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vendredi 21 décembre 2012

Drame de Newtown - Pourquoi refusons-nous de parler de la violence et de la masculinité en Amérique ?

par Soraya Chemaly, blog du magazine Ms.






Écrits d'Élaine Audet



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Alors que j’écoutais avec le reste du monde se déployer l’horreur de ce qui est arrivé à l’école primaire Sandy Hook, j’ai été frappée par l’absence persistante de commentaires et d’analyses sur le fait que les tueurs de masse sont presque tous des hommes et des Blancs, en colère. Que faudra-t-il pour que nous amorcions enfin un dialogue généralisé, ouvert et public à propos du genre et de la violence dans notre pays ? À propos de la masculinité et de l’identité ? Ces sujets font partie des « questions difficiles » que nous avons tendance à ignorer. Au lieu de cela, à la radio et à la télévision, j’ai entendu des commentateurs expliquer encore et encore à quel point un tel scénario était rare, comment Newtown n’avait pas de « problème de criminalité », quel était le profil psychologique des tueurs de masse, et comment les policiers étaient encore à la recherche d’un motif. En somme, les gens se demandaient encore : « Pourquoi une telle tragédie ? »

Ce n’est pas la bonne question. Les meurtriers de masse sont un symptôme extrême d’un problème courant, quotidien. Oui, le risque d’être terrorisé-e par un meurtrier de masse isolé est mince, c’est vrai. Mais des personnes ordinaires vivent dans la peur et la terreur à domicile. Il n’y a, malheureusement, rien d’exceptionnel à ce que des hommes armés tuent des gens tous les jours dans notre pays. Dans le cas des meurtres de masse, le symptôme extrême de cette catastrophe, la question devient : « Pourquoi à nouveau un jeune homme blanc en colère a-t-il agi de cette façon et tué ces personnes ? »

Cette tragédie est arrivée et continuera à se produire parce que trop d’armes sont facilement disponibles dans une culture optimisée pour leur utilisation tragique, le plus souvent par des garçons instables, élevés à se définir comme des hommes par le biais de la violence, et à qui on enseigne dès leur naissance à s’attendre à exercer le contrôle. Des hommes à qui la culture confère des droits acquis et des attentes quant au pouvoir et aux privilèges. Des attentes qui, faute d’être satisfaites et lorsque vécues en même temps qu’une maladie, une perte, une dépression ou plus, explosent quotidiennement en des tragédies innombrables. Déstigmatiser la maladie mentale et réglementer la possession d’armes à feu sera d’une certaine aide, bien sûr, mais cela restera insuffisant sans l’inclusion de cette dimension du problème. Dans le cas d’Adam Lanza, oui, il avait un problème de maladie mentale et a eu accès à des armes. Mais, contrairement à d’autres personnes ayant cette maladie et cet accès, il a vécu son contexte culturel d’une manière qui a fait évoluer sa propension jusqu’au passage à l’acte violent.

Les pistolets de la mère de Lanza, tous dûment autorisés, faisaient partie des 270 millions d’armes à feu qui se trouvent aux États-Unis aujourd’hui. Lanza s’était vu refuser une arme à feu dans un magasin local d’armes plus tôt dans la semaine, parce qu’il refusait d’attendre les deux semaines réglementaires. Notre pays si exceptionnel se classe au premier rang mondial en termes de nombre d’armes à feu par habitant, avec un ratio de 88 armes/100 personnes, loin en avant du deuxième sur la liste, la Serbie, dont le ratio est 58,2/100. Il existe des pays armés de façon similaire, mais pas aussi violents. Comme Ezra Klein l’a fait remarquer dans le Washington Post vendredi, « la Suisse et Israël ont des taux d’homicides relativement faibles, en dépit de taux de possession d’arme à feu à domicile qui sont au moins aussi élevés que ceux des États-Unis ». Sur les 25 pires meurtres de masse des 50 dernières années, 15 ont eu lieu aux États-Unis. C’est mentir que d’affirmer que ces événements sont rares.

Vendredi dernier, après avoir tué sa mère (ce qui est, après tout, de la violence familiale), le tireur est entré dans le lieu sûr qu’était une école et a abattu 20 garçons et filles et six femmes. Pas besoin d’un doctorat en psychologie pour s’interroger sur la signification des gestes d’un homme qui tue sa mère, puis entre dans une école, où les femmes dominent les fonctions de contrôle et de care, et tue des petits enfants avant qu’ils et elles ne grandissent. C’est un acte incommensurable. Je ne veux pas manquer de respect ou de sympathie en rappelant, cependant qu’au cours des prochaines 24 heures, au moins trois femmes aux États-Unis vont mourir aux mains d’hommes violents. Selon le Children’s Defense Fund, au cours des mêmes 24 heures, jusqu’à huit enfants mourront chez nous des suites de blessures par balle. Le journaliste Bill Weird du réseau ABC News commente : « Dans les 23 pays les plus riches au monde, 80 pour cent de tous les décès par armes à feu se produisent aux États-Unis et 87 pour cent de tous les enfants tués par armes à feu sont des enfants américains. » Ce taux est 42,7 fois plus élevé que celui de tous les autres pays réunis.

Lanza était un homme parmi d’autres. Même si plus d’hommes meurent par balle que les femmes, les décès par armes à feu sont en très grande majorité des crimes perpétrés par des hommes, que les victimes soient de sexe masculin ou féminin. Et je sais que, même si cette année marque le 23e anniversaire du massacre de l’École polytechnique de Montréal et le sixième de celui perpétré contre les fillettes d’une école de la communauté Amish, la plupart des tueurs de masse ne se donnent pas le projet de tuer en fonction du sexe. Mais comme pour les homicides simples, leur possession d’armes à feu et les meurtres qu’ils commettent ont un caractère sexué. Un sondage Gallup mené en 2011 a révélé que 46 pour cent des hommes américains possédaient une ou des armes à feu (en regard de 23 pour cent des femmes). Et, comme nous l’avons appris le mois dernier quand Kassandra Perkins a été abattue par Jovan Belcher, 91 pour cent des meurtres familiaux sont commis par des hommes et 88 pour cent de ces meurtres impliquent des armes à feu. En moins de 10 jours, le nombre de femmes et d’enfants ainsi tués dépassera le nombre de personnes – les enfants, les femmes et Lanza lui-même – sacrifiés vendredi dernier. La culture qui crée un si grand nombre de meurtres non planifiés, familiaux, facilités par des armes à feu – qui s’intègrent aux 15 000 homicides par an qui ne font qu’une victime – est celle qui produit des tueurs de masse comme Lanza.

La revue Mother Jones a dû mettre à jour son article « Guide to Mass Shootings in America », qui avait documenté, plus tôt cette année, les 62 cas de fusillades impliquant des armes à feu aux États-Unis depuis 1982. Onze de ces attentats se sont produits dans des écoles. Les jeunes hommes blancs sont très majoritairement les auteurs de ces fusillades. Parmi les principaux meurtriers de masse du siècle dernier, pas un des tireurs n’était une femme. Les garçons et les hommes blancs n’ont aucune prédisposition biologique ou génétique à devenir meurtriers de masse ou conjoints agresseurs, mais la violence fait partie de la façon dont est définie la masculinité aux États-Unis. Et les armes font partie de cette violence.

La publicité du fusil dont s’est servi le tireur de l’école Sandy Hook utilise comme slogan la phrase « Considérez votre carte d’identité masculine comme renouvelée. » Les jeunes hommes blancs possèdent des droits acquis et des privilèges qui, lorsque combinés avec la déception, la maladie, la perte et une glorification de la violence aussi courante que décapante pour l’âme, peuvent conduire à une tragédie. Le seul endroit où j’ai entendu ce lien établi dans les médias le week-end dernier était à l’émission du réseau MSNBC « Up with Chris Hayes », quand David Sirota, du site Web Salon, a fait remarquer que les hommes blancs sont vraiment le seul groupe en Amérique du Nord pour qui « il n’est pas permis de faire de profilage ethnique ». Comme les mâles de race blanche sont de façon disproportionnée les spécialistes promus dans les médias et nos responsables politiques, il faut que plus d’hommes blancs comme Sirota et Hayes prennent la parole et parlent de cela précisément. De la façon dont certaines notions concernant la blancheur et la masculinité sont non seulement nos normes incontestées, mais sont imprégnées d’une innocence et d’une autorité implicites qui rendent presque impossible d’en parler de façon critique face à un pattern d’événements aussi horribles que celui de Sandy Hook.

En 2010, dans un article intitulé « Suicide by Mass Murder », Rachel Kalish et Michael Kimmel ont donné un nom à ce phénomène : l’« aggrieved entitlement » (droit acquis lésé). Dans leur article, ils décrivent une « culture de masculinité hégémonique aux États-Unis », qui crée un « sentiment de droit acquis lésé, propice à la violence ». Pour les jeunes hommes, et surtout les hommes blancs, la colère et la violence sont des privilèges auxquels les autres personnes ne peuvent prétendre et dont l’exercice est clairement puni chez elles. Quant à notre système carcéral industrialisé, il déborde d’un nombre disproportionné de jeunes hommes noirs. Et, alors que les hommes qui tuent une partenaire intime écopent en moyenne de peines de deux à six ans, les femmes qui tuent leur conjoint sont condamnées, en moyenne, à 15 ans de prison. Le privilège de se mettre en colère et d’user de violence n’est pas également distribué. Ne l’est pas non plus le fait d’admettre que l’on souffre de maladie mentale, un domaine que nous dépeignons comme presque exclusivement réservé aux filles et aux femmes.

Ce n’est pas raciste ou sexiste de suggérer que les hommes blancs sont aux prises avec une perte de pouvoir dans notre pays. Je ne diabolise aucunement les hommes blancs ; beaucoup, sinon la plupart d’entre eux, n’ont probablement pas le sentiment d’être puissants et de contrôler. Mais le fait est que, dans notre pays, les hommes blancs ont longtemps dominé la sphère publique et la sphère privée. Ils continuent de dominer le gouvernement et les médias alors même que la nature de la famille et de la vie privée a évolué au fil du temps. Personne n’aime perdre du pouvoir ; c’est un processus incommodant, pénible, effrayant et déroutant.

Mais il est important de distribuer le pouvoir de façon équitable. C’est un changement que nous pouvons chercher à comprendre, à discuter ouvertement et à faciliter. Ou, nous pouvons nous fermer les yeux à ce sujet et exacerber les préjudices liés à l’inégalité.

Cette violence constitue une crise de santé publique. D’autres pays saisissent l’importance vitale pour la société de comprendre les constructions de genre, mais le nôtre y résiste d’une façon mortifère pour l’esprit. Pourtant nous avons vraiment, vraiment besoin de le faire si nous voulons comprendre comment enrayer cette hémorragie de vies humaines. Prétendre que les pressions culturelles et les droits acquis hyper-genrés qui contribuent à faire des garçons de « vrais hommes » ne jouent pas un rôle crucial dans ces tueries de masse, et dans les meurtres commis quotidiennement chez nous, constitue notre véritable crime national.

© Tous droits réservés : Soraya Chemaly.

Texte original : « Why Won’t We Talk About Violence and Masculinity in America ? », le 17 décembre 2012

Traduction : Martin Dufresne

Mis en ligne sur Sisyphe, le 18 décembre 2012



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Soraya Chemaly, blog du magazine Ms.



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