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mardi 25 septembre 2012 La nuit et le danger (1979)
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“La nuit et le danger” a été écrit pour être donné à l’occasion d’un défilé “Take Back the Night” (La rue, la nuit, femmes sans peur). À New Haven, au Connecticut, 2000 femmes ont défilé ensemble. Des prostituées de rue se sont jointes à cette manifestation et des femmes âgées sont sorties sur les balcons de maisons de retraite avec des bougies allumées. À Old Dominion, en Virginie, des Noirs et des Blancs, des hommes et des femmes, des gais et des hétéros, se sont assemblés par centaines dans le premier défilé politique jamais organisé à Old Dominion, un bastion de l’oligarchie conservatrice, comme son nom l’indique. Ces personnes ont défilé sur vingt-cinq kilomètres, comme si elles ne voulaient pas oublier un seul sentier, sous la menace de perdre leur emploi et la menace de la violence policière. À Calgary, au Canada, des femmes ont été arrêtées pour avoir manifesté sans autorisation ; pourtant un défilé est le moyen le plus sûr (malgré les arrestations) pour les femmes de sortir le soir – une ironie qui a échappé à la police, mais pas aux femmes. À Los Angeles, en Californie, la queue d’une double file de 2000 femmes marchant sur les trottoirs a été attaquée par des hommes en voitures. Je ne sais pas combien de fois j’ai prononcé cette allocution, mais en la donnant, j’ai vu toute l’Amérique du Nord et j’ai rencontré certaines des plus braves personnes qui y vivent. “La nuit et le danger” n’a jamais été publié à ce jour. Andrea Dworkin (avant-propos de la version anglaise publiée dans son recueil Letters from A War Zone) (1979) Un défilé Take Back the Night va droit au cœur de nos émotions. Nous, les femmes, sommes censées particulièrement avoir peur de la nuit. La nuit est une promesse de préjudices pour les femmes. Marcher dans la rue la nuit pour une femme n’est pas seulement risquer d’être violentée mais également – selon les valeurs de la domination masculine – courir après ce risque. La femme qui transgresse les frontières de la nuit est une hors-la-loi qui enfreint une loi élémentaire du comportement civilisé : une femme convenable ne sort pas la nuit – certainement pas seule, certainement pas seulement avec d’autres femmes. Une femme à l’extérieur dans la nuit, qui n’est pas en laisse, est considérée comme une salope ou comme une chienne arrogante qui ne sait pas rester à sa place. Les policiers de la nuit – les violeurs et autres hommes en maraude – sont en droit de faire respecter les lois de la nuit : de traquer la femme et de la punir. Nous avons tous été chassées, et beaucoup d’entre nous ont été attrapées. Une femme qui connaît les règles de la société civilisée sait qu’elle doit se cacher de la nuit. Mais même lorsque la femme, en bonne fille, s’enferme à l’intérieur, la nuit risque de faire intrusion. Il y a dehors les prédateurs qui rampent par les fenêtres, escaladent les gouttières, crochètent les serrures, descendent des puits de lumière, font entrer la nuit avec eux. On donne des prédateurs une image romantique, dans les films de vampires, par exemple. Les prédateurs deviennent le brouillard qui s’infiltre par des fissures à peine visibles. Ils apportent avec eux le sexe et la mort. Leurs victimes reculent, résistent au sexe, résistent à la mort, jusqu’à ce que, vaincues par toute cette excitation, elles écartent les jambes, dénudent leur cou et tombent en amour. Une fois la victime entièrement soumise, la nuit n’offre plus de terreur, parce que la victime est morte. Elle est très belle, très féminine et très morte. C’est l’essence même de ce qu’on appelle la romance, qui est le viol embelli par des regards lourds de sens. La nuit est le moment de la romance. Les hommes, comme les vampires qu’ils adorent, partent faire leur cour. Les hommes, comme les vampires, chassent. La nuit autorise ce qu’on appelle romance et la romance se résume au viol : une entrée par effraction dans le domicile qui est parfois la maison, toujours le corps, et ce que certains appellent l’âme. La femelle est solitaire et/ou endormie. L’homme boit à sa source jusqu’à en être rassasié ou jusqu’à ce qu’elle soit morte. Les fleurs traditionnelles de la cour sont les fleurs traditionnelles de la tombe, livrées à la victime avant son meurtre. Le cadavre est habillé, maquillé, allongé, et rituellement violé et voué à une éternité d’utilisation. Toutes distinctions de volonté et de personnalité sont oblitérées, et nous sommes censées croire que c’est la nuit et non le violeur qui se livre à cette oblitération. Les hommes utilisent la nuit pour nous effacer. C’est Casanova, une autorité aux yeux des hommes, qui a écrit que « quand la lampe est éteinte, toutes les femmes sont égales. » L’anéantissement de la personnalité d’une femme, de son individualité, sa volonté, son caractère, est une condition préalable à la sexualité masculine, et la nuit est donc le moment sacré de la célébration sexuelle masculine, car elle est sombre et dans l’obscurité, il est plus facile de ne pas voir : de ne pas voir qui elle est. La sexualité masculine, ivre de son mépris intrinsèque de toute vie, mais surtout de la vie des femmes, peut courir en liberté, traquer des victimes au hasard, se dissimuler dans l’obscurité, et y trouver réconfort, autorisation et sanctuaire. La nuit est magique pour les hommes. Ils recherchent des prostituées et des filles à embarquer la nuit. Ils font ce qu’ils appellent l’amour la nuit. Ils s’enivrent et errent dans les rues par bandes la nuit. Ils baisent leurs femmes la nuit. Ils tiennent leurs partys de fraternité la nuit. Ils commettent leurs soi-disantes séductions la nuit. Ils s’habillent de draps blancs et brûlent des croix la nuit. Le tristement célèbre Nuit de Cristal, lorsque les nazis allemands ont incendié, vandalisé et brisé les vitrines d’échoppes et de résidences juives dans toute l’Allemagne – la Nuit de Cristal, ainsi nommée à cause du verre brisé qui recouvrait l’Allemagne à la fin de cette nuit – la Nuit de Cristal où les nazis ont battu ou tué tous les Juifs qu’ils purent trouver, tous les Juifs qui ne s’étaient pas enfermés assez solidement – la Nuit de Cristal qui laissait présager le massacre à venir – est la nuit emblématique. Les valeurs du jour deviennent les obsessions de la nuit. Tout groupe haï craint la nuit, parce que dans la nuit tous les êtres méprisés sont traités comme les femmes sont traitées : comme des proies, avec la menace spécifique de raclées, d’assassinats et de violences sexuelles. Nous craignons la nuit parce que les hommes deviennent plus dangereux la nuit. Aux États-Unis, avec son caractère nettement raciste, la crainte même de l’obscurité est manipulée, souvent de façon subliminale, pour en faire la peur du noir, des hommes noirs en particulier, d’une manière qui renforce l’association traditionnelle entre le viol et les hommes noirs qui constitue notre patrimoine national. Dans ce contexte, l’imagerie de la nuit noire suggère que le noir est intrinsèquement dangereux. Dans ce contexte, l’association de la nuit, des hommes noirs et du viol devient parole d’Évangile. La nuit, le temps de sexe, devient aussi le temps de la race – de la peur et la haine raciales. L’homme noir, qui dans le Sud est chassé la nuit pour être castré et/ou lynché, devient aux États-Unis racistes le vecteur du danger, le vecteur du viol. L’utilisation d’un type d’homme racialement méprisé comme bouc émissaire figure emblématique incarnant la sexualité de tous les hommes, est une tactique habituelle de la suprématie masculine. Hitler a fait la même chose à l’homme juif. Dans les villes des États-Unis, la population prostituée est disproportionnellement composée de femmes noires, prostituées qui peuplent la nuit, figures prototypiques de femmes, encore une fois des boucs émissaires, des symboles portant le fardeau d’une sexualité féminine définie par les hommes, celle de la femme comme marchandise. Ainsi, parmi les femmes, la nuit est également le temps du sexe et de la race : l’exploitation raciale et l’exploitation sexuelle sont fusionnées, indivisibles. Nuit et noirceur : sexe et race : les hommes noirs sont blâmés pour ce que font tous les hommes, les femmes noires sont utilisées comme sont utilisées toutes les femmes, mais les uns et les unes sont particulièrement et intensément punies par la loi et les mœurs sociales. Et pour démêler ce nœud cruel, qui fait tellement partie de chaque nuit, nous allons devoir reprendre la nuit pour qu’elle ne puisse être utilisée pour nous détruire par la race ou le sexe. La nuit signifie, pour toutes les femmes, un choix : le danger ou le confinement. Le confinement est dans la plupart des cas dangereux lui aussi – les femmes battues sont confinées, une femme violée dans le mariage est susceptible d’être violée dans sa propre maison. Mais confinées, on nous promet une diminution du danger, et confinées nous essayons de nous prémunir du danger. L’hystoire des femmes en a été une de confinement : entrave physique, bandage des pieds, interdit de mouvement, action punie. Maintenant, encore une fois, où que nous regardions, les pieds des femmes sont liés. La femme ligotée est l’emblème littéral de notre condition, et où que nous regardions, nous voyons célébrée notre condition : celle de femmes en servitude, attachées, ligotées. L’acteur George Hamilton, une des nouvelles incarnations du Comte Dracula, affirme que « toute femme fantasme d’un sombre inconnu qui lui passe des menottes. Les femmes n’ont pas le fantasme de manifester aux côtés de Vanessa Redgrave. »(2) Il ne semble pas se rendre compte que oui, nous avons le fantasme de voir Vanessa Redgrave défiler avec nous ! La célébration érotique du ligotage des femmes est notre religion contemporaine, et la littérature sacrée et les films voués à ce culte sont, comme le pied bandé, partout. Le sens profond du ligotage est d’interdire la liberté de mouvement. Hannah Arendt écrivait : « De toutes les libertés spécifiques qui peuvent entrer dans nos esprits quand nous entendons le mot « liberté », la liberté de mouvement est historiquement la plus ancienne et la plus élémentaire. Pouvoir partir vers où nous voulons est le prototype du geste d’un être libre, comme la limitation de la liberté de mouvement a de tout temps été la condition essentielle de l’esclavage. La liberté de mouvement est aussi la condition indispensable à l’action, et c’est dans l’action que les hommes font d’abord l’expérience de la liberté dans le monde. »(3) La vérité, c’est que les hommes font l’expérience de la liberté de mouvement et de la liberté dans l’action mais que les femmes ne la font pas. Nous devons reconnaître que la liberté de mouvement est une condition préalable à la liberté de quoi que ce soit d’autre. Elle précède en importance la liberté d’expression, car sans elle la liberté d’expression ne peut exister. Alors, quand nous les femmes luttons pour la liberté, nous devons commencer par le commencement et lutter pour la liberté de mouvement, que nous n’avons pas eue et n’avons toujours pas encore. En réalité, nous ne sommes pas autorisées à sortir après la tombée de la nuit. Dans certaines parties du monde, les femmes ne sont pas autorisées à sortir du tout, mais nous, dans notre démocratie exemplaire, sommes autorisées à chanceler de ci et de là durant la journée, à demi-paralysées, et pour cela, bien sûr, nous devons être reconnaissantes. Surtout, il nous faut être reconnaissantes parce que les emplois et la sécurité dépendent de l’expression de la reconnaissance à travers une conformité souriante, une passivité douce et une soumission artistiquement conçue pour répondre aux goûts particuliers des hommes à qui nous devons plaire. Nous devons être reconnaissantes – à moins d’être prêtes à résister au confinement, à résister à l’enfermement et au ligotage – au fait d’être attachées et bâillonnées et utilisées et maintenues à l’intérieur et clouées au sol et conquises et prises et possédées et parées comme des poupées mécaniques qui doivent être remontées pour arriver à bouger. Nous devons être reconnaissantes – à moins d’être prêtes à résister aux images de femmes attachées et ligotées et humiliées et utilisées. Nous devons être reconnaissantes à moins d’être prêtes à réclamer – non, à nous emparer – de la liberté : la liberté de mouvement pour nous-mêmes parce que nous savons que c’est la condition préalable à toutes les autres libertés que nous devons vouloir si nous voulons vraiment la liberté. Nous devons être reconnaissantes – à moins d’être prêtes à dire avec les trois Marias du Portugal : « Assez / Il est temps de crier : Assez. Et de former une barricade avec nos corps. »(4) Je pense que nous avons été suffisamment longtemps reconnaissantes pour les petites faveurs dispensées par les hommes. Je pense que nous en avons ras le bol d’être reconnaissantes. C’est comme si nous étions obligées de jouer à la roulette russe ; chaque nuit, un pistolet est placé contre nos tempes. Chaque jour, nous sommes étrangement reconnaissantes d’être en vie. Chaque jour, nous oublions qu’une nuit, ce sera notre tour, le hasard ne sera plus aléatoire mais spécifique et personnel, ce sera moi ou ce sera vous ou ce sera quelqu’une que nous aimons peut-être plus que nous nous aimons. Chaque jour, nous oublions que nous troquons tout ce que nous possédons et n’obtenons à peu près rien en retour. Chaque jour, nous faisons avec, et chaque soir, nous devenons des captives ou des hors-la-loi – susceptibles d’être blessées d’une façon comme de l’autre. Il est temps de crier : « Assez », mais il ne suffit pas de crier « Assez ». Nous devons utiliser nos corps pour dire « Assez » – nous devons former une barricade avec nos corps, mais la barricade doit se déplacer face au mouvement de l’océan et être aussi redoutable que l’est l’océan. Nous devons nous servir de notre force, de notre passion et de notre endurance collective pour reprendre cette nuit et chaque nuit afin que la vie soit digne d’être vécue et que la dignité humaine soit une réalité. Ce que nous faisons ici ce soir est aussi simple que cela, aussi difficile et aussi important que cela. Traduit par Martin Dufresne Version originale : « The Night and Danger » Copyright © 1979, 1988, 1993 par Andrea Dworkin. Tous droits réservés. Notes 1. Giacomo Casanova, Histoire de ma vie, Paris, Laffont, 1960-62. Mis en ligne sur Sisyphe, le 20 septembre 2012 |