l’homme. Il semble qu’à ce jour, très peu de femmes aient réussi à acquérir cette position privilégiée. Dans le cadre de la présente étude, nous avons été très surprises de voir que la majorité de la littérature très diverse consultée sur le sujet reflétait le modèle que nous avons tenté de décrire ci-dessus, à grands traits. On ne trouve que quelques axes de réflexion qui dépassent ce schéma - dans la psychanalyse, dans la littérature concernant les « nouveaux comportements masculins », dans la critique et le développement de l’analyse féministe, dans la littérature sociologique et éducative au sujet de la masculinité, etc. (4). L’idée qu’il puisse exister des hommes se sentant à l’aise dans leur position masculine et nullement menacés par le « pouvoir féminin » n’est pas encore très répandue (5), comme s’efforcent de le montrer les chapitres suivants (...). (...) D’un point de vue sociologique, les travaux exposés plus haut indiquent qu’il existe un seul axe de culpabilisation : celui qui consiste à attribuer la responsabilité des comportements intimes de l’homme aux femmes en général - et en particulier (mais non pas uniquement) aux mères. Il semble que cette démarche ne retienne pas encore toute l’attention dans le cadre des « messages subliminaux » ; l’un de ces messages consiste à dire que non seulement les garçons ou les hommes sont plus importants (comme l’ont fait observer certains chercheurs féministes tels que Dale Spender et bon nombre d’autres essayistes), mais qu’en outre, les jeunes filles et les femmes sont responsables du comportement des jeunes garçons et des hommes. Cela ressort notamment de certaines études allemandes sur les conceptions professionnelles personnelles d’enseignants masculins et féminins (...). Cela montre bien qu’à la division traditionnelle du travail correspond une répartition inégalitaire des structures affectives et des responsabilités morales. Nous affirmons personnellement que le fait de répartir les responsabilités en fonction du sexe, conformément au schéma traditionnel, est en soi porteur d’une violence extrême. Cela, en effet, crée des inégalités à grande échelle (...). – Pour lire le texte intégral, téléchargez le document en cliquant sur l’icône ci-dessous. Notes 1. Angela Minssen/Ursula Mueller, « Attraktion und Gewalt » (« Attirance et violence. Explication psychogénétique et sociogénétique de la violence des hommes à l’égard des femmes » - disponible prochainement). Source : Le titre original du texte est le suivant : « Essai d’explication sociologique et psychogénétique de la tendance des hommes à utiliser la violence à l’égard des femmes ». AUTRES TEXTES DES ACTES DU SÉMINAIRE – QUESTIONS DE MÉTHODOLOGIE ET D’ÉTHIQUE – LA VIOLENCE DANS LA FORMATION DES IDENTITÉS SEXUÉES MASCULINES – DES PÉRIODES DE TRANSITION DANS LA VIE D’ADULTE ET LA VIOLENCE MASCULINE – LES THÈMES TRANSVERSAUX : LES DÉBATS SUR LES MÉDIAS, LES COÛTS DE LA VIOLENCE, LA MISE EN ŒUVRE DES POLITIQUES >Conclusions du séminaire présentées par la rapporteuse générale Mme Renate KLEIN LE CONSEIL DE L’EUROPE Fondé en 1949, le Conseil de l’Europe est une organisation internationale à vocation européenne, qui regroupe à l’heure actuelle 41 Etats européens qui sont des démocraties parlementaires pluralistes (dont les États membres de l’Union Européenne). Il représente le plus grand forum intergouvernemental et parlementaire du continent Européen. Son siège est au Palais de l’Europe, à Strasbourg (France). – Exercice pratique : appliquer les conclusions des auteures au drame du 6 décembre 1989 à l’École Polytechnique de Montréal. Voir Quinze ans, quatorze femmes et tant d’autres, sur Sisyphe. |