La communautaire noire du Québec s’est retrouvée ces jours-ci au cœur d’une controverse à cause des propos du président de la Ligue des Noir-e-s du Québec, Monsieur Dan Philip.
À la suite d’une présumée agression sexuelle d’une jeune fille de 21 ans et l’arrestation de quatre jeunes Noirs accusés de cet acte, M. Philip n’a trouvé d’autres arguments de défense que d’accuser les policiers d’être racistes. Il pourrait être le père et même le grand-père de cette jeune femme.
S’est-il mis une seule minute à la place de ses parents ? A-t-il fait preuve un seul moment de compassion vis-à-vis de cette présumée victime ? Avec peu de risque de se tromper, on peut affirmer que non. Sa seule préoccupation a été les jeunes Noirs accusés d’agression sexuelle. Certes, les communautés culturelles doivent faire preuve de vigilance car, comme la police américaine, il est prouvé aujourd’hui que certains policiers canadiens et québécois font acte de profilage racial vis-à-vis des membres des minorités visibles, surtout envers les jeunes (Arabes, Haïtien-e-s, Africain-e-s, Latinos, Jamaïcain-e-s, etc.). Mais, de là à réduire le sexisme au racisme, il y a un fossé que M. Philip a allègrement traversé.
Si pour défendre les jeunes Noirs d’une accusation de viol collectif, M. Philip allègue le profilage racial, quels messages envoie-t-il donc à nos jeunes ? Quelle leçon d’éthique donne-t-il à la nouvelle génération ? Pis encore, il outrepasse son rôle en projetant, lors d’une conférence de presse, une bande vidéo de ce présumé viol collectif au risque de révéler l’identité de la plaignante.
Si, en tant que Noire, je me soucie du traitement sans préjugés de ces jeunes Noirs, en tant que femme, je suis outrée par une telle banalisation des violences faites aux femmes. D’autant plus que cette attitude vient d’une personne considérée comme un des leaders de ma communauté.
De la part de M. Dan Philip, c’est là une goutte qui fait déborder le vase. Depuis trente sept ans (1969-2006), il exerce un contrôle absolu sur une structure qui aurait dû être une fédération des diverses organisations des Noir-e-s du Québec et un instrument de défense de leurs intérêts, voués à l’avancement de la Communauté Noire dans ce pays. La Ligue est loin de cette mission. Pire encore, M. Philip applique son pouvoir sans charisme et sans efficacité. Ce faisant, il projette une image négative des Noir-e-s, renforce les préjugés vis-à-vis d’eux et dessert leur cause. Pourtant, confrontée à d’énormes défis (décrochage scolaire, délinquance juvénile, grossesses précoces des filles, prostitution, exclusion à l’emploi malgré une scolarisation élevée, etc.), la communauté noire a besoin d’un leadership fort à travers cette Ligue pour faire face à ces situations et contribuer à son intégration positive à la société québécoise.
Les médias avaient annoncé que face à sa bévue dans l’affaire du présumé viol collectif, M. Philip démissionnerait au terme de la réunion de son conseil d’administration (C.A.), le 9 Août. Loin de cette attitude de dignité, il s’est accroché à son pouvoir prétextant que son C.A. lui a renouvelé sa confiance. En fait, ce C.A. n’est composé que de gens cooptés par M. Philip. Ni lui, ni les autres n’ont été élus démocratiquement. Dan Philip n’a jamais eu la confiance de la communauté noire. D’ailleurs, écoeurés par son attitude et son manque de légitimité, beaucoup d’individus et d’organisations noires se gardent de faire partie de la Ligue des Noir-e-s du Québec. Ce qui est fort malheureux.
D’après le journal La Presse, « un des membres du Conseil a indiqué qu’il (M. Philip) était toujours en réflexion quant à son avenir ». Osons espérer que le président à vie de la Ligue des Noirs du Québec a refusé de se laisser pousser à la porte par les événements mais que, sous peu, il tirera sa révérence. Dans le cas contraire, les membres de la communauté noire devraient enfin prendre leurs responsabilités, le remercier et réorganiser cette Ligue des Noir-e-s du Québec. Pour ce, ils/elles devront organiser des élections démocratiques et nommer à la tête de ce mouvement des gens représentatifs et conscients de la nécessité de défendre les intérêts de la communauté noire, ce, au-delà du racisme qu’on ne peut continuer de brandir à tort et à travers.
Quant à cette jeune fille et à sa famille, nous, les Africaines, leur assurons que nous nous dissocions des propos et agissements de M. Philip et leur renouvelons notre soutien déjà exprimé en collaboration avec la Fédération des femmes du Québec (FFQ) et d’autres groupes de femmes de notre société. Nos sympathies vont également aux parents des jeunes accusés qui devront se défendre dans un cadre légal et être jugés sans préjugés, de façon juste et équitable.
Aoua Bocar LY, Ph.D.
Sociologue et Présidente-fondatrice du Réseau Femmes Africaines, Horizon 2015 (FAH2015)
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Tél. : 514-739-5574
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Mis en ligne sur Sisyphe, le 17 août 2006.
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