Lors d’une manifestation contre les violences sexuelles à l’Assemblée natinale du Québec, le 15 février 2017, Rose Sullivan a prononcé ce discours sur la culture du viol.
Bonjour,
Je suis une survivante de l’« industrie du sexe ». Je suis aussi impliquée dans le milieu communautaire auprès de femmes ayant un vécu en lien avec la prostitution depuis près de 5 ans. J’ai été agressée sexuellement des milliers de fois par des agresseurs, qui se sentent encore et toujours intouchables, et qui achetaient mon consentement avec l’argent qu’il me fallait pour survivre et que je ne croyais pas pouvoir gagner autrement.
À l’époque, je pensais fièrement éviter à des femmes de se faire violer, mais est-ce que je méritais davantage cette violence ? Je sais maintenant que non et j’affirme que l’industrie du sexe est indissociable de la culture du viol.
Refuser la culture du viol, c’est refuser que les violences sexuelles soient banalisées, excusées ou justifiées par des discours et des pratiques courantes ; c’est refuser que les victimes soient désignées comme responsables des agressions qu’elles subissent ; et c’est refuser que le corps des femmes soit considéré comme étant un bien accessible à quiconque se le permet.
Une société qui refuse la culture du viol ne peut donc pas accepter la prostitution.
Le cinéma, la littérature, les médias et le puissant lobby de l’industrie du sexe travestissent la réalité des personnes prostituées. Ils excusent et justifient l’existence de la prostitution en la dépeignant comme un métier nécessaire, glamour, payant et parfait pour une certaine catégorie de personnes qui auraient choisi cette voie ou serait responsables de leur sort. C’est un énorme mensonge.
Aucune personne ne devrait avoir à être prostituée pour combler ses besoins fondamentaux. Cette réalité aurait été trop difficile à accepter quand j’étais dans l’industrie. Elle m’a frappée de plein fouet quand j’en suis sortie, chose que trop peu de femmes peuvent accomplir, faute du soutien que j’ai eu la chance d’avoir.
Longtemps j’ai cru et répandu le discours de l’industrie du sexe. Il me fallait le faire pour survivre aux violences quotidiennes que je subissais. Il me fallait croire que c’était mon choix de donner mon intimité à des hommes que je ne désirais pas. On m’a tant répété que légaliser complètement la prostitution était la seule façon d’assurer la sécurité des personnes prostituées que je l’ai cru longtemps aussi.
Après avoir échappé à la mort de justesse et avoir vécu dans une pauvreté extrême quand je ne pouvais plus être vendue, je pense maintenant que la prostitution est d’abord et avant tout une industrie et que je n’ai été rien d’autre qu’une marchandise.
Cette industrie dépend de la culture du viol, elle l’entretient, elle y participe activement en banalisant des agressions sexuelles tarifées qui sont perpétrées autour de nous quotidiennement dans une indifférence absurde, ce qui est, en soit, d’une extrême violence.
Cela doit cesser. Si des mesures ont été adoptées en ce sens en 2014, elles sont peu appliquées et les ressources pour aider les femmes à sortir et guérir de la prostitution sont encore extrêmement limitées.
Les acheteurs de sexe tarifés peuvent encore facilement trouver des personnes à qui acheter le consentement ; les proxénètes n’ont aucune difficulté à recruter de futures victimes et le système de justice n’est pas adapté à la réalité des victimes qui souhaitent que leurs agresseurs cessent d’agresser.
Les institutions qui devraient aider les victimes d’agressions à dénoncer et guérir n’ont pas les outils pour le faire, particulièrement lorsque ladite victime est associée à l’industrie du sexe.
Qu’il s’agisse du milieu de la santé ou de l’éducation, de la DPJ ou de l’IVAC, de la justice ou du milieu carcéral, aucun n’a le pouvoir d’agir seul ni de soutenir et défendre adéquatement les victimes d’agressions sexuelles.
Les agresseurs proviennent de tous les milieux et sont influents dans diverses sphères sociales, politiques, économiques et législatives. Le pouvoir que cela leur donne ne peut être renversé que par des actions d’envergure et des revendications claires et nombreuses de personnes provenant elles aussi de tous les milieux.
Pour que les agresseurs comprennent qu’ils ne sont plus intouchables, que leurs violences ne sont plus acceptées et que les personnes dont ils abusent ne seront plus isolées et marginalisées, il nous faut continuer de nous regrouper, de dénoncer et de nous soutenir mutuellement.
Nous devons aussi ouvrir les yeux et identifier les origines réelles de la culture du viol ainsi que ceux et celles qui la propagent et qui sont prêts à tout pour nous effrayer et nous diviser.
Les agresseurs isolent les victimes par le pouvoir, la honte et la peur mais en nous réunissant, nous pouvons renverser cela. Ce ne sont pas les victimes qui doivent avoir peur, ce sont les agresseurs. Ce ne sont pas les victimes qui doivent vivre dans la honte, ce sont les agresseurs.
C’est en nous soutenant mutuellement pour que notre courage grandisse et nous donne la force de dénoncer toutes les agressions que nos luttes aboutiront.
Que les agressions soient perpétrées par une personne, un groupe de personnes ou une institution, nous devons les dénoncer.
Notre rage et notre révolte sont absolument légitimes, mais nous devons les utiliser comme un moteur pour contrer les agresseurs, pas comme un réflexe pour défendre des convictions qu’ils nous ont transmises pour leur propre intérêt.
Mon féminisme est radical mais je suis solidaire de toutes les femmes. Mon but ce soir n’est pas de débattre des différentes positions qui existent au sein du mouvement féministe car le temps n’est plus au débat, il est à l’action ! Le patriarcat, le capitalisme, le néo-libéralisme et la mondialisation des marchés sont les premiers responsables des inégalités qui donnent du pouvoir aux agresseurs.
Et le racisme, le colonialisme, la xénophobie, l’austérité et la peur ne sont pour eux que des outils servant à nous affaiblir, nous diviser et prendre du terrain pendant que nos luttes peinent à avancer et que la culture du viol fait des ravages.
Nous devons combattre non pas des individus, mais des systèmes, non pas des croyances mais des violences.
La prostitution et la culture du viol sont indissociables. Nous devons les combattre ensemble, et ce, peu importe nos opinions, notre couleur, nos croyances, nos origines et notre classe sociale.