Le mouvement #Etmaintenant, lancé par une centaine de féministes québécoises, expliquait : « Nous voulons continuer sur cette lancée, les hommes à nos côtés. Tellement reste à faire ! Afin que les politiques publiques, la culture des entreprises et des institutions, les contenus médiatiques – eh oui, les relations amoureuses et sexuelles – évoluent dans le sens d’une véritable égalité entre les sexes. »
Nous sommes des hommes qui appuyons les mouvements #Moiaussi, #Metoo, #Balancetonporc et #Etmaintenant. Nous répondons donc positivement à cet appel.
La libération de la parole des femmes a permis une certaine libération de la parole d’hommes harcelés et agressés sexuellement. C’est une première, et l’on doit s’en réjouir.
Dès le début du mouvement #Moiaussi, on a vu se développer une réaction (dans le sens de réactionnaire) qui a adopté différentes formes, comme celui du « droit d’importuner » au prétexte d’une misère sexuelle masculine. Celui aussi de prétendre que les hommes de pouvoir, qui ont abusé de leur pouvoir, avaient le bénéfice du doute au motif de la « présomption d’innocence », eux qui, pour plusieurs, ont sévi pendant des décennies, en bénéficiant d’une impunité impardonnable, et qui, par le fait même, ont pu multiplier leurs agressions.
On aurait tort de croire que les agressions sexuelles et les harcèlements sont le fait de quelques dérives individuelles. Au Québec, une femme sur trois a été victime d’au moins une agression sexuelle depuis l’âge de 16 ans. Cependant, les infractions sexuelles sont plus fréquentes (53 % des cas) chez les moins de 18 ans, surtout chez les filles, mais aussi chez les garçons. On peut donc en conclure que le nombre d’agresseurs sexuels est très important, qu’il ne s’agit pas d’un phénomène marginal, limité à quelques individus prédateurs. L’enquête ESSIMU au Québec a révélé que près de 37 % des universitaires (employéEs, étudiantEs, professeurEs) ont subi une forme de violence sexuelle (harcèlement sexuel, comportement sexuel non désiré, coercition sexuelle). De 40 à 50 % des femmes des pays de l’Union européenne auraient subi des avances sexuelles non désirées, des contacts physiques ou d’autres formes de harcèlement sexuel au travail. Aux États-Unis, 83 % des filles âgées de 12 à 16 ans auraient subi une forme ou une autre de harcèlement sexuel dans les écoles publiques. Les harceleurs sont donc très nombreux.
La culture du viol et de l’agression ne relève donc pas de l’épiphénomène ni de la misère sexuelle réelle ou présumée des hommes, mais s’inscrit dans des structures sociales (et par le fait même mentales) de nos sociétés.
L’agression sexuelle est d’abord et avant tout un abus de pouvoir. C’est parce que l’agresseur se sent autorisé qu’il impose ses volontés à une personne réduite au rang d’objet sexuel ou de jouet de son désir de pouvoir sur autrui. Les structures de pouvoir hiérarchiques sont déterminantes dans ce cas. Y résister n’est pas chose facile. On sait le sort que connaissaient autrefois les victimes d’agresseurs puissants et bien placés dans la société : elles étaient condamnées sans appel, et les agresseurs jouissaient d’une impunité quasi totale. Toute structure hiérarchique, qui voue un culte à la suprématie mâle, favorise ces abus : églises, sectes, armées, clubs sportifs, clans, familles, monde des affaires, etc. Ce sont surtout les femmes qui en font les frais, mais pas seulement les femmes : les enfants certes, filles et garçons, mais aussi des hommes.
La virilité hégémonique s’exprime dans les prisons par les viols d’hommes qui sont ainsi infériorisés et qui, par conséquent, pour un certain nombre d’entre eux, deviennent des objets sexuels. Au Québec, le producteur, qui était omniprésent à l’écran de la télévision québécoise, Éric Salvail, harcelait sexuellement ses employés masculins. Dans la mode masculine, il semble y avoir eu des comportements analogues envers les mannequins masculins. On savait que les petits garçons étaient une cible de prédateurs sexuels dans la famille, l’Église, etc. Or, maintenant, des hommes adultes osent parler de ce qu’ils subissent ou ont dû subir par des hommes qui sont mieux placés qu’eux dans la hiérarchie sociale, dans la hiérarchie du pouvoir et de l’argent.
Il est désolant, mais ce sera sans doute salutaire, de réaliser que les hommes comprennent l’importance de l’agression sexuelle à partir du moment où ils peuvent se voir comme des victimes potentielles. Les cas de célébrité portés à l’attention du public (de même que les cas de viols d’hommes lors des guerres par exemple) contribuent à saper la confiance aveugle des mâles aux structures de pouvoir.
Les appels à ne plus accepter ces comportements sont sincères, mais le changement social ne se fera pas sans changement des relations de pouvoir dans la société. On peut par exemple s’émouvoir de la désolation des humoristes en réunion de crise, mais on n’oubliera pas que nombre d’entre eux gagnent leur vie à traiter les femmes de tous les noms et à les rabaisser. Les agresseurs perdent une partie de leur pouvoir, mais il reste beaucoup d’hommes puissants à l’abri. Et pourtant ce sont leurs employéEs qui subissent les contrecoups en perdant leur source de revenus. En plus de risquer leur propre emploi, les victimes craignent d’en faire perdre à d’autres. Ces réflexions éthiques sont absentes chez les personnes en situation de domination. Cela fait d’ailleurs partie des considérations qui se bousculent dans la tête des victimes si peu promptes à dévoiler ce qu’elles ont vécu, déjà qu’elles se sentent coupables de ce qui leur est arrivé.
Le système judiciaire et son fonctionnement ne sont absolument pas adaptés aux causes d’agression sexuelle et de harcèlement dans lesquelles les aspects des contraintes psychologiques liées au statut social et financier sont déterminants et où la collecte des preuves reste très difficile. Qui doute encore que la justice a deux vitesses ? Les plus fortunés se paient les meilleures firmes d’avocats, les mieux à même de performer devant des juges qui viennent rarement des classes défavorisées ou dominées et qui, de ce fait, comprennent fort mal les structures d’oppression, quand ils n’ont pas un préjugé favorable envers elles. On se rappellera que, jusqu’aux années 1970, les femmes n’avaient pas le droit de siéger comme jurées.
Celui qui a l’argent et le pouvoir a un avantage constant sur les personnes qui doivent vendre leur force de travail pour vivre. Cette force de travail est une marchandise qui se négocie sur le marché des forces de travail (marché dit de l’emploi), c’est ce qui accorde à la personne qui a du pouvoir une formidable prépondérance. L’argent et le pouvoir sont le nœud des choses ; ils lient, rabaissent et soumettent la personne-force de travail, tout en rendant le rapport impersonnel, réifié. Le sentiment de supériorité des employeurs, lequel fait partie intégrante de leur plaisir, est lié à l’acte de location de la force de travail et à la déshumanisation qu’elle implique (processus de marchandisation). Ces hommes ne recherchent pas la réciprocité. C’est précisément la subordination des gens qui est source de plaisir. Et ce plaisir est accentué par un sentiment d’impunité. L’argent et le pouvoir apparaissent comme des mises en action de la virilité.
Dans les sociétés capitalistes patriarcales, les sexualités masculines hégémoniques fonctionnent en grande partie au moyen d’un désir univoque. C’est aussi très souvent un appel à une consommation rapide. Le temps des relations sexuelles est généralement déterminé par l’éjaculation, qui marque l’objectif et la fin de la relation sexuelle. Dans cette consommation, il y a survalorisation de la place et de la fonction du pénis. Cette sexualité se présente comme réductionniste et fonctionnelle, si ce n’est utilitariste et contingentée (limitée). Elle est également dissociée (sexe et sentiments). Ce qui nourrit les industries du sexe : prostitution, pornographie, tourisme de prostitution, traite des femmes et des enfants…
Tant que nous n’aurons pas appris à vivre humainement nos rapports sexuels, il ne sera pas question de fermer les volets sur la souffrance imposée par les rapports de pouvoir, notamment les rapports de genre.
C’est pourquoi il est important comme hommes de donner un soutien ferme et indéfectible à la parole qui se libère, à la résistance aux agressions, à la renégociation de rapports basés sur le consentement et non sur la prédation ou la domination.
Pour les hommes qui veulent ajouter leur signature, écrivez à Richard Poulin à poulin@uottawa.ca
Instigateurs de la déclaration – Francis Lagacé, écrivain et militant des droits sociaux
– Richard Poulin, éditeur, prof émérite (Université d’Ottawa) et prof associé (IREF-UQAM)
Premiers signataires
– Guy Bellemare, prof titulaire, département de Relations industrielles (UQO)
– Marc Bonhomme, militant
– Martin Dufresne, traducteur proféministe
– Didier Epsztajn, animateur du blog Entre les lignes, entre les mots
– Marc-André Éthier, prof de didactique en histoire (UdeM)
– André Frappier, Chroniqueur à Presse-toi à gauche et à Canadian Dimension et membre de la direction de Québec solidaire
– yeun lagadeuc-ygouf, aide-soignant
– David Mandel, prof sciences politiques (UQAM)
– Ianik Marcil, économiste indépendant
– Bernard Rioux, rédacteur de Presse-toi à gauche
– Sébastien Rioux, prof adjoint (UdeM)
– Michel Roche, prof de science politique (UQAC)
– Michel Taylor, Fonds immobilier FTQ