En Italie, on considère l’exploitation des femmes dans les prisons dites " maisons de plaisir " comme la forme la plus haute et la plus émouvante de relations avec les femmes. Des écrivains font l’éloge des bordels, comme de lieux où les femmes se seraient émancipées de l’esclavage de la famille et des hommes, des lieux qui auraient fait évoluer la littérature, les arts et la civilisation. La prostitution est inscrite dans l’androlâtrie et dans le monothéisme, dans une culture pornographique qui empêche les relations réelles entre les femmes et les hommes, dans l’art qui a célébré une femme muette, donc une nature morte de femme.
Les opinions qu’ont échangées, en juillet 2003, les habitués des prostituées, les stylistes mercenaires (Fiorucci et Benetton) et la ministre Livia Turco ont été plus insidieuses que la prostitution elle-même, parce que, discourant sur la brutalité et mettant en évidence les comportements délictueux, ils prenaient ensuite dangereusement la tangente en définissant ces gestes de haine comme des « prestations sexuelles », formes normales de la « sexualité » masculine, etc.
En opérant une fusion entre sadisme et sexualité, en réalité, ils altèrent le profil d’un phénomène délictueux et en arrivent à considérer licite l’abominable « achat » d’un corps, au point que Livia Turco veut le légitimer dans les self services du viol, lieux plus odieux même que les harems en raison des nombreux assauts auxquels les femmes sont soumises. Entériner la femme comme prostituée signifie ne pas avoir compris quelles sont les caractéristiques des droits physiques et constitutionnels.
Chasse aux prostituées
Ces discours paradoxaux ont trouvé leur réponse spécifique et inquiétante dans les initiatives du Ministre de l’Intérieur Bianco, qui a placé des barrages sur les routes de campagne et les trottoirs des villes pour rapatrier arbitrairement des centaines de victimes : c’est-à-dire les femmes violentées par leurs concitoyens. Une campagne définie comme « chasse aux nouveaux esclavagistes, coup de filet maxi contre les protagonistes de la prostitution » (La Republicca) fait basculer la responsabilité du client-esclavagiste et de ses acolytes aux 400 femmes arrêtées !
Pourquoi claironne-t-on que « les trafiquants de chair humaine » violent leurs victimes pour en détruire les défenses alors qu’on n’a jamais admis que le client viole lui aussi ? Pourtant, sa dangerosité sociale est plus mortifère que la mafia elle-même parce que le client sévit en attendant son tour dans une file d’attente, sachant pertinemment que maints autres hommes ont déjà assailli la femme qu’il va voir. C’est un être répugnant qui confirme sa dégradation extrême en espérant qu’en échange de quelques sous il étendra un voile de mort sur l’essence d’une autre personne et la forcera à tenir sous contrôle ses propres réactions, sa répulsion, son autodéfense et son refus !
Si l’action de l’État s’exerce à l’encontre des victimes de la prostitution, on obtient un effet doublement pervers, car on maltraite les victimes tout en normalisant l’exercice d’un mépris social ultérieur envers ces femmes. Une façon habile de ne pas interrompre la chaîne organisée de la destruction des personnes : le Ministre de l’Intérieur assure dans le Gouvernement la continuité du mauvais traitement de ces personnes qui sont déjà marquées par les actions barbares de leurs concitoyens, contre lesquels n’est prise aucune mesure.
Pourquoi le client est-il exempté du délit ? Pourquoi n’a-t-on pas relevé le droit de la personne lésée ? Et pourquoi ne tient-on pas compte des graves dommages que des hommes italiens ont causés à ces femmes ? Le Ministre de l’Intérieur aurait dû prévoir des projets de tutelle, des aides financières et judiciaires, et une forme de dédommagement des abus subis.
Sont inadmissibles les actions répressives envers celle qui a été l’objet de violences tacitement autorisées par une communauté qui n’a jamais reconnu dans la prostitution un délit très grave. Il faut que la législation envisage des sanctions consistantes envers les véritables acteurs de la violence, à savoir ceux qui exploitent « personnellement » le corps de ces femmes en exerçant un viol habilement promu en « prestation sexuelle ». Ces comportements définis comme "normaux" confirment en réalité le fait que la femme n’existe pas pour l’homme, n’est qu’un obscène mirage historique minant la société.
L’impunité des pères, fiancés, frères
Voilà pourquoi, aujourd’hui, il est important qu’il y ait des gens qui refusent de voir la prostitution devant chez eux parce qu’ils refusent de l’assimiler. Mais nous devons nous demander pourquoi ceux qui s’opposent à la prostitution devant chez eux se retournent-ils seulement contre la femme forcée de se soumettre aux affres du trottoir, alors que personne ne se retourne contre l’usager du viol ?
Nous devons accuser maris, pères, fiancés et frères de lésions graves, de corruption et d’agressions : il ne s’agit pas de leur attribuer des responsabilités égales à celles des racketteurs (comme l’a déclaré le député Violante) mais d’admettre qu’ils jouissent au final de l’acte et que ce sont eux qui renforcent la chaîne des grandes organisations criminelles.
La loi a créé en revanche une série de figures collatérales faciles à incriminer : proxénètes, prestataires de lieux et hôteliers, exploiteurs variés sans jamais prendre en compte la figure de celui qui torture, qui commet l’abus principal ; on punit seulement ceux qui gravitent autour de la pratique collective du viol. La délinquance personnelle « du client du viol » prend de l’importance eu égard à l’organisation mafieuse parce que le client est le promoteur conjoncturel du racket, acteur d’une action hostile et préméditée, justement parce qu’il s’approprie un autre corps comme une chose inanimée. Et le dommage ne peut être mis en discussion.
Une incursion contre la personne
L’homme est conscient d’imposer une amputation. Il dit : « Je peux t’acheter et, pour ce laps de temps, tu es entre mes mains et je te possède ». Il ne voit pas la femme, il veut seulement en forcer la volonté pour avoir sa soumission, sa peur illimitée : et c’est justement de cet état de chose qu’il jouit. Ce "bandit" se plaît en effet à observer les effets de la souffrance et de la peur et il métabolise sa masculinité dans cette direction. Les actions dirigées contre les automobiles en maraude me surprennent alors qu’il existe un acte explicite qui représente l’instrument de la corruption.
Inscrit dans le paiement, la prostitution autorise une grave extorsion d’espaces physiques et psychiques, c’est-à-dire une incursion contre la personne. Est donc inscrit, dans le prix de la "passe", le délit que le code pénal doit sanctionner en tant qu’acte endommageant autrui. Le geste de payer instaure une passivité extrême, il prépare à subir un acte d’intrusion tel qu’il érode la dimension intime ; c’est-à-dire qu’il organise un « pacte du silence » sur les divers degrés d’agression. Devient abus de pouvoir l’argent grâce auquel on attend la soumission inconditionnée de la personne (de sa psyché) de même que sa servilité à des fins dirigées contre sa personnalité. Combien de ces hypothèses effleurent le client du viol ?
L’intelligence physiologique du corps
L’interruption des réflexes physiques que provoque la prostitution est tout-à-fait semblable à celle qui est vécue dans une situation défensive et de stress. La victime pense : « Je ne te vois pas et je ne t’entends pas pourvu que tu t’en ailles vite ». C’est ce qu’affirme Carla Corso (conseillère privilégiée du gouvernement) dans son journal, Portrait haut en couleurs, dans lequel, décrivant son propre anéantissement, elle en ignore les effets et adopte une attitude bravache qui montre en fait une extrême faiblesse, une défense artificielle ; elle a soustrait son corps à l’intelligence physiologique, elle l’a rendu aphasique, mais elle divulgue cet assujettissement en adoptant un langage qui exalte simplement son mépris pour les hommes, les divers degrés de dégradation et de putréfaction des rapports auxquels elle se prête.
Si Carla Corso se vit comme être inexistant, son cas ne peut suggérer aucune solution. Légitimer la prostitution signifie donc élever un homme sexuellement impuissant, asocial et violent pour lequel n’importe quelle autre violence est possible : celui qui est capable de « faire subir des sévices » à une femme de cette manière est un homme apte à tuer ; en sont la preuve les nombreux coups de couteaux infligés sans raison aux femmes, simples succédanés du viol (alors, après un tel crime, comment entendre : « C’était un brave homme, je ne peux pas y croire » ? Si l’on faisait une enquête sur les comportements, on découvrirait pourquoi des milliers de femmes ont recours aux centres contre la violence conjugale.)
Complices des violeurs légaux
La complicité avec l’usager du viol a habitué tout le monde (hommes et femmes) à considérer la prostitution comme un phénomène tolérable au point que la ministre Livia Turco et le gouvernement de centre gauche préparent des actions et des lois pour des regroupements de femmes et de jeunes filles, privées de soi et entraînées à s’adapter à n’importe quelle demande, n’importe quel exploit délirant d’homme-monstre. Quelle psychologie régit la pensée de députés et de journalistes qui répandent le concept de libre choix ? La pensée sexiste de Livia Turco, de K.B, V.T., pose des hypothèses insoutenables : quiconque en appelle à un supposé consensus ou au libre choix admet les abus, les tortures, les sadismes et garantit la pénalisation de la femme et la victoire de la conscience sadique chez l’homme, en ouvrant grand les portes à l’incivisme androcentrique.
Il est évident que ces femmes politiques sont habituées depuis l’enfance à l’assassinat du Féminin et sont les gardiennes d’images anti-historiques, elles reflètent la vision de logiques masculines et une cruauté masculine sexiste particulière ; voilà pourquoi elles refusent la lecture féministe de la physiologie comme loi inamovible des corps. Elles bétonnent la prostitution, font entendre qu’elles ne se voient pas comme personnes et se trouvent donc des affinités avec Carla Corso, alors qu’elles ferment la porte aux féministes. Mais les syndicalistes de la violence sont des personnes réduites, qui n’ont pas le sens de leur totalité, elles sont échangeables, ne possèdent plus la clé de lecture apte à dévoiler leur spectaculaire négation de soi, leur propre défaite.
Recours au parlement européen
L’absolutisme masculin a altéré les processus de la pensée et affaibli chez nombre de femmes la perception de l’abus ; mais nous du Centre féministe, nous allons présenter un recours au Parlement européen afin qu’il sanctionne l’Italie qui entend légitimer la prostitution. Notre initiative touchera aussi l’incivile Hollande avec ses femmes en vitrine, parce qu’elle contredit tout principe constitutionnel et surtout sexuel. D’où tire son origine la domination de millions d’enfant(e)s dans le tourisme de la cruauté des pays extra-européens qui créera des générations incapables de conserver un bagage biologique positif ? Même la criminalité juvénile qui surprend tellement est le résultat du modèle sadique d’adultes mâles, non pris en compte par les codes ni la pensée des femmes fiancées et amantes.
Pourquoi le Ministre de la Santé n’engage-t-il pas une enquête socio-sanitaire sur les dommages causés par les hommes dans la prostitution ? Pourquoi le Ministre des Finances ne soumet-il pas - sur des présomptions inductives - la base imposable de tous les hommes pour la soustraction présumée de milliards de dollars dépensés dans la pornographie et d’autres milliards de dollars de revenus dépensés pour esclavagiser et torturer d’autres personnes, en alimentant ainsi la criminalité internationale ? Pourquoi la Ministre Turco n’ouvre-t-elle pas les services radio télévisés, publics et privés, à des débats féministes sur la sexualité ?
Ce sont des actions politiques qui minent la criminalité de la prostitution. Nous affirmons que le coït ne peut être transformé en acte traumatisant qui annule la femme, parce que c’est renverser et inverser toute la fonctionnalité physiologique de l’espèce humaine.
Le rapport sexuel et surtout la pénétration vaginale sont des événements parmi les plus importants de la physiologie et ils impliquent chez la femme l’absolue présence d’émotions positives qui ne sont pas éliminables. Quiconque ne tient pas compte des perceptions sélectives du corps féminin accomplit un viol, qui est une lésion profonde du corps et de la psyché : un délit très grave.
Texte adressé par les féministes de la Citta sessuale, le ler juillet 2003, aux ministres, à tous les groupes parlementaires et à la presse.
Traduit (rapidement et bénévolement) de l’italien par Michèle Causse.
Appendice
Échange de lettres entre un acheteur de prostituées et la rédaction du magazine lo donna.
Un quadragénaire, client habituel des prostituées, revendique la liberté d’être leur client. Sans risquer la prison comme un marchand d’esclaves.
Je suis un homme de 45 ans, depuis toujours client et ami de prostituées. J’ai deux enfants et une femme qui me plaît à tous points de vue. Mais les filles des rues m’ont toujours attiré. Non pas tant pour satisfaire un besoin sexuel, que j’ai toujours pu contenter dans des histoires d’amour régulières, même avant de me marier. C’est surtout la dynamique particulière de la rencontre avec elles, la variété des caractères, des expériences, des corps qui m’intéresse et me rassérène après une journée de travail. Je les sens pareilles à moi : des personnes qui travaillent durement, sans pour cela perdre le goût de la vie et l’espoir d’une amélioration. Elles me plaisent, je les respecte et le fait de les fréquenter ne me donne pas le sentiment d’être malade. Je ne comprends pas et ne partage pas les propositions de ces politiciens et magistrats qui voudraient mettre pénalement les clients sur le même plan que les marchands d’esclaves. D’abord, toutes ces filles ne sont pas des esclaves. En outre, ce ne sont certainement pas les clients les vrais responsables de leur situation : ils ne les vendent à personne, et ils ne les exploitent pas.
G de C
Cher ami, moi non plus je ne sais pas à quoi ça sert. Les ministres et les parlementaires les plus en vue demandent la prison pour les clients mais ils ne vont pas voter quand il s’agit de légiférer sur les vrais marchands ; lesquels, liés comme ils le sont aux mafias les plus aguerries, remuent en effet un fleuve de milliards et sont très redoutés. Alors que le client isolé comme vous, même s’il est aisé, n’intéresse pas le système financier ni le pouvoir politique mais la fille seulement qui encaisse sa « passe ». Il s’ensuit que le pouvoir contractuel et politique du couple client-prostituée (en somme deux exclus) est décidément inférieur à celui des mafias qui font le commerce des filles. C’est aussi pour cela que le premier risque la prison et la seconde l’esclavage. Alors que le vrai patron, le marchand d’esclaves, comme le démontrent des recherches actuelles, est le client révéré de respectables et puissantes banques.
Les effets de ces flots de commentaires, qui confondent et recouvrent les faits au lieu de les éclairer et de leur trouver des solutions, sont psychologiquement dévastateurs. Vous m’avez l’air d’un homme assez sûr de soi, je soupçonne même que vous m’avez écrit pour mettre le débat sur un plan technique, en faire une rubrique de réflexion psychologique, libre et autonome. Beaucoup d’hommes sont bien moins tranquilles, certains même en proie à la panique, surtout après les poursuites que le Procureur de Pérouse a engagées contre sept clients des filles, pour incitation à la débauche.
La menace judiciaire envers une activité sexuelle qui a accompagné sur tous les continents l’histoire de l’humanité, et qui donc semble insuppressible, n’est en réalité qu’une fabrique à névroses, à fantasmes persécutoires. Qui à leur tour seront exploités, comme cela se produit toujours, par toutes sortes de criminels du chantage, des organisations d’extorsion ou de locations de lieux où le couple client-prostituée peut se retrouver sans courir le risque, pour lui, de la prison. Naturellement avec un surcroît de deniers en faveur des organisations criminelles, qui veilleront efficacement à l’impunité. Il est essentiel que soient appliquées les lois déjà existantes. Les forcer, comme le remarque le pénaliste G.P., n’amène pas l’ordre. Mais le désordre. Qui, psychologiqement, conduit à l’angoisse et à des mouvements de destruction.
Mise en ligne sur Sisyphe le 26 avril 2004.