On n’agresse pas une femme parce qu’on est fou d’elle ou parce qu’on a une libido d’enfer. On agresse une femme parce qu’on est aveuglé par son propre pouvoir, et qu’on considère la femme comme un objet à assujettir à ce pouvoir.
La culture du viol est un concept établissant des liens entre la violence, le harcèlement, les agressions sexuelles avec la culture de la société où ces crimes se commettent. Elle documente et décrit un environnement social et médiatique dans lequel les violences sexuelles trouvent des justifications et des excuses pour être tues, banalisées, ridiculisées, moquées, tolérées, voire acceptées.
La culture du viol distillée çà et là
. Elle est bien vivante dans la pornographie qui transmet l’idée saugrenue que la femme veut être forcée, que malgré son visage grimaçant, elle est émoustillée, en redemande, se délecte d’être avilie et asservie.
. Elle s’exprime dans les publicités, médias, musiques, clips, chansons... Banalisées, voire érotisées dans la chanson, les clips et les sitcoms, la violence et l’exploitation sexuelles s’étalent désormais comme dispositifs naturels de la pop et de la web culture. Ce matin encore, je lisais sur Facebook qu’unetelle « est une sale pute, car elle s’est bien fait baiser » et qu’une telle autre « est une sacrée salope, car elle se fait prier. »
. Elle est présente aussi dans les magazines de mode qui hypersexualisent le corps des fillettes et infantilisent celui des femmes, comme de vulgaires produits de consommation. De plus en plus de firmes et marques (esthétique, vêtements, parfum, coiffure, chaussures...) mettent en scène des scénarios publicitaires, à peine voilés, d’agression sexuelle.
. Elle règne sur le web. On y organise des gangs bang et on y vend des jeux simulateurs de viol. Les blogueurs trash pullulent et font saliver leurs milliers des supporters en décrivant leurs fantasmes d’agression sexuelle. Il est de plus en plus fréquent d’y voir circuler des images de viol collectif.
La culture du viol s’exprime encore
. Par ces jeunes hommes de plus en plus nombreux à avoir développé une sévère dépendance à la pornographie violente.
. Par le fait que la majorité des agressions sexuelles ne sont pas rapportées et que le pourcentage des hommes et garçons coupables d’agressions sexuelles font rarement de la prison (autour de 3% aux États-Unis).
. Par le fait que le GBH (drogue du viol) est en nette hausse et propension sur les campus et dans les bars. On objectera que le GBH est aussi consommé comme drogue festive pour l’effet d’ébriété obtenu et que c’est lorsqu’il est combiné à l’alcool qu’il provoque coma et amnésie. Il n’en reste pas moins que les signalements à son égard ont doublé ces dernières années, et ce, malgré que les traces de cette substance s’effacent après quelques heures dans l’organisme. L’utilisation à des fins sexuelles criminelles du GHB montre bien que le viol ne survient pas « spontanément », comme certains le prétendent et qu’il est, est au contraire, planifié et prémédité.
. Par le nombre d’agressions sexuelles qui augmentent sur les campus collégiaux et universitaires.
. Par le fait que chez les mineurs, une agression sexuelle sur 10 est signalée.
. Par le fait que le viol collectif est en nette augmentation partout dans le monde. Cela, dans les sociétés dites civilisées et pas seulement dans de lointaines contrées en conflit qui utilisent le viol des femmes et enfants comme arme de guerre.
. Par l’hostilité qui prévaut encore trop souvent à l’égard des victimes
. Par l’abondance de justificatifs du côté des agresseurs afin qu’on les comprenne et leur pardonne
. Par cette tendance à ne pas croire d’emblée la victime et à mettre en doute sa parole.
Ici et maintenant (Université Laval et cas d’Alice P), la culture du viol se manifeste
. Dans les propos malveillants et accusateurs qu’on peut lire ici et là concernant les plaignantes. Les réseaux sociaux dégoulinent de propos slut shaming (« honte aux salopes »).
. Dans les reproches larvés à l’endroit des victimes de la part d’un responsable du milieu éducatif à l’effet qu’elles auraient dû (les victimes) barrer leurs portes (sous-entendu « elles l’ont un peu cherché »).
. Dans les réactions des collègues politiques de Sklavoulos, et même du premier ministre, à l’effet qu’ils n’ont rien vu avant le dévoilement cependant que d’autres femmes s’étaient plaintes des comportements déplacés du présumé agresseur et que les conduites harceleuses de ce dernier semblaient de notoriété publique.
. Dans les voix des Éric Duhaime et Stéphane Gendron de ce monde, pour ne citer que ces deux-là. Du haut de leur tribune médiatique respective, le premier compare le viol au vol d’un char et rend responsable la personne qui s’est fait voler si elle n’a pas bien verrouillé ses portes ; le second enfile son masque paternaliste pour plaindre la « pauvre » qui lui paraît si mentalement dérangée qu’il ne devrait pas y avoir de procès.
La culture du silence
Derrière la culture du silence se cache la culture du viol. Derrière les propos qui tentent de saloper les victimes, de les responsabiliser et de les décrédibiliser se cache la culture du viol. Derrière l’inertie de nos décideurs et de nos politiques pour contrer ce fléau se cache la culture du viol.
Les pro culture du viol qui s’ignorent, ou qui font mine de s’ignorer, vont se jeter sur les Alice comme des chacals. Et le plus effroyable, c’est que ça risque de marcher. La culture du viol est nourrie par ceux qui ont peur de se réclamer ouvertement de cette culture qui les arrange en les rassurant sur leur suprématie. Mais attention, elle est aussi nourrie par tous ceux et celles qui se taisent, qui font semblant de ne pas voir, qui découragent les victimes de porter plainte, qui s’émeuvent davantage des pauvres agresseurs dont la vie et la réputation seront ternies...
Pourquoi pensez-vous que les présumés agresseurs sexuels invoquent presque TOUJOURS une défense de consentement ? Parce qu’il y a, forcément, un certain flou dans le consentement, et parce que c’est la justice qui déterminera ultimement s’il y eut ou non consentement et c’est encore la justice qui décidera si l’agresseur est crédible quand il affirme « Je croyais qu’elle voulait ! »
Entre vous et moi, que peuvent-ils invoquer d’autre pour leur défense sans passer pour des minables ? En prétendant que l’autre a consenti, l’agresseur veut sauver sa face. Il nie ainsi, publiquement, qu’il est pitoyable et incapable : incapable de séduire, incapable de susciter le désir de la partenaire, incapable d’être désiré, incapable d’une relation de plaisir, de partage et de réciprocité...
S’attaquer à la tumeur principale
Même si la très grande majorité des agressions sexuelles ne sont jamais dévoilées, les allégations sourdent de partout depuis quelques années, et cela, plus spécifiquement dans des milieux de pouvoir et institutionnels (star médiatique, monde du sport de haut niveau, milieu politique, milieu universitaire...) : dénonciation d’une députée NPD, affaire Ghomeshi puis Marcel Aubut, Donald Trump, et très récemment les plaignantes de l’Université Laval et le cas Alice Paquet. À chaque fois, il y a un tollé, on s’indigne à hue et à dia, on sort les pancartes, on manifeste et puis, le soufflé d’indignation se dégonfle et on oublie jusqu’à la prochaine dénonciation publique.
Il est grand temps d’exiger de nos dirigeants politiques qu’ils cessent de traiter ce fléau à la pièce et à la petite semaine. Il ne suffit pas d’attendre que justice se fasse au cas par cas. Il est grandement temps de s’attaquer à la tumeur principale, de changer ce modèle sexuel violent par un modèle sexuel relationnel. Pour ce faire, une solution au long cours : éducation à la sexualité, à l’égalité et au consentement, obligatoire au menu scolaire.