Quand la prison devient-elle une solution de rechange souhaitable ? Le cas de Nicole Patricia Doucet en fournit un exemple effrayant.
Le 29 mars, le calvaire judiciaire de Nicole Doucet a pris fin lorsque la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a confirmé son acquittement de l’accusation d’avoir conseillé à quelqu’un de commettre un meurtre : Madame Doucet avait, dit-on, tenté d’embaucher quelqu’un pour tuer son ex-mari. Elle a témoigné avoir pris cette mesure - contrariée puisqu’elle s’adressait à un agent de police banalisé - parce qu’elle était terrifiée à l’idée qu’elle ou son enfant, ou les deux, allait être assassinée.
Détail poignant, Madame Doucet s’est aussi dite reconnaissante d’être placée en détention dans un hôpital pour évaluation après son arrestation, tandis que sa fille était placée sous la protection des services sociaux. Pour la première fois, a-t-elle dit, elle et son enfant étaient en sécurité et elle pouvait respirer. Elle a même demandé à rester plus longtemps en détention.
Madame Doucet a été acquittée, pour avoir agi sous le coup de la contrainte, par le juge David Farrar de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (maintenant juge de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse). Cette notion de contrainte reconnaît que les gens posent parfois des actes sous l’emprise de pressions insupportables, à laquelle succomberait toute personne ordinaire.
Pour que la contrainte soit reconnue comme un moyen de défense en common law, il faut que la personne ait agi en réponse à des menaces de mort ou de graves lésions corporelles infligées à elle-même ou une autre ; les menaces doivent être si graves que n’importe qui les aurait prises au sérieux ; la personne doit n’avoir eu aucun moyen de s’en sortir sans danger ; et le crime commis doit être proportionnel à celui évité par son acte.
Le juge Farrar a entendu nombre de témoignages de Madame Doucet, cités pour la plupart dans la décision de la Cour d’appel. La reproduction détaillée de son témoignage et les conclusions factuelles du juge de première instance offrent un aperçu des expériences des femmes face à la provocation policière et à l’échec de la police à répondre au danger que vivent des femmes et leurs enfants. Madame Doucet a décrit comment elle avait été isolée, contrôlée, agressée et menacée par son mari durant plus de 13 ans.
Elle a finalement réussi à le quitter. Mais, a-t-elle témoigné, il refusait de la laisser partir. Il a poursuivi un harcèlement criminel à son égard, se présentant à son lieu de travail et l’accablant de détails morbides sur la façon dont il allait les tuer et les enterrer, elle et leur fille. Elle est entrée dans la clandestinité et a contacté le département des services aux victimes, où on lui a dit que les obligations de garder la paix n’avaient « aucune efficacité ». À neuf reprises, la police a refusé de l’aider, en qualifiant son cas d’« affaire civile ». Fait sans doute révélateur, la Couronne n’a pas appelé son ex-mari à témoigner pour contredire son témoignage.
Le juge en chef Michael MacDonald de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a commenté le fait qu’un agent de police banalisé avait appelé Madame Doucet « pour lui offrir de faire le travail » dans le cadre d’une opération d’infiltration, alors que celle-ci était dans un état extrêmement vulnérable : « Il est ironique, a-t-il dit, (...) que l’un des organismes auxquels elle avait fait appel s’est avéré être la méthode qui s’est finalement offerte à elle pour résoudre son problème. »
La décision unanime de la Cour d’appel confirmant son acquittement reconnaît que, pour certaines femmes qui vivent des voies de fait et un contrôle coercitif, il peut n’exister « aucun moyen raisonnable de s’en sortir ». Bien entendu, le verdict rendu dans l’affaire Doucet repose sur les faits spécifiques à sa situation, « y compris l’histoire de la violence de M. Ryan envers d’autres personnes, son mode de manipulation et de contrôle, son accès à des armes à feu, les menaces qu’il avait exprimées, et l’absence de réaction par aucune des personnes en situation d’autorité », pour citer le juge de première instance.
Mais nous avons appris des travaux du Comité ontarien d’examen des décès, dus à la violence familiale, que la séparation ou l’annonce de la séparation d’avec un partenaire masculin violent est l’un des facteurs de risque les plus importants d’homicide d’une conjointe. Madame Doucet avait d’excellentes raisons d’avoir peur, même sept mois après avoir quitté son agresseur.
Son acquittement lance une bouée de sauvetage - la défense de contrainte - aux femmes victimes de violence conjugale qui pourraient autrement se retrouver en prison pour avoir tenté de se libérer. Contrairement à la situation la plus courante, dans l’affaire Doucet, la contrainte n’est pas venue d’un tiers mais de la personne visée, soit son ex-mari.
Le tribunal a déclaré, à juste titre, qu’il n’y avait tout simplement aucune raison de principe de ne pas étendre à Madame Doucet la même compassion que celle dont la Cour suprême du Canada avait fait preuve en 2001 envers Marijana Ruzic, qui avait importé de l’héroïne au Canada sous la menace que sa mère, restée à Belgrade, serait la victime de voyous si elle n’acceptait pas de leur obéir.
L’arrêt rendu en Nouvelle-Écosse constitue une lecture très humanitaire de la contrainte, en ne cherchant pas à mesurer l’impossible, c’est-à-dire, quelle vie a le plus de valeur ?
Plutôt que d’exiger que soit démontrée la contrainte en prouvant que le geste criminel était moins grave que le tort évité, le tribunal a décrété qu’il y avait proportionnalité suffisante en cas de « menaces d’une gravité telle qu’elle pourraient bien inciter une personne raisonnable dans la même situation que l’accusée à agir de la même manière ».
Bien que quatre juges de Nouvelle-Écosse aient convenu que le geste de cette femme violentée ne justifiait pas de condamnation pénale, ce que cette décision ne résout pas, ce sont ses problèmes continus de sécurité et les limites réelles imposées à sa liberté et ses droits à l’égalité.
Pour aggraver cette situation tragique, Madame Doucet a perdu la garde de sa fille au bénéfice de son ex-conjoint, en 2008, lorsqu’elle a été inculpée.
Qui protègera maintenant Nicole Doucet et son enfant ?
– Traduction : Martin Dufresne.
– Version originale : The Winnipeg Free Press
Elizabeth Sheehy est auteure et professeure de droit à l’Université d’Ottawa.
– Lire aussi : "N.B. case fuels debate over domestic violence"
Mis en ligne sur Sisyphe, le 14 avril 2011